Intervention de Sergio Coronado au débat sur la surpopulation carcérale
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Sergio Coronado, député EELV des Français de l’étranger :
Je voudrais d’abord remercier notre collègue Dominique Raimbourg.
Son rapport est une contribution indispensable au débat sur la surpopulation carcérale. Sur le constat et sur les propositions avancées, son travail rompt avec des années d’une politique de la peur, où chaque fait divers donnait lieu à un projet de loi, où la prison était présentée comme la solution à l’ensemble des maux de notre société.
J’espère que ce rapport permettra une réorientation de la politique pénale et carcérale car la question carcérale est une vieille histoire dans notre droit.
Dès 1876 notre droit posait le principe de l’encellulement individuel. Pour rappel, l’article 716 du code de procédure pénal dit: « Les inculpés, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail. »
Quand en juin 2000, le législateur a souhaité revenir sur cette exception, il s’est laissé un moratoire de 3 ans.
En juin 2003, un amendement a été introduit dans la loi sur la lutte contre les violences routières, pour prévoir un nouveau moratoire de 5 ans. Quand ce moratoire s’est achevé en juin 2008, l’administration pénitentiaire a publié une circulaire dont les principes d’application sont pour le moins flous. Un an plus tard, l’article 100 de la loi pénitentiaire prévoyait un nouveau moratoire de 5 ans qui s’achèvera au 25 novembre 2014.
Dans le même temps nous n’avons cessé de multiplier les programmes de construction pénitentiaires :
13.000 places décidées en 1986
4 000 autres en 1995
13 200 places en 2002
le « nouveau programme immobilier » (NPI), plan de restructuration du parc immobilier
Et enfin la loi, abrogée, votée il y a un an par l’ancienne majorité pour porter à 80.000 places de prison notre parc pénitentiaire en 2017, sans qu’un seul financement n’ait été prévu. Mais nous devrions quand même être à 70.000 places en 2017
Cet élargissement du parc pénitentiaire s’est fait à crédit, dans des conditions honteuses : les Partenariats Public Privé sont un véritable scandale d’état. Vous avez eu raison de les dénooncer madame la ministre.
Le montant des autorisations d’engagement qui restent à couvrir par des crédits de paiements est de 5,446 milliards d’euros. Le contribuable français va payer pendant des années les cadeaux faits à Bouygues et Vinci par l’ancienne majorité.
Ces programmes n’ont jamais réglé la surpopulation. Ils entretiennent l’illusion que l’on peut régler le problème de surpopulation en augmentant indéfiniment le nombre de places en prison.
En 1982, il y avait 31 551 détenus. Depuis, à chaque décennie, nous gagnons environ 10.000 détenus, pour arriver au 1er février 2013 à 77 540 personnes sous écroues, 66 746 personnes détenues et 12 350 détenus en surnombre, soit + 5,5 % en 12 mois (données au 1er février 2013).
Cette hausse suit celle de l’augmentation du parc pénitentiaire. Depuis 30 ans la justice est de plus en plus sévère, avec des peines de plus en plus longues, et des petits délinquants de plus en plus fréquemment incarcérés.
La hausse du parc pénitentiaire explique aussi en partie la stagnation des mesures d’aménagement de peine ou d’alternatives à la prison comme le TIG (travail d’intérêt général) ou la libération conditionnelle.
On ne sortira pas de la surpopulation carcérale en construisant sans cesse de nouvelles prisons à remplir. Pourtant, toutes les études montrent que, notamment pour les courtes peines, les alternatives à l’incarcération sont souvent plus efficaces pour lutter contre la récidive, car ces peines sont plus individualisées et permettent un meilleur suivi des détenus. Il faut remettre de l’humain de la machine judiciaire et pénale.
Deux des principaux responsables de cette inflation carcérale sont connues : les peines planchers et la comparution immédiate. Faire le choix d’une politique pénale responsable, c’est refuser les peines planchers. La loi sur les peines planchers avait été mise en place pour officiellement lutter contre la récidive criminelle. Dans les faits elle n’a touché que les délits, en particulier les délits mineurs, les peines en cours d’assises étant souvent largement supérieur au minima prévus, même pour les primo-délinquants. L’aggravation la plus importante dans les peines prononcées concerne les vols, les dégradations et les infractions à la législation sur le séjour. Comme l’a noté le magistrat Jean-Paul Jean le niveau de peines y est 6 fois plus élevé après la loi qu’avant. Ont été particulièrement concernés les toxicomanes, les alcooliques, les personnes atteintes de troubles psychiatriques, sans qualification, en échec scolaire ou en rupture familiale.
