La loi à l’épreuve des violences sexuelles

Notes sur l’atelier des Journées d’été de Poitiers

 

 

Comment en est-on arrivé à la censure de la loi sur le Harcèlement sexuel

(voir également ici et )

La définition introduite dans le Code pénal en 1992 était la suivante :

« Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. »

3 problèmes :

– Utilisation du terme « Faveurs » qui sous entend un consentement

– Trop imprécise

– Uniquement sur les personnes ayant de l’autorité

Le législateur a donc proposé cette définition en 1998 :

« Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. »

En 2002 il a été décidé d’élargir la défintion :

« Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle »

Cette définition est bien trop large et imprécise. L’incrimination rentrait en contradiction avec d’autres qualifications (comme l’atteinte sexuelle). Et le principe même de la légalité des délits et des peines, c’est que ce n’est pas au juge de définir ce qu’est un délit, mais bien au Parlement, représentant la souveraineté nationale

 Depuis 2002, il y a eu plusieurs possibilités de changer la loi, notamment lors de l’étude de la loi sur les violences faites aux femmes.

 La proposition de loi déposée en novembre 2009 par les députés disposait ainsi dans l’article 19 de cette loi, que « Tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant constitue un agissement de harcèlement sexuel. Tout agissement de harcèlement sexuel est interdit. » Cet article directement inspiré d’une directive européenne, était voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, sans discussion lors du débat sur le texte en février 2010.

Mais lors de son passage au Sénat au mois de juin 2010, le gouvernement par la Secrétaire d’Etat Nadine Morano et le rapporteur du texte, le sénateur UMP François Pillet ont souhaité enlever cette proposition. Selon l’amendement 45 déposé par François Pillet cette définition, pourtant nettement plus précise présentait « par son imprécision, un risque de contrariété au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. »

Le Sénat puis l’Assemblée se sont exécutés. L’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail l’a immédiatement regretter. Le problème c’est qu’entre temps est entrée en vigueur la Question prioritaire de constitutionalité, qui permet à tout justiciable de demander la constitutionalité de telle ou telle disposition de lois votées antérieurement. Que le Conseil constitutionel a été saisi, par un élu sur un cas assez dramatique. Mais que si la demande de modification de 2009 aurait été trop imprécise, que dire de l’état du texte au moment où le Conseil constitutionnel l’a étudié.

Si les lois sont mauvaises, imprécises, mal rédigées, ce n’est pas la faute du juge, mais du Parlement, et donc du politique. De manière générale la loi a du mal a gérer les infractions sexuelles, harcèlement, agression et viol

Aspects du viol

Nous avons vu l’action du Parlement, voyons celle de la justice, sur la question particulière du viol

C’est d’abord un phénomène difficile à quantifier, car la majorité des crimes concernés n’arrivent pas jusqu’aux Assises. Les crimes sexuels sont les plus sous déclarés

Divers études évoquent le sujet :

2001 Cesdip : 10522 personnes 4 viols et 27 tentatives sur les trois dernieres années

Drees 2005 : 0,4 victimes d’une violence sexuelle au cours des deux dernières années

ENVEFF faite sur 6970 femmes de 20 à 59 ans : 11% agressions à caractère sexelle , 2,7 % viols (1,2% au cours des 12 derniers mois soit 50.000 femmes environ)

CSF 10403 personnes : 20,4% femmes et 6,8 hommes agressés sexuelle ; 9,1 femmes et 3% des hommes tentative de rapport forcé ; 6,8 femmes et 1,5% hommes un viol

 CSF – ENVEFF : 46 à 57% des femmes violés n’en avait jamais parlé. Cette proportion augmente avec l’âge. 10% avaient porté plainte, part plus faible concernant les viols sur des hommes

De manière générale le dépôt de plainte a été multiplié par 5 en 40 ans, avec un véritable tournant dans les années 80 (loi de 1980)

Ouvrage important de Véronique le Gouaziou, « Le viol, aspects sociologiques d’un crime » qui a analysé 425 viols, jugées aux Assises

Si l’auteure souligne bien les limites de son étude (il n’analyse que les affaires jugées et non-correctionnalisés), ces enseignements sont importants. Parmi ces viols jugés aux Assises

47% des viols familiaux qui sont les viols qui peuvent se prolonger dans la durée

