Autour de l’affaire d’Outreau et des travaux de la Commission d’Enquête Parlementaire s’est ouvert à nouveau le débat sur les procédures de mise en détention et maintien en détention qui sont prononcées par le Juge des Libertés et de la détention (J.L.D.) en application de l’article 145 du code de procédure pénale.
L’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme du 26 août 1789 proclame :
«Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi»
L’article 66 de la Constitution confère à l’autorité judiciaire le soin d’assurer le principe selon lequel : «Nul ne peut être arbitrairement détenu ».
Le débat devant le Juge des Libertés est encadré par les dispositions du Code de Procédure Pénale.
Ainsi, l’article 82 du code de procédure pénale [ « Dans son réquisitoire introductif, et à toute époque de l’information par réquisitoire supplétif, le procureur de la République peut requérir du magistrat instructeur (..) toutes mesures de sûreté nécessaires. (..)
S’il requiert le placement ou le maintien en détention provisoire de la personne mise en examen, ses réquisitions doivent être écrites et motivées par référence aux seules dispositions de l'[article 144 du code de procédure pénale (..)]] interdit clairement au Ministère Public de requérir la détention ou son maintien sur d’autres éléments que ceux limitativement visés à l’article
144 du même code lequel dispose :
La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l’unique moyen :
1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé.
De son côté, l’article 148 du même code relatif aux demandes de mise en liberté exige également du juge des libertés qu’il motive ses décisions sur l’article 144.
De ces dispositions concernant les réquisitions du ministère public et la motivation de l’Ordonnance prononçant ou prolongeant la détention, un certain nombre d’analystes déduisent abusivement au terme d’un raisonnement par « analogie » pour le moins spécieux, que le mis en examen serait soumis à une règle équivalente : il ne pourrait pas, de fait, s’exprimer à ce stade de la procédure sur la considération tirée de son innocence des faits qui lui sont reprochés, ni combattre les charges ou les indices de sa prétendue culpabilité.
Un tel débat, selon cette thèse, serait en quelque sorte « hors sujet » à ce stade de la procédure, et certaines juridictions empêcheraient ainsi clairement, et plus ou moins fermement, aux avocats et aux mis en examen de plaider l’innocence lors de ces audiences, ni a forciori d’argumenter sur l’insuffisance des indices et des charges qui pèseraient contre la personne.
Cet argument « par analogie » est pourtant tout à fait infondé et mérite d’être clairement écarté.
En effet, l’article 82 du code de procédure pénale ne vise clairement que les réquisitions du Parquet et il ne saurait s’appliquer aux conclusions, écritures, mémoires du mis en examen et de son avocat, ni à leurs explications orales et plaidoiries !
Quant à l’article 144 du code de procédure pénale relatif à la motivation des ordonnances du juge de la mise en liberté, il n’est véritablement intelligible que comme s’appliquant à celles des Ordonnances qui ordonnent ou prolongent la détention, et donc, a contrario, il ne s’applique pas aux Ordonnances qui ne l’ordonnent pas, ni n’en prolongent la durée [De fait, il faut admettre que cet article est rédigé d’une manière telle qu’il fait totalement l’impasse sur la possibilité pour le Juge des Libertés d’ordonner la mise en liberté lorsqu’il est convaincu de l’innocence du mis en examen, ou de l’insuffisance des indices de culpabilité]].
Contrairement donc à la thèse de ces parquets, le mis en examen est donc parfaitement recevable à fonder sa défense devant le Juge des Libertés sur son innocence des faits qui lui sont reprochés [1].
La Cour de Cassation a d’ailleurs eu l’occasion de souligner la place du « rappel des indices de culpabilité » qui sont énoncés dans la décision de mise en détention ou de maintien en détention :
Cassation, 6 juin 2000 requête No 00-81746.
Enfin, certains magistrats peuvent être tentés de considérer que les décisions prises précédemment en ce qui concerne la mise en examen, ou la mise en détention auraient l’« autorité de chose jugée », de telle sorte que le Juge des Libertés ne pourrait être saisi que de circonstances nouvelles, postérieures aux décisions déjà prises précedemment. Cette thèse ne repose sur aucune décision de jurisprudence, et en droit, le Juge des Libertés n’est nullement tenu de s’estimer lié par les décisions qui ont été prises avant lui par d’autres juges statuant sur la détention.