Simone Lafleur, 71 ans, «morte en prison, pour rien»

Richard Dumas peine à parler. S’énerve : «Vous n’êtes jamais rien devant la justice.» Puis : «Quand j’ai veillé le corps de ma mère, il y avait deux voitures de policiers en permanence pour me surveiller. Mais pour s’occuper de la santé de ma mère, ça non. Morte en prison, pour rien. Vous vous rendez compte ? Elle était malade, gravement malade.» Mardi, devant le doyen des juges d’instruction auprès du tribunal de Nice, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée après le décès en prison de Simone Lafleur, pour non-assistance à personne en danger et homicide involontaire. Elle avait 71 ans. Une juge d’instruction au pôle financier de Paris, Maryse Leroux, voulait à tout prix l’entendre pour une affaire vieille de six ans. Simone Lafleur est morte quelques heures à peine après avoir été interpellée à Grasse.

La juge se dit, aujourd’hui, attristée. Ne veut rien dire de plus. A l’évidence, pour elle, chacun a fait son travail, rien que son travail. Car le dossier qu’elle instruisait était, dit-on, lourd : une affaire d’escroquerie aux statues de jade de plusieurs millions d’euros. Des bandes, bien organisées, sont arrivées à vendre des statues, présentées comme historiques, à des gogos très riches. Certains membres de la famille de Mme Lafleur sont impliqués. Une affaire si tendue que la juge a bénéficié, un temps, d’une protection policière.

«Ses mains tremblent». Le mois dernier, six ans donc après les faits, la juge décide d’interroger Simone Lafleur. Elle habite près de Grasse. Son adresse est connue. Ses comptes en banque auraient pu servir de lieux de transit aux transactions. La juge évoque une éventuelle mise en examen «pour escroquerie en bande organisée et blanchiment». Et délivre un mandat d’amener. Le 10 mai, des gendarmes de Paris l’arrêtent sans aucune difficulté. Et la conduisent, en fin de matinée, à la gendarmerie de Cagnes-sur-Mer. «Je suis prévenu vers 11 heures, raconte son fils. Je savais que cela allait la secouer. J’ai aussitôt pris son dossier médical et ses médicaments. J’ai pris de l’eau aussi. Vous savez, ma mère est très malade, elle est diabétique, elle fait des oedèmes pulmonaires.» Il raconte : «Quand je la vois au commissariat, elle est nerveuse. Je la trouve très blanche. Je la console un peu.» Un médecin légiste passe. Reste peu de temps. Note dans son certificat : «Etat de santé compatible avec le mandat d’amener, sous réserve de poursuite du traitement médicamenteux.»

Comme le veut la procédure, faute de pouvoir être transférée aussitôt à Paris, Simone Lafleur est conduite devant le substitut du procureur. Il est 14 heures. La vieille dame fait part à nouveau de son mauvais état de santé. Le substitut est perplexe. Il téléphone à la juge parisienne, qui maintient sa décision. «Il y a un certificat du médecin disant qu’elle peut être incarcérée», rappelle le procureur de Grasse. Devant le substitut, Simone Lafleur l’alerte une nouvelle fois : «Je tiens à signaler que j’ai des problèmes de santé et que je suis astreinte à un traitement rigoureux pour le coeur, insuffisance rénale et diabète. Je consens à être transférée et je demande, pour que cela ne nuise pas à mon état de santé, que cela se fasse le plus rapidement possible.»

En fin d’après-midi, à son arrivée à la prison de Nice, un surveillant la prend en charge. Et s’inquiète ouvertement. Il raconte, par écrit, «que ses mains tremblent de façon importante». Il ajoute : «Vu l’état apparent précaire de sa santé, vu la quantité considérable de médicaments dans ses sacs, nous avons jugé préférable qu’elle soit dirigée vers le médecin de l’établissement, et ce de manière urgente.» Ce qui est fait, mais cela ne change rien à l’implacable logique : peu après, elle est incarcérée dans une cellule avec trois codétenues. «Le lendemain matin, raconte son fils, je reçois un appel de l’assistance sociale de la prison qui me demande d’apporter des vêtements. C’est tout.» A 17 heures, la directrice de la prison l’appelle. «Votre maman est décédée.» En début d’après-midi, alors que les codétenues n’étaient plus dans la cellule.

Geste peu habituel. «On va parler d’un enchaînement de malheureuses circonstances, lâche Françoise Cotta, avocate de Richard Dumas, avec Claude-André Chas. On va évoquer le stress de la détention. Quand on est en situation d’accusée, on ne vous croit pas, alors qu’il était évident pour tous que c’était une femme très malade.» Pierre-Olivier Sur, avocat de la partie civile dans le dossier, n’accuse personne. «Dans cette affaire, je comprends la décision du juge d’un mandat d’amener, eu égard à toutes les surprises qui ont jalonné l’instruction et à toutes les manipulations dont la justice a été victime. S’il y a une responsabilité, ce n’est pas un problème de procédure, mais plutôt de diagnostic médical.» Seule, la directrice de la prison de Nice osera un geste peu habituel ; après le décès, elle autorise le fils à entrer dans la prison pour se recueillir quelques instants devant le corps de sa mère.

Richard Dumas ne sait plus quoi dire. «Cela ne sert à rien, vous parlez à un mur.» Ses avocats se montrent accusateurs dans la plainte : «Le fait d’avoir ignoré cet état de santé constitue les délits de mise en danger d’autrui, de non-assistance à personne en danger et d’homicide involontaire.» Ils précisent : «Ni le magistrat instructeur, ni les officiers de police, ni le médecin légiste, ni le personnel d’accueil de la maison d’arrêt, ne pouvaient ignorer la gravité de l’état de santé de madame Lafleur.»

Selon toutes vraisemblances, l’autopsie parlera de «mort naturelle».

par Eric FAVEREAU
QUOTIDIEN : vendredi 19 mai 2006


P.S. :
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