Outreau : “Il y a des centaines d’innocents dans nos prisons”

Natif de Bourges, Didier Gallot est vice-président du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon (Vendée). Ce magistrat ne croit pas aux sanctions demandées après le procès d’Outreau et s’interroge sur la “ sur-psychiatrisation ” de notre société.Après 30 années de magistrature, quels enseignements tirez-vous de ce qu’il faut bien nommer le désastre d’Outreau, cette forme d’horreur judiciaire jusqu’aux derniers acquittements de jeudi soir ?

« Voilà quinze ans que j’attendais un événement comme celui-là, parce que je suis atterré de voir l’institution judiciaire submergée par ce type de dossier dans lequel elle a perdu ses repères. Je considère l’affaire d’Outreau comme révélatrice d’un problème de société dans sa manière de gérer les drames de la misère humaine, sociale et sexuelle du quart-monde. L’institution judiciaire est devenue destinatrice d’un certain nombre de drames qu’on lui demande de traiter, après coup, sans les avoir empêchés. Et on a judiciarisé le traitement d’un certain type de misères.

Lorsque vous vous trouvez face à des enfants qui accusent des adultes, la première réaction des juges aurait dû être de s’accrocher au code de procédure pénal où le doute doit profiter à l’accusé. Et puis, à cause d’une certaine mauvaise conscience devant la parole des enfants mal ou pas entendue, nous avons basculé dans une autre logique : celle du dogme de la catharsis judiciaire sous l’influence d’un certain nombre de charlataneries psychanalytiques ! Le procès devenait un moyen de reconstruire la victime. Avec la sacralisation de la parole de l’enfant, qui veut qu’un enfant ne peut pas mentir, une autre digue a cédé. Je suis désolé, j’ai été comme tant d’autres, un enfant parfois menteur. Ce qui a conforté ma prudence dans ce genre de dossier.

Mais il faut bien aussi recourir aux experts car la compétence du juge ne peut être universelle. Or, la psychiatrie, la psychologie ne sont pas des sciences exactes, ce que l’institution judiciaire a longtemps refusé d’admettre. Or, un enfant peut être crédible, croire en ce qu’il dit mais ce n’est pas toujours nécessairement la vérité et cet aspect a été complètement zappé.

Un autre basculement s’est révélé terrifiant avec Outreau : c’est la prudence de l’enquêteur lorsqu’il entend la personne soupçonnée. Nous avions oublié que nous avions affaire non pas à des personnes solidement structurées mais à des personnes du quart-monde, des êtres humains extrêmement fragiles et donc extrêmement faciles à faire avouer même ce qu’ils n’ont pas fait. »

Vous avez été juge d’instruction aux Sables d’Olonne. Dans le dossier d’Outreau, les lourdes responsabilités du jeune juge Burgaud semblent avérées. Doit-il être le seul à être mis en cause ou joue-t-il, à votre sens, un peu le rôle de bouc émissaire dans une chaîne de dysfonctionnements qui engagent aussi d’autres magistrats dans la hiérarchie judiciaire ?

« Le juge Burgaud, tout le monde lui tombe maintenant dessus et je pense que le procureur Lesigne n’est pas loin de le rejoindre sur le podium ! Mais je constate que toute la cour d’appel de Douai s’est également penchée sur ce dossier à travers des appels incessants où des gens hurlaient leur innocence. Et personne n’a stoppé la machine infernale. Et puis je vais vous dire, c’est même une chance que l’institution se soit emballée ! Parce qu’elle est allée trop loin allant jusqu’à mettre aussi en examen et incarcérer des gens qui n’appartenaient pas au quart-monde et qui se sont défendus en faisant venir de grands avocats dans le procès.

Et là, le débat est devenu plus loyal. La défense s’est retrouvée à égalité avec l’accusation. Sans eux, les pauvres gens innocents en seraient encore à purger leurs années de réclusion criminelle. Je suis d’ailleurs persuadé qu’il y a des centaines d’innocents dans nos prisons. J’en veux beaucoup à l’institution judiciaire pour son incapacité à distinguer les grands fauves des pauvres gens ! »

Alors, faut-il sanctionner les fautes des magistrats comme le propose maintenant le ministre de la justice, Pascal Clément ?

« Non. Franchement, à quoi cela va-t-il servir de sanctionner des boucs émissaires ce qui évitera à notre société de s’interroger sur la façon dont on aborde ce type de drames. Outreau, c’était un peu le retour en force de l’irrationnel, des ordalies du Moyen Age, jugement de Dieu, par l’eau ou par le feu, où l’on joue à pile ou face. La sanction n’est pas le mode approprié. Nous devons nous interroger sur la sur-psychiatrisation de notre société. »

Propos recueillis par Alain BLANCHARD
[La Nouvelle République du Centre->http://www.lanouvellerepublique.fr/


P.S. :
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