• Pacte compétitivité : chèque pour les entreprises, choc pour les consommateurs - 12 nov
« Pacte de compétitivité » : un chèque pour les entreprises, un choc pour les consommateurs
Par Sophie Camard, conseillère régionale EELV/Poc,
Présidente de la Commission Emploi, Développement économique régional, Enseignement supérieur et Innovation.
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Comme beaucoup de nos concitoyens qui ont voté à gauche, j’avoue avoir été scotchée au mur à l’annonce des mesures gouvernementales qui ont suivi la publication du rapport de M. Louis Gallois.
Bien sûr, le gouvernement a publié 35 mesures dont la plupart sont assez consensuelles, déjà connues et en cours d’application, au niveau des Régions d’ailleurs. Mais le débat se focalise à juste titre sur la mesure n°1, la plus importante financièrement et idéologiquement, celle du financement d’un allègement de charges par la hausse de la TVA.
1/ Le « coût du travail » n’est plus la principale marge de manoeuvre des entreprises… La performance écologique est à la base d’une nouvelle révolution industrielle à réaliser.
L’histoire de l’industrie se confond avec celle des gains de productivité, obtenus par les machines, les nouvelles technologies, l’externalisation. Comment oublier que les frais de personnel représentent souvent seulement 10 à 20% des coûts de production dans certaines usines, derrière les coûts matières, de sous-traitance, de location, entretien-réparation des machines, de commercialisation-distribution, de structure, sans oublier les frais financier ? Les frais de personnel sont trop souvent la variable d’ajustement facile des entreprises en difficulté, alors que le décrochage de l’industrie française s’explique par une mauvaise organisation de la production (chaîne de valeur), un manque de force commerciale ou d’innovation (l’innovation permet de vendre à des prix élevés et de bien rémunérer le travail).
Et c’est là que revient l’écologie car dans l’industrie, les coûts sont dépendants du prix des matières premières, de l’énergie, de l’eau, des transports et de la logistique. Il ne suffit pas de faire sa prière pour que l’électricité reste à bas coût en France, comme l’espère le rapport Gallois, grâce au nucléaire ou aux gaz de schiste présentés comme le miracle qui va nous délivrer de la crise. C’est faux et il faut très vite ouvrir les yeux sur ce défi énergétique. L’innovation verte ne consiste pas seulement en de nouveaux produits, elle consiste à inventer de nouveaux process de production (Ex. éco-conception-recyclage, économie de fonctionnalité), plus sobres et économes en capital naturel et qui permettraient de relâcher la pression sur les salariés. C’est en cela qu’elle n’est pas seulement une simple relance du système mais une véritable révolution industrielle.
Et comment masquer que sur 71 Mds € de déficit commercial en 2011, 45 Mds viennent du coût de l’énergie : hausse du prix du pétrole et importations massives de gazole ? On s’aperçoit alors que l’augmentation de la fiscalité sur la gazole serait non seulement bon pour la santé mais aussi pour la balance commerciale, sans compter qu’elle préserverait l’emploi dans les raffineries françaises, spécialisées sur l’essence et non sur le gazole (en attendant le raffinage de nouveaux carburants !)
2/ Baisser le coût de travail… pourquoi faire ? Les impossibles contreparties
« Compétitivité » : Ce mot veut dire qu’il faut produire au meilleur rapport qualité/prix pour conquérir plus de contrats et clients, développer l’activité et créer des emplois. Le rapport explique qu’en baissant le coût du travail, les entreprises pourront retrouver des marges de manœuvre… mais pour faire quoi au fait ? Baisser leur prix de vente, notamment à l’export ? Investir ? Créer des emplois ? Mieux rémunérer l’actionnaire ? Le rapport ne tranche pas… parce qu’il n’est pas possible de le faire ! Chaque entreprise a une stratégie, une trajectoire, une position sur le marché et des leviers de financement différents. C’est pour cela qu’il est illusoire de chiffrer des créations directes d’emplois avec ce type de mesures. Il s’agit bien d’un chèque en blanc dont on pourra difficilement dire s’il a donné ou pas des résultats en tant que tel.
Notons que les allègements de charges seront réalisés VIA un crédit d’impôt proportionnel à la masse salariale. Il y a là, d’ailleurs, une annonce peut-être pas très claire pour les entreprises qui s’imaginent déjà voir leur frais de personnel diminuer… Alors, on va augmenter la TVA pour ça ? Autant préconiser une réforme d’ensemble de l’impôt sur les sociétés, qui prenne en compte l’effort d’investissement. Autant réformer le code du travail en donnant de vrais pouvoirs de consultation aux comités d’entreprise sur la répartition des marges des entreprises, ce qui n’existe pas aujourd’hui car on est ici dans le « domaine réservé de l’employeur ».