Faire le choix d’une politique pénale responsable, c’est aussi lutter contre la justice d’abattage que représentent les comparutions immédiates. La LDH de Toulouse a dans une étude conclu que si la durée d’audiences moyennes s’établissait à 36 minutes, seules 2% des affaires faisaient l’objet d’une relaxe, tandis que 57% aboutissent à une peine de prison ferme.
Cette justice d’abattage, intransigeante avec les petits délits a abouti à des drames humains. Il y a 30 ans on ne voyait pas de personnes en prison pour des délits mineurs. On ne voyait pas d’incarcération pour des défauts de permis. On ne voyait pas de perpétuité réelle. On ne voyait pas non plus de malades psychiatriques.
L’abandon de certains patients, l’absence de réelle enquête de personnalité en comparution immédiate, aggravés par les peines plancher, fait que sont envoyées des personnes malades. Détenus, personnels pénitentiaires, administration tous soulignent la gravité du problème. Dès lors un programme de construction d’UHSA (unités d’hospitalisation spécialement aménagées), chargée d’accueillir les détenus souffrant de maladies psychiatriques graves a été mis en place. Avant la loi du 9 septembre 2002, la règle étaient que les détenus gravement malades étaient placés dans les Unités pour malades difficiles (UMD), qui sont maintenant au nombre de 10 (656 lits). Or le programme de construction de 17 UHSA, dont la première tranche devrait s’achever fin 2014, comportera à terme 705 lits.
Il est pour nous risqué d’attendre l’incarcération pour que le malade soit correctement pris en charge ? Cela conduit à faciliter l’incarcération pour les personnes gravement malade, mettant à mal, et nos principes, et les conditions de détention et de travail des personnels pénitentiaires qui doivent gérer ces détenus très difficiles ? Il faut s’interroger un basculement éventuel des UHSA vers les UMD.
Le problème de la surpopulation carcérale est complexe. Toutefois je proposerais plusieurs pistes :
Il faut mettre fin au scandale des peines planchers, qui engorgent les prisons de petits délinquants ?
Il faut en finir avec les courtes peines qui encombrent nos prisons, avec des effets néfastes sur la récidive, comme le montrent toutes les études publiées depuis plusieurs années. Je pense notamment à l’étude Gendreau-Goggin-Cullen publiée au Canada en 1999. Mieux vaudrait contraindre une personne à suivre des soins en addictologie et faire des TIG que la mettre en prison pour conduite en état alcoolique. C’est aussi tout l’intérêt de la peine de probation proposée par la conférence de consensus.
Il faut réformer la comparution immédiate et notamment mettre fin au mandat de dépôt quasi automatique même pour des très courtes peines. En tribunal correctionnel pour ces courtes peines le mandat de dépôt est impossible. Pourquoi l’est-il en comparution immédiate
Il faut renforcer les moyens alloués pour les peines alternatives. Tous souhaitez faire de la prison une peine parmi d’autres. Mais cela nécessite que ces autres soient correctement financés et pris en charge par la collectivité.
Il faut systématiser la libération conditionnelle qui donne de bons résultats. Pour rappel, les risques de recondamnations des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine demeurent 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle. Une peine de prison pour être efficace doit s’effectuer en partie en milieu ouvert afin de permettre la réinsertion.
Arrêtons de mettre des moyens pour des nouvelles places de prison, et utilisons ces moyens pour renforcer les SPIP et les aménagements de peine, moins coûteux et plus efficaces. Faisons un moratoire sur la construction de nouvelle place, redéployons les moyens et fixons un numerus clausus.
Madame la ministre, je souhaiterais que vous confirmiez le calendrier et le périmètre de votre grande loi pénale. Vous avez dit votre désaccord avec le numerus clausus, pensez-vous néanmoins pouvoir enrayer l’explosion carcérale ? Pour conclure, je veux réitérer à cette tribune le soutien des écologistes à la réforme de la politique pénale que vous vous annoncé dès votre entrée en fonction et que nous espérons mise en débat rapidement.