Surpopulation carcérale : plus d’atermoiements
On connaît tous la meilleure façon de marcher qui consiste à mettre un pied devant l’autre et de recommencer. Assez curieusement, chacun semble ignorer la meilleure façon de mettre un terme à la surpopulation carcérale. Il s’agit pourtant là aussi d’avancer. Elle consiste à n’installer qu’une personne là où il n’y a qu’une place et de ne pas déroger. Nous avons dit la meilleure façon et, tout aussi affirmatif, nous disons la seule. Pour la simple raison qu’il n’y en a pas deux. La loi nous dit tout de l’organisation de la détention (encellulement individuel depuis 1875) et tout de la surface dévolue à une personne (moins de 11 m² = une place).
Nous savons qu’une démocratie se juge aussi à son degré de réactivité aux critiques audibles qui lui sont faites. Force est de constater qu’en prison, et concernant la surpopulation, nous atteignons le degré zéro de la démocratie : les rapports accablent dans le désert, les associations colloquent dans le vide, les médias informent en rond, l’administration pénitentiaire n’en peut plus et les politiques affichent tous les signes de l’impuissance. Parce que tout est dit. Parce qu’il n’y a rien qui ne se sache. Et parce que rien ne change, ou si peu.
Mettre un terme à la surpopulation carcérale ne dépend ni d’un prochain état des lieux – ils sont là tout frais sur nos étagères. Ni d’un prochain scandale en cellule – les journaux nous en servent un par jour. Ni de la création d’une nouvelle association spécialisée – elles existent et font leur travail.
Mettre un terme à la surpopulation carcérale ne dépend pas non plus d’un nouveau plan de construction ambitieux : nous aurons construit ces vingt dernières années pas moins de 30 000 places de prison sans régler le problème de la surpopulation, quand bien même certaines de ces places se substituent à des fermetures d’établissements.
LA COUPE EST PLEINE
Un semblable et nouveau plan peut être annoncé demain : s’il n’est pas dit que dans une place n’est installée qu’une personne, la surpopulation carcérale et son cortège de plaies infligées au corps du détenu comme à son psychisme subsisteront dans cent ans.
L’usage des sanctions autres que la prison, des aménagements de peine, d’un recours limité à la détention provisoire forgent les clés essentielles qui ouvrent à la résolution du problème. Comme le répètent en vain les experts en tous genres. L’autorité de l’Etat est minée quand il a l’art de transformer le coupable en victime et quand l’indignité s’ajoute à la répression des infractions, communément admise.
La fin de la surpopulation carcérale dépend entièrement du président nouvellement installé pour cinq ans au sommet de l’Etat qui décidera sereinement d’en finir désormais avec une certaine forme de barbarie qui consiste à mettre deux, trois, voire quatre personnes dans une place, une toute petite place.
Exiger le respect des règles pénitentiaires européennes demande-t-il du courage ?
Exiger le respect de la dignité de la personne appelle-t-il de l’audace.
Pas sûr aujourd’hui : la coupe est pleine.
La loi du 15 juin 2000 stipulait que le 15 juin 2003 serait la date qui verrait la cellule n’être partagée qu’à la demande du détenu. La loi du 12 juin 2003 relative à la sécurité routière repoussait de cinq ans l’entrée en vigueur de cette disposition.
La date du 12 juin 2008 devra-t-elle souffrir de nouveaux atermoiements ?
Sera-t-elle celle qui honorera la promesse que le candidat Sarkozy faisait en avril 2007. Au collectif Trop c’est trop, campagne pour le respect du numerus clausus en prison, qui lui demandait : « Vous engagez-vous à respecter la norme qui consiste à ne mettre qu’une personne là où il n’y a qu’une place ? Et dans quel délai ? », il a fait cette réponse : « Oui, je m’y engage et le plus vite possible (…). Il ne sera plus possible, en France, d’obliger un détenu à partager sa cellule » (1).
Inéluctablement, la décision sera prise de mettre un terme à la surpopulation carcérale en exigeant qu’une même place ne soit attribuée qu’à une seule personne.
Monsieur Sarkozy, Madame Dati, Mesdames et Messieurs les parlementaires, c’est l’heure.
(1) Lyon Capitale, 3 avril 2007.
Christian Charrière-Bournazel, avocat au barreau de Paris ;
Daniel Cohn-Bendit, député européen ;
Nancy Huston, romancière, essayiste ;
Albert Jacquard, généticien ;
Michelle Perrot, historienne ;
Pierre Saglio, président d’ATD Quart Monde ;
Bertrand Tavernier, cinéaste ;
Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche, CNRS ;
Bernard Bolze, coordinateur de Trop c’est trop, Campagne pour le respect du numerus clausus en prison.
Article paru dans l’édition du 12.01.08