Vote blanc : un pas en avant pour une démocratie perfectible
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le fonctionnement de notre démocratie est perfectible et il nous appartient de le rendre plus légitime et plus respecté. Le pas, certes timide, que nous allons faire aujourd’hui y contribue. Il ne s’agit pas, comme on a pu le dire et l’écrire, d’une reconnaissance totale et entière du vote blanc, mais d’une prise en compte des bulletins blancs. Ce texte permettra pour la première fois de dénombrer les électeurs insatisfaits devant l’offre politique et qui expriment cette insatisfaction. Je forme le vœu que les débats concernant la reconnaissance du vote blanc ne s’achèvent pas définitivement aujourd’hui. Nous, élus écologistes, nous continuerons à œuvrer pour sa reconnaissance pleine et entière, comme je l’ai déjà dit en commission.
Le vote de cette proposition de loi est néanmoins l’aboutissement d’un long parcours pour une plus grande démocratisation dans la prise en compte des suffrages et d’une controverse qui dure depuis déjà trop longtemps. Pas moins de vingt-six propositions de loi demandant la reconnaissance du vote blanc ont été enregistrées sous les quatre dernières législatures. Cette prolifération de textes illustre bien l’importance accordée à ce sujet enfin porté au débat législatif cette année. La mobilisation citoyenne pour la reconnaissance du vote blanc, qui s’exprime dans de nombreuses associations, a également participé à l’arrivée du débat dans cet hémicycle.
Si, à une autre époque, le sujet du vote blanc a pu paraître intéressant d’un point de vue intellectuel mais anecdotique d’un point de vue politique, ce n’est plus le cas aujourd’hui, dans un contexte de défiance à l’égard du personnel politique et d’insatisfaction à l’égard de l’offre électorale. On ne peut plus continuer à considérer que celles et ceux, parmi nos concitoyens, qui ne s’accommodent pas de l’offre électorale se désintéressent de la politique, et les mettre devant l’alternative suivante : voir leurs votes rangés dans les bulletins nuls, ou rejoindre cette abstention qui croît et doit à juste titre nous inquiéter et nous mobiliser toutes et tous. Ce que l’on omet souvent de dire, c’est que les poussées d’abstention électorale s’accompagnent également de fortes proportions de votes blancs.
L’analyse politique doit donc être différente. Contrairement à ce que l’on prétend parfois, l’abstention non plus n’est pas le signe du désintérêt des électeurs pour le vote et le fait politique. Les citoyens dans leur ensemble sont au contraire très attentifs. L’abstention, tout comme le vote blanc, est le signe d’un mécontentement face à l’offre politique. L’argument qui consiste à affirmer que toute personne qui veut contester l’offre politique peut contribuer à l’améliorer en se présentant lui-même comme candidat ou en militant au sein d’un parti ne tient pas. Dans une France qui connaît de fortes inégalités sociales, où la reproduction des élites va de pair avec une panne de l’ascenseur social et où l’on assiste à une ghettoïsation croissante de certains territoires, cette argumentation méconnaît les difficultés de l’engagement. Qui plus est, nos processus électoraux, avec les investitures internes des partis, toujours perfectibles aussi, peuvent être un frein à la candidature de ceux qui souhaiteraient proposer une offre différente.
Aux élections présidentielles de 1995 et de 2002, le vote blanc et nul représentait environ 2 millions de suffrages. Le record de 6,32 % a été atteint au second tour des législatives de 1997. Pouvons-nous laisser de côté l’expression de 2 millions d’électeurs ? Il nous appartient donc, en tant qu’élus en premier lieu et en tant que citoyens responsables ensuite, de prendre la pleine mesure de cette désaffection.
Chaque avancée en matière de procédure électorale et chaque progression démocratique de nos modes de suffrage se sont accompagnées de longues hésitations, de peurs et de rejets de la part de la classe politique. Le suffrage universel direct, l’isoloir ou le vote des femmes sont autant d’avancées qui ont été considérées, en leur temps, comme contestables. Il n’y a pas à avoir peur du vote blanc.
C’est une plus grande transparence, mais c’est aussi un signe de considération et de respect adressé à nos électeurs. Actuellement, l’article L. 66 du code électoral français assimile le vote blanc à un vote nul. Pourtant, la différence entre les deux est essentielle. Le vote blanc exprime un refus, une réaction négative peut-être, qui manque sans doute de données interprétatives, mais une réaction tout de même : c’est un acte citoyen de vote. L’électeur que nous ne voulons pas entendre s’exprime pourtant. Nous aimerions trouver une solution idéale, durable et solide, qui mettrait fin au phénomène de l’abstention. J’ignore si la prise en compte du vote blanc en est une, ou si elle peut contribuer à une plus forte mobilisation électorale, mais je sais qu’elle garantit à tous les citoyens la possibilité de manifester, par ce vote, qu’ils n’ont aucun représentant ou que leur volonté politique n’est pas présente dans l’offre électorale.
Le président de la commission des lois, auteur d’une proposition de loi à ce sujet, écrivait que « la reconnaissance du vote blanc […] peut permettre une forme d’expression de défiance vis-à-vis de l’offre politique proposée, qu’il est utile et juste de prendre en considération ». Nous partageons ce point de vue. Si le groupe écologiste compte voter ce texte – et j’entends l’appel à la modération que nous a adressé ce matin notre rapporteur, M. Sauvadet –, comme nous l’avions fait en première lecture, nous voulons aussi manifester une forme d’insatisfaction face à la timidité de l’avancée proposée.
