La « preuve par présomption » dans les procédures pour discriminations sexuelles, raciales, religieuses, sur le handicap, sur l’âge de la personne

L’article 14 de la convention Européenne des Droits de l’Homme pose le principe de non-discrimination des droits qu’elle reconnaît :



« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »
(..)




Concernant plus spécialement les discriminations fondées sur le sexe, la Directive Européenne du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe a imposé aux Etats de l’Union Européenne de prendre avant le 1er janvier 2001,
les mesures nécessaires afin que, « dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement »[Les directives européennes régissent les rapports entre les Etats de l’Union Européenne et ne créent pas par elles-mêmes d’obligations entre les particuliers, ni d’obligations des particuliers à l’égards des Etats membres (effet vertical inversé). Cependant, en l’absence de dispositions contraires dans le pays concerné, elles ont dès leur adoption, un effet direct immédiat, horizontal et vertical, par le jeu de la notion d' »interprétation conforme ». Elles peuvent dans ce cas être immédiatement invoquées devant les Tribunaux dans tous les litiges, y compris entre particuliers]].

Concernant les discriminations relatives aux origines éthniques, la Directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de races ou d’origines ethniques (en fichier PDF ci-contre) prévoit des dispositions similaires en termes de charge de la preuve[1].

Une directive du 22 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail reprend également les mêmes préoccupations, y ajoutant la prohibition des discriminations fondées sur l’âge de la personne.

La preuve par présomption de discriminations dans le droit du travail

De manière très générale, en droit civil, concernant la charge de la preuve, l'[article 10 code civil fait obligation à chacun d’apporter son concours à la manifestation de la vérité lorsqu’il en a été requis. C’est cependant très souvent à chaque partie à un procès d’apporter les éléments de preuve nécessaires au succès de ses prétentions [Ainsi, l'[article 9 du Nouveau Code de Procédure Civile dispose qu’Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention]]. Mais cette répartition n’est pas systématique, et certaines lois peuvent aménager, répartir, voire renverser la charge de la preuve de telle sorte que devant le Juge, le demandeur s’étant borné à invoquer un principe d’obligation, le défendeur se voit imposer d’apporter lui-même les preuves de nature à l’exonérer ou le disculper : ainsi, en matière de contrats et d’obligations contractuelles, chacune des parties doit apporter la preuve de ce qu’elle a rempli ses obligations contractuelles [L'[article 1315 code civil relative à la preuve des obligations contractuelles du Code civil dispose « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». ]]

En matière de discrimination sur le genre, l’article L 123-1 du code du travail met à la charge du demandeur une simple présomption de preuve et dispose en effet que :



(..)

En cas de litige (..), le salarié concerné ou le candidat à un recrutement présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur le sexe ou la situation de famille. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.(..)




Par ailleurs, et concernant l’ensemble des discriminations, l’article L 122-45 du code du travail du même code dispose :



« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »




Les juridictions judiciaires semblent appliquer sans difficulté particulière en droit du travail, les règles et principes de la directive du 15 décembre 1997 sur la charge de la preuve : voir notamment :

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnArticleDeCode?code=CCIVILL0.rcv&art=1315″>[La Cour de Cassation rappelle en réalité ici qu’en application de l'[article 1315 du Code civil, s’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe {« à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence}. Le principe vaut donc pour toutes les discriminations, et même pour toute inégalité de traitement non justifiée ]]

Toutefois, on ne trouve pas de trace tangible de ce que les Juges Français aient jamais accepté, comme le leur demande la Cour de Justice des Communautés Européennes, de « ne pas appliquer » une Loi contraire à une directive de l’Union Européenne dès sa parution : voir notamment concernant une discrimination fondée sur l’âge et une loi allemande : C.J.C.E. 22 novembre 2005 Werner Mangold (fichier pdf ci-contre)

La preuve par présomption des inégalités de traitement et discrimination hors le champs du droit du travail

Hormis ce qui concerne le strict champ du droit du travail, le législateur français n’a pas prévu de mesures particulières de transposition des règles de charge de preuve des directives du 15 décembre 1997 sur la charge de la preuve de la discrimination fondée sur le genre et du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de races ou d’origines ethniques .

Il s’agit sans doute d’une carence de l’Etat Français dans la transposition des Directives. Cette carence serait susceptible d’entraîner une condamnation de la France pour non-transposition [2] . Nul ne doute en effet que les discriminations sur le genre, sur les origines, ne s’exerceraient que dans le seul cadre du monde du travail, et à l’intérieur de celui-ci, du seul travail entre salariés employeurs, régi par le code du travail : l’accès aux activités professionnelles non salariées, l’accès aux fonctions politiques, sociales, économiques sont aussi l’objet de discriminations fondées sur le genre, sur les origines dans le cadre desquels la charge de la preuve doit être répartie comme l’indiquent les directives [3].