3/ La hausse uniforme de la TVA : La pire des solutions
Quand bien même on voudrait financer différemment la protection sociale, ce qu’il est possible de discuter si on pose le débat en ces termes-là, et pas en terme de compétitivité, la pire des solutions est bien d’augmenter de manière uniforme les taux de TVA. Alors que la consommation intérieure est la dernière source de résistance de l’économie française, on s’apprête ainsi à en casser le ressort.
C’est au contraire la TVA qu’il aurait fallu diminuer, par une augmentation de la CSG limitée aux revenus du capital ou à la rente immobilière, ou par la fiscalité écologique. Avec la fiscalité écologique, on fait d’autre choix : on peut remonter le prix du gazole d’un côté (la niche fiscale sur le kérosène des avions représente à elle seule quelques Milliards !) mais on peut baisser de l’autre la TVA sur les transports publics ou sur la réhabilitation thermique des logements. En annonçant cette hausse uniforme de TVA (à l’exception des produits de première nécessité), le gouvernement vient aussi de fermer la porte à des possibilités de fiscalité écologique nouvelle. L’erreur est d’être entré dans le débat fiscal par la porte idéologique de la « compétitivité », et par la porte de l’innovation, de la protection sociale ou de l’environnement.
4/ Les autres mesures : Soutenir les PME, l’investissement dans la recherche : Oui mais pour la transition écologique !
Et les autres mesures ? Elles reprennent beaucoup de propositions consensuelles et qui ne vont d’ailleurs pas assez loin. J’ai, au passage, une petite différence avec le Front de gauche ou l’extrême-gauche qui n’ont vu dans le rapport Gallois « rien de nouveau sous le ciel ultra-libéral ». Il est au contraire marquant que ce rapport ne prône pas la dérégulation ni la libéralisation à tout craint mais au contraire, une vraie politique d’investissement dans l’innovation, la qualité et le service (la fameuse « compétitivité hors coût »), une politique de réciprocité dans les échanges internationaux et n’oublie pas de dire que c’est la politique de l’Euro fort qui pénalise les entreprises exportatrices hors Union Européenne.
Mais la patte du Medef est bien présente, notamment dans ce qui est proposé sur la formation : Les mesures 20 : « Assurer une évaluation permanente de l’adaptation de l’offre des formations aux besoins de compétences des employeurs » et 22 : « Renforcer la place des entreprises au sein de l’enseignement technique et professionnel ». Autant la concertation avec TOUS les partenaires sociaux est nécessaire pour identifier les métiers porteurs, autant renforcer le pouvoir de décision des seules entreprises, jusque dans les établissements scolaires, me paraît une limite à ne pas franchir.
La fameuse politique de montée en gamme est déjà un axe fort des politiques économiques des Régions, des pôles de compétitivité (politiques de solidarité des filières industrielles et des territoires) et devrait s’intensifier avec la Banque Publique d’Investissement. Les mesures gouvernementales identifient le numérique et timidement la « transition énergétique », citée au détour d’une phrase. Il est quand même stupéfiant de voir un paragraphe entier du « Pacte de compétitivité » consacré aux tournages de films… Et rien sur la transition écologique ! Parfois, on se pince un peu…
Quant au rapport Gallois, il n’était pas à une contradiction près : Comment financer à la fois « les énergies renouvelables, les hydroliennes, la voiture du futur, les réseaux électriques intelligents »… et développer en même temps les gaz de schiste ? Entre l’industrie noire du XXème siècle et l’industrie verte et innovante du XXIème, il faudra peut-être enfin un jour choisir !
En conclusion, certes, le gouvernement n’a pas déterré la hache de guerre sur les gaz de schiste mais il passe à côté de mesures fortes pour la transition écologique et surtout, transfère le financement des entreprises sur les consommateurs, au risque d’entretenir la spirale d’austérité et de ne pas pouvoir mesurer les résultats en terme d’emplois ou d’investissements.
Plusieurs échéances peuvent permettre de contrebalancer ces annonces :
* Une riposte des organisations syndicales et du mouvement social ;
* le projet de loi sur la gouvernance des entreprises (conférence sociale en cours) ;
* la conférence sur l’énergie ;
* l’accélération des travaux du groupe de travail sur la fiscalité écologique.
Un forum sur l'énergie, organisé par EEL, se tiendra le 1er décembre rue Sénac à Marseille.