Nous avons déposé plusieurs amendements au texte. L’un deux portait sur la question des enveloppes vides glissées dans l’urne, qui fait débat avec le Sénat. Cette pratique est en effet considérée par le législateur comme un vote nul. La commission des lois, heureusement, a bien voulu adopter cet amendement. Nous savons qu’il existe un obstacle constitutionnel à la prise en compte, dans toutes les élections, du vote blanc dans les suffrages exprimés. En effet, selon l’article 7 de la Constitution, le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. À moins de modifier l’article 7, il faut donc exclure les votes blancs des suffrages exprimés au second tour de l’élection présidentielle et des référendums. C’est aussi le sens de l’amendement que nous avons déposé. Pour les autres élections, je ne crois pas que les problèmes soulevés soient d’une très grande gravité, même si j’entends l’argument sur l’affaiblissement de la représentation.
De nombreux arguments contre la reconnaissance du vote blanc ont été invoqués au cours des débats. En réalité, des solutions existent pour parfaire nos modes de scrutins et elles sont déjà mises en œuvre dans certains pays. Permettez-moi de vous parler un peu de ma circonscription, car j’observe dans de nombreux pays d’Amérique latine et des Caraïbes des solutions démocratiques plus satisfaisantes, dont nous devrions peut-être nous inspirer. La Colombie, l’Uruguay, le Brésil et le Pérou comptabilisent les votes blancs. Pour ce dernier pays, lorsque les deux tiers des électeurs votent blanc, le scrutin est annulé, ce qui leur confère en quelque sorte un droit de veto. Les amoureux de la démocratie directe, du référendum à tout va sauront reconnaître l’intérêt d’un tel dispositif.
L’un des arguments souvent invoqués contre le vote blanc est la crainte que celui-ci ne devienne majoritaire ou trop important et qu’il ne fausse ainsi la répartition des voix et le scrutin. Là encore, cette crainte peut être évacuée par des dispositifs innovants. La Colombie a ainsi trouvé une réponse pour parer à cette hypothèse : sa législation prend en compte le vote blanc dans le calcul des seuils, mais non dans la répartition des sièges. En vérité il existe fort peu d’arguments valables pour s’opposer à la reconnaissance du vote blanc.
Les écologistes, en matière électorale, ont beaucoup expérimenté et nous intégrons le vote blanc, en le comptabilisant et en le considérant comme un suffrage exprimé. Nous pensons qu’il doit en être de même à l’échelle de la nation. Ce qui fait aujourd’hui consensus, c’est le fait de dénombrer à part les bulletins blancs, sans pour autant les inclure dans le calcul des suffrages exprimés. Les bulletins blancs seront comptés parmi les votants, mais il n’y aura pas de graphique, le soir d’une élection, avec le pourcentage des votes blancs inclus dans le résultat obtenu par les candidats. La proposition de loi examinée en première lecture suggérait que les votes blancs entrent en compte pour la détermination des suffrages exprimés et c’est aussi ce que mon groupe aurait souhaité. À défaut de consensus sur cette question, nous soutenons l’avancée, en espérant que le texte, puisqu’il ne semble pas pouvoir être appliqué, selon la volonté du Gouvernement, pour les prochaines élections municipales, le soit néanmoins un jour. Il faut sur cette question un engagement clair de la part du Gouvernement. Le plus tôt sera le mieux. C’est tout ce que je souhaite.
EXPLICATION DE VOTE
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.
Sergio Coronado. J’ai exprimé tout au long des débats en commission et en séance un double souci. Mon premier souci, encouragé par les invitations du rapporteur et les différents intervenants, était celui du compromis, qui doit permettre de voter un texte le plus proche possible de celui du Sénat afin de faciliter la navette malgré les oppositions que certains de nos collègues sénateurs peuvent avoir.
Le second souci, que je partage avec les trente-huit personnes qui ont voté l’amendement présenté par le groupe UDI, est celui de l’application effective de ce texte. Constater comme nous l’avons fait ce matin qu’il existe un consensus presque unanime sur cette proposition de loi – ce fut d’ailleurs le cas en première lecture – n’aurait pas de sens si celle-ci connaissait le même enlisement que toutes les autres initiatives d’origine parlementaire.
Les écologistes sont payés pour le savoir : à chaque niche parlementaire, nous avons vu nos propositions renvoyées en commission ou amendées de façon à être vidées de leur contenu.
Je pense par conséquent que nous n’avons pas intérêt à jouer la montre. Il y va du respect des pouvoirs du Parlement. À cet égard, il faut que le Gouvernement s’engage très clairement et très précisément. J’ai annoncé que je voterais ce texte, j’ai fait les pas nécessaires pour que ce compromis puisse être acceptable par la majorité ; il appartient maintenant au Gouvernement de s’engager clairement sur son application, sans quoi tout cela n’aurait aucun sens et relèverait de la pure posture, voire de la simple manœuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
Je ne fais aucun procès d’intention : je ne crois pas que ce soit la volonté du Gouvernement de jouer à ce jeu-là.