En théorie pure, le principe « d’interprétation conforme » devrait cependant, même sans texte de transposition spécial de la Directive dans l’ordre interne, et en l’absence de lois contraires, conduire les tribunaux français à faire depuis le 15 décembre 1997, date d’entrée en vigueur de la Directive sur le genre, une application directe, horizontale comme verticale, de la directive dans celui-ci [La place des directives européennes dans l’ordre juridique interne est intercalée entre la « loi » votée par le Parlement (pouvoir législatif) et le « règlement » (pouvoir exécutif) : les directives européennes ont donc une valeur supra-réglementaires ([Conseil d’Etat 7 décembre 1984, Société française de protection de la nature ; Conseil d’Etat, 3 février 1989, Compagnie Alitalia; Conseil d’Etat 22 décembre 1978, Cohen Bendit), et infra-législative. En l’absence de lois expresses contraires en droit interne à la Directive du 15 décembre 1997, celle-ci s’impose donc directement et théoriquement à toutes les juridictions et instances françaises. Le principe d’« interprétation conforme » obligeant le juge français à interpréter le droit français à la lumière des objectifs et des termes précis des directives (et donc de la directive du 15 décembre 1997) est rappelé par la Cour de Cassation dans un arrêt Cassation Civile, 1ère, 28 février 2006, pourvoi n°05-15.824. L’« interprétation conforme » produit un effet vertical (dans les rapports entre particuliers et Etats) et horizontal (dans les rapports entre particuliers et particuliers). Il incombe au plaideur d’invoquer expressément le bénéfice de la directive et de soulever également expressément l’illégalité éventuelles des décisions individuelles ou règlementaires prises en méconnaissance de celle-ci]] .

Les mêmes règles valent pour la Directive du 29 juin 2000.

Les règles dérogatoires devant les juridictions pénales

Un certain nombre de dispositions sanctionnent sur un plan pénal les discriminations jugées les plus graves. [ Ainsi, l'[article 225-2 du Code Pénal
dispose ainsi que « La discrimination définie à l’article 225-1
, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 Euros d’amende lorsqu’elle consiste :

1º A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ;

2º A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ;

3º A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;

4º A subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ;

5º A subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ;

6º A refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2º de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1º est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 Euros d’amende.
« 
]]

La règle de la preuve par simple présomption n’est pas applicable toutefois devant les juridictions pénales conformément aux articles 3-2 de la Directive du 15 décembre 1997 [« La présente directive ne s’applique pas aux procédures pénales, sauf si les États membres en disposent autrement » ]] ou 8-3 de la Directive du 29 juin 2000 [4]. Les juridictions pénales sont en effet soumises à l’obligation du respect du principe de présomption d’innocence [5]. Aussi, en cas de saisine du Tribunal Correctionnel, celui-ci n’appliquera donc pas les principes de la Directive du 29 décembre 1997 pour prononcer les sanctions pénales prévues par l’article [L 152-1-1 du code du travail [soit un emprisonnement d’un an et une amende de 3.750 € ou l’une de ces deux peines seulement]].

Dans ces conditions, la victime d’une discrimination peut avoir dans certains cas, un intérêt procédural particulier, à choisir la voie civile pour obtenir réparation de son préjudice (prud’homme, juge de proximité, tribunal d’Instance, de Grande Instance, etc..) plutôt que la voie pénale.


Guy Pécheu
([gpecheu@online.fr
)





ANNEXE 1

ANNEXE 2

ANNEXE 3

ANNEXE 4

ANNEXE 5 : EXEMPLE D’UNE DEMANDE A UN JUGE DE PROXIMITE, D’APPLICATION DE LA PREUVE PAR PRESOMPTION D’UNE INEGALITE DE TRAITEMENT

(Monsieur), (Madame) le Juge de proximité[plus généralement, sur la procédure devant le juge de proximité, voir la [fiche pratique No 79 ]],

Par lettre en date du (..), je vous ai saisi d’une demande de condamnation pour discrimination et inégalité de traitement, tendant à (…)

Or, la Directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de races ou d’origines ethniques impose en son article 8 que :

{« les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement »
.

En application du principe d' »interprétation conforme », le Juge doit interpréter les règles applicables conformément aux objectifs de cette Directive.

C’est la raison pour laquelle, je demande au Tribunal de constater lors de la prochaine audience, les faits qui permettent de présumer de l’existence de la discrimination dont je m’estime lésé. Il sera constaté que la partie défenderesse n’apporte pas la preuve qui lui incombe de l’absence de violation du principe de l’égalité de traitement ».

J’adresse copie de la présente à la partie adverse.

Veuillez agréer, […)}

Notes

[1] Le demandeur voit mettre à sa charge de prouver « des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination » et c’est au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu violation de l’égalité de traitement

[2] pour rappel, la France a déjà été condamnée pour non-transposition de la Directive sur l’obligation de mise à disposition du public des motifs des décisions prises : CJCE, C348-01 du 7 novembre 2002; Elle a été également condamnée pour transposition incorrecte de la directive No 90- 313 relative à la liberté d’accès à l’information en matière d’environnement : C.J.C.E. 26 juin 2003, C 233-00

[3] le dorit de la consommation est également concerné : voir notamment la [fiche pratique No 219

[4« Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales »

[5]  L’art. 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme dispose que «Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. En outre, aux termes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, figurant dans le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 «Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable». Si ces textes n’affirment rien clairement en matière de répartition de la charge de la preuve, ils peuvent être interprétés comme s’opposant à ce que la personne poursuivie se voit astreinte à faire la preuve de son innocence

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