Une consultation sans précédent sur les conditions d’incarcération
Pour la première fois, les personnes détenues vont être consultées, par questionnaire individuel, sur les conditions d’incarcération dans les prisons françaises.
L’opération a été lancée, mercredi 24 mai, par l’Observatoire international des prisons (OIP). Elle a obtenu la participation du médiateur de la République et le feu vert du ministère de la justice.
Les 60 000 prisonniers, leurs familles, mais aussi les 23 000 surveillants, les 7 700 magistrats, les 45 000 avocats et les quelque 25 000 intervenants du milieu carcéral sont invités à y participer. Pour l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, qui prête son concours à l’initiative, il s’agit d' »une entreprise sans pareille » et d' »une rupture du silence carcéral« .
Six ans après deux rapports parlementaires sur la question des prisons, ses promoteurs comptent sur cette démarche « citoyenne » pour faire aboutir une réforme toujours différée. « Enfin, nous aurons la parole des détenus pour un projet qui aura recueilli l’accord de tous les acteurs concernés« , a ajouté M. Badinter, mercredi.
La consultation formera le socle des Etats généraux de la condition pénitentiaire, qui doivent accoucher d’un projet soumis aux candidats à l’élection présidentielle. Initiée en mars par l’OIP, l’opération réunit les principaux syndicats de magistrats, les organisations d’avocats, deux syndicats de personnels pénitentiaires, la Ligue des droits de l’homme, Emmaüs France et la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars).
« PRÉPARER UNE RÉFORME »
- La consultation balaie cinq thèmes :
le fonctionnement du service public pénitentiaire, la vie quotidienne en prison, les régimes de détention (détention provisoire, quartier disciplinaire, etc.), la préparation à la sortie ainsi que les alternatives à l’emprisonnement.
Faut-il « favoriser la communication des personnes détenues avec les médias », « reconnaître le droit de grève aux surveillants et aux travailleurs sociaux », « assurer à chaque détenu l’accès à un revenu minimal » ? Doit-on « développer les permissions de sorties pour consulter un médecin à l’extérieur », « respecter la séparation des prévenus et des condamnés », « augmenter les effectifs des juges d’application des peines » ? Sur tous les sujets, les personnes consultées sont invitées à désigner les actions à entreprendre en priorité. « Les questions ne traduisent pas les programmes militants de nos différentes organisations, mais visent à préparer une réforme« , a insisté Patrick Marest, secrétaire général de l’OIP.
Les questionnaires arriveront dans les prisons à l’adresse des directeurs d’établissement. Puis du 6 au 20 juin, les délégués du médiateur de la République se déplaceront dans les prisons pour les remettre en mains propres aux détenus, lors de l’ouverture des portes des cellules pour le repas. Le médiateur, Jean-Paul Delevoye, a précisé, mercredi, que 115 de ses 300 délégués participeraient à l’opération, « couvrant » ainsi 41 000 détenus. Dans les autres régions, l’administration pénitentiaire s’est engagée à mettre à disposition les questionnaires dans les lieux de passage des détentions.
Jusqu’au 31 juillet – date butoir -, les réponses pourront être renvoyées sous enveloppe T au médiateur. Celui-ci assurera la confidentialité (les courriers qui lui seront adressés ne seront pas ouverts) et la neutralité de la consultation. Les autres acteurs du monde carcéral – personnels, avocats et magistrats – répondront sur le site Internet des Etats généraux (www.etatsgenerauxprisons.org).
« C’est la première fois que nous travaillons dans le cadre carcéral, a expliqué Jérôme Sainte-Marie, directeur de BVA Opinions, institut qui assurera le traitement du questionnaire. Mais ce type de public, qui ne voit pas souvent sa parole sollicitée, reçoit généralement de façon très positive les études. » De nombreuses incertitudes pèsent cependant sur la réussite de l’opération. « Le succès dépendra beaucoup des personnels pénitentiaires, a souligné M. Badinter. Il pourra y avoir d’un côté des réactions de défiance, de l’autre une volonté militante. Ce sera difficile. » Le dépouillement aura lieu en septembre. La clôture des Etats généraux est prévue à la mi-novembre.
Nathalie Guibert
P.S. :
– Article paru dans l’édition du journal Le Monde du 26.05.06