4% conjugaux (avec ex conjoint)

17% viols de proximité

27% à faible connaissance

5% des viols collectifs

81% de victimes féminines, 98% d’auteurs masculins

Ce qu’on peut en retirer :

– Contexte très différent, profil très différent des coupables et des victimes

– Les viols « à faible connaissance » et les viols conjugaux sont les plus violents (viols conjugaux est le plus souvent à des violences conjugales)

– Viols à faible connaissance  ne représentent que 27% des faits. Pourtant cette représentation, idéale-type du viol, écrase toutes les autres représentations. Un viol a rarement lieu dans la rue. Cela permet aussi d’éloigner le profil du violeur, qui peut etre Monsieur tout le monde. Pourtant il n’y a pas de profil type du violeur.

– viol conjugal encore accepté socialement. Cela se voit dans le profil des violeurs, qui nient bien plus que les autres leur viols (elle aime ça), y compris dans les discours politiques (Voir le billet de blog écœurant de Bruno Gollnish sur le  « devoir conjugal »)

– classes sociales favorisée sous dénoncées et sous-jugées. Elles maitrisent mieux le fonctionnement de la justice et moins soumis aux dispositifs sociaux de contrôle sociale (repérages de l’aide à l’enfance)

– le viol n’est pas une maladie psychiatrique ou un phénomène médical.

– il y a des viols à dominante sexuelle (répondre à une pulsion), au service d’une violence, d’une revanche ou d’un réglement de compte (familiaux), viol patriarcaux (inceste), viol d’initiation (viol collectif)

– plus on connait le coupable, plus on a du mal à porter plainte

– 34 mois de durée d’instruction moyenne

L’évolution de la judiciarisation

Cette judiciarisation a évoluée : 49 plaintes au Parlement de Paris en 1540 et 1692

Viol était  une atteinte à la propriété du mari  ou du père. Seule le rapport vaginal comptait et il fallait l’appuyer de preuves matérielles

C’est l’action des mouvements féministes des années 60 et 70 qui va faire évoluer une situation qui était restée stable pendant des siècles.

 Actuellement la correctionnalisation récurente : on passe du viol à une agression sexuelle (qui est un délit et non un crime : les délais de prescriptions sont différents, c’est jugé en tribunal correctionel, ce qui permet d’éviter les Assises, procédure longue, publique et orale. Et les jurys ne sont pas particulièrement plus sévères, contrairement aux idées reçues); La différence majeure dans l’incrimination est celle de la pénétration

– d’où la difficulté de distinguer la tentative de viol (crime) et agression sexuelle (tentative quand l’agression s’est désisté)

– les questions du consentement, de la preuve, et des dégats (les coups et blessures se calculent en ITT, les conséquences d’un viol non) nettement plus problématique dans le viol que dans d’autres crimes

 Les peines ont été allongées : 538 condamnations en 1984, 1382 en 2008

Les peines de plus de 10 ans sont passée de 18% à 43%

Que faire ?

– 17% des violeurs avaient subis un viol. Cela montre que beaucoup de victimes ne deviennent pas nécessairement des bourreaux. Mais cette part importante nous entraine a mieux réfléchir sur la nécessité de reconstruction (33% avaient subis un placement dans leur enfance) et de réparer les carences affectives

-accepter les profils de viol différents. Parcours de victimes et des violeurs sont différents

– diversités de lieux de prises en charges des victimes et des délinquants

– prise en charge préventive

– Education sexuelle qui ne soit pas qu’un apprentissage de la contraception et de la lutte contre le SIDA. Nécessite aussi une formation du corps enseignant

– Améliorer la procédure judiciaire. Les victimes regrettent plus la procédure que le quantum de la peine prononcée (justice réparatrice)

– formation et protection des lanceurs d’alerte (médecins de famille)

– formation des policiers

– Recherche, observatoire des violences sexuelles

– dénoncer politiquement cet etat de fait. C’est l’action des mouvements féministes et la politisation de cette question qui l’a fait évolué dans les années 70 et 80.

Bibliographie :

Véronique le Gouaziou, Le viol, aspects sociologiques d’un crime

Maryse Jaspard, Les violences contre les femmes

Un commentaire pour “La loi à l’épreuve des violences sexuelles”

  1. […] Voir les notes sur l’atelier […]

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