Stratégie territoriale et polices : quelle doctrine d’emploi pour les polices municipales ?
Intervention d’Emilie Thérouin lors du colloque sur le futur de la prévention organisé les 27 et 28 juin à l’Assemblée nationale par le FFSU et l’ACSÉ, tirée de son blog
Nous ne pouvons aborder les questions autour des polices municipales sans rappeler la nécessaire clarification de la gouvernance de la sécurité dans le paysage français.
Nous faisons face actuellement à une gouvernance locale de la sécurité, qui semble plus ou moins subie par les collectivités locales, communes et conseils généraux en premier chef. Je souhaitais rappeler que la petite musique du désengagement de l’Etat doit être nuancée. Pour ma part, je trouve que l’État tient depuis quelques temps le stylo du chéquier des maires en choisissant à les efforts communaux, que ce soient au sujet de la vidéosurveillance ou le développement des polices municipales.
Même si un certain nombre de mes collègues élus le refusent, la commune et le maire occupent un rôle central en matière de prévention de la délinquance et de sécurité. Que ce soit assumé par les élus ou non, la commune “produit” et influe sur la sécurité : avec l’ensemble des politiques publiques locales, l’urbanisme, la prévention situationnelle, la médiation sociale, la prévention de la récidive, la réinsertion, en exploitant de la vidéosurveillance et bien entendu en employant des policiers municipaux.
La demande de sécurité de nos concitoyens est forte. La sécurité locale ne doit pas reposer sur les seules épaules des agents de police municipale. Les polices municipales ne peuvent plus être conçues “hors sol”. Les agents de police municipales ont un rôle crucial à jouer en matière de prévention de la délinquance et de sécurité, au titre de l’application des pouvoirs de police, mais pas uniquement. Le rôle des policiers au sein de la collectivité doit être bien défini, considérant une parfaite complémentarité avec la police nationale et la gendarmerie.
Au sein du Forum français pour la sécurité urbaine, si nous ne sommes pas encore accordés pour définir une doctrine d’emploi commune, nous avons adopté une récente résolution indiquant ce que nous ne souhaitions pas que soient les polices municipales : pas des supplétifs ou des “sous-produits” de la police où une concurrence et un flou seraient entretenus, mais un corps reconnu qui a toute sa place au sein de la Fonction publique territoriale.
Voilà bien deux préalables à la définition d’une doctrine d’emploi pour les polices municipales. Mais qu’entendons-nous par “doctrine d’emploi” ? Il ne s’agit pas simplement de définir des missions prioritaires, j’y ajouterai de s’accorder sur une identité, des valeurs, un savoir-faire, un “savoir-être”.
Il existerait trois doctrines d’emploi pour les polices municipales qui ne sont pas stabilisées : police évènementielle et consensuelle, police de proximité, police d’intervention. Par exemple à Amiens, nous avons défini au début du mandat municipal de 2008 une doctrine d’emploi : La police municipale d’Amiens se doit d’être exemplaire, privilégie la prévention, la dissuasion, le dialogue et le service aux personnes. Véritable de proximité, elle doit être polyvalente, à l’image consensuelle et rassurante. Validée par les élus puis traduite et mise en œuvre par les agents, la doctrine d’emploi s’est traduite par la disparition d’unités spécialisées d’intervention sur voie publique ou de prévention, l’abandon ou l’évolution de certaines missions, ou encore, par un renforcement des postes de quartier.
S’accorder sur une doctrine d’emploi pour les polices municipales nécessitent l’existence d’une doctrine d’emploi pour la police nationale, que, j’avoue, ne pas avoir détecté.
A mon sens, les polices municipales devraient être davantage reconnues comme acteurs de la sécurité à part entière. Mais les polices municipales ne trouveront le salut que si le législateur redéfinit les contours de la loi-cadre de 1999. En termes de compétences, il est indispensable d’arrêter le phénomène de “juridiciarisation” qui éloigne les agents des citoyens, poussent à la politique du chiffre et pas la culture du résultat, et de la satisfaction des usagers. Beaucoup de dérives ternissent l’image des polices municipales. Deux corps d’inspection indépendants doivent être créés au sein de la Fonction publique territoriale et au sein du ministère de l’Intérieur.
La doctrine d’emploi ne saurait s’entendre sans offrir un équipement adapté. Opposée à la généralisation de l’armement de 4ème catégorie (armes à feu, Taser, Flashball), je prône l’obligation de l’armement de 6e catégorie (tonfa, gaz lacrymogène) et de moyens de protection individuels. Les véhicules doivent être également cohérents avec les missions prioritaires. Comment faire de la proximité avec un gros 4×4 sérigraphié ? Nous devons privilégier les patrouilles pédestres, en vélo et à cheval. La question des uniformes doit être reposée pour pouvoir mieux différencier les municipaux des autres forces de sécurité.
Enfin, il convient de repenser la formation initiale et continue des agents de police municipale au sein de la Fonction publique territoriale. Je préconise la création d’écoles de police municipale rattachées à chaque centre de gestion interrégional du CNFPT. La formation continue offerte en matière d’armements de dotation doit être rendue obligatoire, contrôlée et gérée uniquement par le CNFPT. Un large panel de formations adaptées doit être proposé aux communes concernant la gestion du stress, la rédaction d’écrits professionnels, la résolution des conflits, le management… Mieux former les agents de police municipales certes, mais il convient également former les élus locaux et de compléter la formation des fonctionnaires de police et de la gendarmerie. Les échanges et les cours en commun doivent être généralisés, mais les formations des APM type armements ne doivent plus se faire dans les locaux et sous les consignes des moniteurs de tirs des forces de l’État.
La délinquance évolue et les agents de police municipales se retrouvent bien trop souvent seuls sur le terrain face à des situations difficiles voire dangereuses. L’efficacité des polices municipales en tant que police de proximité ne pourra être entendue que si et seulement si le ministère de l’Intérieur et le législateur définissent plus strictement le rôle des effectifs de la sécurité privée, et réaffirme une doctrine d’emploi claire et stable aux forces de l’État. Une meilleure répartition des effectifs de police et de gendarmerie est enfin posée, avec la création prochaine de zones prioritaires de sécurité, que j’approuve totalement.
Pour conclure, je rappellerai que la sécurité n’est pas que l’affaire de l’État ou une question d’effectifs de police. La sécurité, c’est avant tout une affaire locale où les communes ont un rôle incontournable à jouer. Qu’elles ne veuillent ou non. Comme l’a rappelé Christian Mouhanna précédemment, la remise en place d’une police de proximité est une condition nécessaire à la sécurité mais pas suffisante.