Un débat sur la sécurité urbaine avec Jean Lafont et Michel Marcus
Ce café-débat, organisé autour de l’intervention de Michel Marcus, magistrat honoraire et expert en sécurité urbaine, a suscité de nombreux échanges autour de la question « quelle politique écologiste de prévention et de sécurité urbaine? ».
Il faut reconnaître que le discours sécuritaire est devenu peu à peu le discours dominant au cours des 15 dernières années, entraînant avec lui une partie de la gauche, soucieuse de montrer qu’elle a définitivement rompu avec son « angélisme » présumé. La reconnaissance des causes sociales de la délinquance est mise en cause au nom de la responsabilité individuelle. Des technologies intrusives et menaçantes pour les libertés individuelles – vidéosurveillance, biométrie – se déploient dans l’espace public. La prévention est en recul au profit de la répression.
On peut espérer que le changement de majorité politique permette de rouvrir le débat, mais quelle en sera l’issue?
Sans reprendre tout ce qui a été dit au cours du débat, je retire pour ma part de l’échange quelques grandes idées.
D’abord, une observation. La délinquance ne s’est pas vraiment accrue en Europe et en France au cours des 20 dernières années – c’est clair pour les atteintes aux biens, qui ont sensiblement diminué, ce ne n’est pas le cas pour les atteintes aux personnes, encore qu’une partie de la hausse s’explique ici par le fait que certaines composantes de cette délinquance, notamment la délinquance sexuelle, sont davantage « reconnues » que par le passé. Pourtant, le système pénal semble s’emballer, avec la croissance rapide de la population carcérale (1 pour 1000 habitant/es, certes encore très loin des Etats-Unis) et un taux de récidive important. Dans les quartiers pauvres, 3 jeunes sur 10 connaissent la prison, pour eux-mêmes ou quelqu’un de leur famille, la prison devient ainsi une institution centrale.
Ce constat conduit à s’interroger sur le fonctionnement du pôle police-justice, et sur le bon usage d’un budget aux alentours de 20 milliards d’euros par an. Le programme de construction de prisons s’élève à lui seul à 6 milliards d’euros.
Les 12000 postes supplémentaires annoncés par le Président de la République vont-ils vraiment régler le problème, si l’on ne revoie pas, dans le même temps, la conception de la politique poursuivie? En matière d’environnement, on admet désormais qu’il est plus efficace – y compris financièrement – de prévenir que de réparer les dégâts. Ce raisonnement vaut aussi dans le domaine social, et appelle un redéploiement des crédits au profit de la prévention, traitée en parent pauvre ces dernières années.
On voit bien que les problématiques de la délinquance diffèrent selon les territoires et s’accommodent mal de réponses uniformes, venues d’en haut.
D’où l’importance de définir des stratégies territoriales de prévention et de sécurité, fondées sur un diagnostic précis et partagé des problèmes à traiter, des objectifs de résultats, et une évaluation. Elles devraient s’articuler avec le volet « développement humain » d’Agenda 21 locaux, les inscrivant ainsi dans un projet global de territoire, co-élaboré avec la population. La région Ile-de-France a décidé de soutenir de telles démarches expérimentales, il sera important de suivre comment cela évolue.
Cette spécificité des territoires conduit aussi à préconiser une territorialisation de la police nationale, à l’inverse du pilotage par le haut, poussé sous Sarkozy jusqu’à la caricature, lorsqu’il conduit à fixer des objectifs chiffrés détaillés par type de délit jusqu’au niveau du commissariat.
Aujourd’hui, les ressources des territoires en matière de prévention sont globalement insuffisantes, très inégalement réparties, souvent tributaires d’initiatives associatives, ce qui pose la question de l’égalité des citoyen/es. La nature des besoins des populations évolue, remettant en cause le périmètre des métiers et appelant davantage de coordination. Celle-ci se fait mal, ou pas du tout, d’autant plus lorsque la politique poursuivie n’est pas la bonne.
Ainsi, la prison, conçue principalement comme une punition et un moyen de protéger la société de l’auteur d’un acte délinquant, échoue à le réinsérer: le résultat se voit sur les taux de récidive.
Ces constats appellent au niveau de l’Etat l’élaboration d’un plan stratégique de la prévention, ses métiers, ses moyens, sur la couverture égalitaire des territoires: bref, il s’agit d’en faire un véritable service public !