Réponse d’Eva Joly à l’ACAT – France
L’ACAT – France a interpellé l’ensemble des candidates et candidat à l’élection présidentielle sur 11 points fondamentaux.
Le compte-rendu des réponses peut être lu sur le site de l’ACAT, et la réponse d’Eva Joly est ci-dessous.
Monsieur François Walter Président de l’ACAT – France 7 rue Georges Lardennois 75019 Paris Paris, le 15 mars 2012
Monsieur le Président,
En 30 ans, la population carcérale et la longueur des peines de prison ont doublé, sans que cette hausse ne soit corrélée avec la courbe de la délinquance. La surpopulation et l’inflation carcérale aboutissent à la multiplication des centres pénitentiaires, construits sur des normes de plus en plus sécuritaires, sans que les conditions de détention soient pour autant améliorées. La création de nouveaux délits, la chasse aux sans-papiers et aux usagers de drogues, la criminalisation des malades mentaux, l’enfermement de mineurs engorgent les prisons, aggravant les conditions de détention et empêchant tout travail sur la réinsertion.
C’est pourquoi il est indispensable qu’un numerus clausus soit établi à une personne détenue par place de prison. Le droit à l’encellulement individuel, prévu par les Règles pénitentiaires européennes et le droit français sera respecté. Associé à un moratoire sur la construction de nouvelles places, il serait le meilleur moyen pour mettre fin à la surpopulation et à l’inflation carcérale. Les nouvelles constructions se limiteraient ainsi au remplacement d’établissements vétustes et indignes.
Au-delà de conditions de détention plus dignes pour les personnes incarcérées, il est indispensable de mieux garantir les droits des personnes détenues. Nous souhaitons la suppression ou la limitation très strictes (et encadrées par un médecin) des fouilles corporelles intégrales. Nous souhaitons également un retrait des pistolets à impulsion électrique en détention. Ces mesures doivent aller vers un renforcement des droits à la santé, à l’éducation, au maintien des liens familiaux, à l’expression collective, à la formation, au vote, à la sexualité.
Mais l’amélioration des conditions de détentions et la garantie des droits des personnes détenues doivent s’accompagner par la mise en place d’une véritable politique de réinsertion et d’aménagement des peines. Un programme ambitieux devra être mis en place pour améliorer la formation, l’éducation, le travail et les activités en détention. Les prisons seront plus largement ouvertes à la société civile.
Concernant la politique d’immigration, l’instauration d’objectifs chiffrés de reconduites à la frontière nous semble indigne. Concernant la rétention administrative des mineurs étrangers, qui s’est accentuée au début des années 2000, il s’agit effectivement d’une pratique inadmissible et contraire aux libertés et droits fondamentaux des intéressés.
Avec la fixation des objectifs chiffrés de reconduites à la frontière (dès 2003) et le ciblage des familles d’étrangers, le nombre de mineurs enfermés en raison de l’irrégularité du séjour de leurs parents est passé progressivement à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers en comptant l’Outre-Mer.
Sous prétexte de préserver « l’unité familiale durant toute la phase précédant l’éloignement effectif des étrangers en cause accompagnés de leurs enfants, notamment durant le placement en rétention administrative » , le Gouvernement actuel s’affranchit des obligations légales posées par le C.E.S.E.D.A (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit s’asile). L’article L511-4 de ce code prévoit, en effet, expressément qu’un mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement (sauf en cas de refoulement à la frontière). Ces pratiques inadmissibles sont, d’ailleurs, régulièrement dénoncées par les autorités administratives indépendantes telles (qu’en son temps) la défenseure des enfants, la CNDS, ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Ce dernier, dans son rapport 2011, rendu public il y a quelques semaines, dénonce à nouveau et à bon escient ces enfermements abusifs de mineurs étrangers en centres de rétention administrative ou en zone d’attente à la frontière.
Or, les autorités et les juridictions françaises se sont obstinées à considérer, à tort, que « la rétention d’enfants en bas âge ne heurtait pas en soi […] la Convention européenne des droits de l’homme ». Nous souhaitons donc que la France tire enfin les conséquences de sa condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 19 janvier 2012 et qu’elle cesse cet enfermement épouvantable de mineurs étrangers, qui constitue une triple violation de ces engagements conventionnels : l’article 5 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur le droit à la liberté et à la sureté, son article 3 sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et son article 8 concernant le droit au respect de la vie familiale.
Nous aspirons donc évidemment à ce que soit privilégié les mesures alternatives à la rétention des mineurs étrangers et que la République française cesse de se déshonorer en maintenant des enfants d’étrangers en instance d’éloignement dans des Centres de rétention administrative en toute illégalité en l’absence de base légale à cette rétention.
Par ailleurs, à coup de surenchère législative, le gouvernement a réduit le droit d’asile à peau de chagrin. Et cela dans la plus grande hypocrisie. D’un côté, la France se prévaut d’être une terre d’accueil généreuse. De l’autre, le demandeur d’asile est considéré un fraudeur en puissance, et cela au mépris de nos obligations européennes et internationales, Convention de Genève en tête. Il importe de changer totalement cette approche qui tend à se généraliser à l’échelle européenne.
Pour cela, je prendrai un ensemble de mesures visant à assurer un accès effectif à la procédure d’asile et l’exercice intégral des droits y afférents. Les procédures prioritaires seront supprimées et un recours suspensif pour toutes les procédures assuré, cela afin de permettre un examen de fond et équitable des demandes. Il s’agira également de renforcer les garanties procédurales, notamment en première instance, tout en réduisant le délai d’examen des recours. En plus d’offrir de meilleures conditions aux demandeurs d’asile, cela permettrait de redéployer ces ressources pour une meilleure utilisation. Renforcer la qualité de l’accueil pour pallier la crise actuelle du dispositif national est à cet égard prioritaire. Les inégalités que le système actuel engendre, l’obsession du résultat chiffré ne permettent pas d’offrir des conditions d’accueil et d’accompagnement dignes. A l’inverse le demandeur d’asile doit être accompagné, juridiquement et matériellement, à chaque étape de la procédure, tout en lui permettant de jouir pleinement de ses droits. Je pense notamment au droit du travail qui est essentiel pour permettre leur intégration. Au sortir de la procédure, les personnes qui se sont vues reconnaitre le statut de réfugiés tout comme celles qui ont été déboutées doivent être orientées vers des dispositifs d’intégration adaptés, qui assurent le suivi de leur situation.
Au niveau communautaire, le cap d’un système commun d’asile pour 2012 doit être maintenu: le manque de cohésion entre Etats membres est préjudiciable à la qualité des systèmes d’asile mais également à la crédibilité du projet européen. La France devra s’assurer que cela ne se traduise pas par une harmonisation vers le bas de l’exercice du droit d’asile. A cet égard, le système Dublin, totalement absurde puisqu’extrêmement coûteux et totalement inefficace, devra être repensé en profondeur. Il est urgent de faire en sorte que toutes les politiques menées par la France comme par l’Union européenne intègrent des considérations liées aux conditions de vie des populations des pays partenaires. Je relancerai, au niveau européen, le débat sur la directive retour et sur le rôle de Frontex qui ne peut rester le bras armé de l’Union européenne, notamment dans la zone méditerranéenne. J’aimerais faire de Frontex une agence de protection des droits des migrantEs lorsqu’ils traversent les frontières malheureusement aidés par des trafiquants aux méthodes barbares.
En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes salutations sincères,
Eva Joly