Réforme pénale : le soutien des écologistes à Christiane Taubira
C’est après une longue attente que nous allons enfin examiner le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines : cela fait plusieurs mois que nous attendions l’arrivée de ce texte présenté en octobre dernier en Conseil des ministres.
Ce temps de gestation de neuf mois n’a pas été inutile. Il a permis au rapporteur de mener à bien environ trois cents auditions, après avoir déposé un rapport sur la surpopulation carcérale que la commission des lois avait salué. Ce temps lui a également permis de conduire un travail de concertation avec l’ensemble des groupes de la majorité pour améliorer et enrichir le texte. Je le remercie pour cette ouverture et ce travail fait en commun.
Ainsi, les parlementaires que nous sommes ont pu réaliser un travail de fond, d’analyse du texte et de confrontation au réel, avec des visites de terrain comme celle que nous avons faite hier à la maison d’arrêt de Villepinte, avec Cécile Duflot, Elisabeth Pochon et Daniel Goldberg.
Le Parlement a eu le temps de jouer son rôle car, même s’il s’agit d’un texte d’initiative gouvernementale, il ne faut jamais oublier que nous sommes dépositaires du pouvoir législatif. Les équilibres issus du travail interministériel n’ont rien d’illégitimes, mais le travail d’amendement du Parlement a autant, si ce n’est plus, de légitimité. En définitive, ce sera notre texte et notre volonté.
L’opposition, quant à elle, a utilisé à sa manière le temps qui a précédé la discussion du texte. Le président de la commission des lois ayant ouvert la possibilité de dépôt, elle a pu déposer au dernier moment plusieurs centaines d’amendements, alors qu’elle n’en avait déposé que quelques dizaines dans un premier temps.
M. Georges Fenech. Et alors ?
M. Sergio Coronado. C’est votre droit ! Depuis des mois, cependant, les responsables de l’opposition mènent une campagne outrancière, non pas tant contre le projet de loi que contre la garde des sceaux elle-même. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.) Tout y passe : des statistiques biaisées, l’instrumentalisation des victimes, et surtout le déni des difficultés et des dysfonctionnements de notre système pénal, de la surpopulation carcérale, des taux de réitération et de récidives qui sont un danger pour notre sécurité et pour l’ensemble de la communauté nationale.
Surtout, l’opposition est en plein déni de la situation dont le Gouvernement a hérité. Votre bilan, chers collègues de l’opposition, devrait vous conduire à plus de modestie et d’humilité. Les dizaines de textes que vous avez adoptés n’ont pas fait progresser la sécurité dont chaque citoyen a besoin, même s’ils ont parfois fait progresser l’audimat, je vous le concède. Chaque fait divers a été exploité sans vergogne pour justifier les innombrables tours de vis législatifs qui ont jalonné la précédente législature. Des principes essentiels de notre droit ont été bouleversés. Les acteurs de la justice ont été dénigrés, accusés, jetés en pâture, désignés à la vindicte par le Président de la République lui-même. L’instauration des peines plancher a contredit l’individualisation des peines et le pouvoir d’appréciation du juge. De nombreux délits ont été criminalisés. Vous avez voulu que l’enfermement devienne la règle.
Pour quels résultats, en définitive ? Les crimes, délits et incivilités n’ont pas disparu, et les prisons n’ont cessé de se remplir. D’ailleurs, contrairement à vos allégations, l’entrée en fonction de la garde des sceaux n’a malheureusement pas eu d’effet sur cette situation : depuis en effet, des records d’occupation de nos prisons ont été battus.
En effet, la population carcérale n’a cessé d’augmenter : entre 2000 et 2014, elle a crû d’environ 30 % ; au total, 68 859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, ce qui représente une hausse de 2 % par rapport à l’année précédente ; en treize ans, la population carcérale a augmenté de 44 %, alors que la population n’a augmenté que de 8 %.
De deux choses l’une : ou bien la délinquance a explosé dans des proportions étonnantes et je ne tomberai pas dans l’outrance en rendant l’opposition responsable d’une situation qui n’est pas née le 6 mai 2012 – ou bien la justice emprisonne davantage.
Un examen de bonne foi montre à l’évidence que la justice française est sévère : la moyenne des peines fermes d’emprisonnement est passée d’environ huit mois à plus de onze mois entre 2007 et 2011 ; 30 % des peines prononcées, hors contentieux routier, sont de la prison ferme, contre 5,5 % par exemple chez notre voisin allemand.
Cette politique a eu un effet : celui d’établir un record de surpopulation carcérale. Malgré un programme intensif de construction de prisons qui a englouti le gros des crédits nouveaux et à venir de la justice, la vétusté de notre système pénitentiaire et sa surpopulation valent à la France des condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme pour traitements dégradants.
Les dispositifs d’alternatives à la prison, la réinsertion, le suivi des détenus, la prise en charge psychiatrique, ont été systématiquement négligés, comme le rappelait notre rapporteur dans son rapport sur la surpopulation carcérale et comme le notait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport d’activité 2013. La politique de prévention a connu à peu près le même sort.
Et les victimes, me direz-vous ? Elles ont été instrumentalisées, mais ont-elles été aidées, accompagnées ? Comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux, le budget qui leur était consacré a constamment diminué, d’environ 10 %, entre 2010 et 2012, si bien que les associations d’aides aux victimes ont dû réduire leurs permanences.
Toutes les décisions de la dernière mandature ont, non pas créé certes, mais participé à l’aggravation du phénomène de surpopulation carcérale. La loi de 2007 sur la récidive a instauré les peines plancher. La loi sur la rétention de sûreté de 2008 a limité les réductions de peines mais a créé une « peine après la peine », au mépris du principe fondamental selon lequel un individu ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits. Le Conseil constitutionnel en avait heureusement limité fortement la rétroactivité, précaution que la loi de 2009 sur la récidive criminelle a pu contourner. La loi pénitentiaire de 2009, qui a restreint l’exercice des droits fondamentaux des personnes détenues en donnant un pouvoir d’appréciation supplémentaire à l’administration pénitentiaire, est allée dans le même sens. La seconde loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, nie le principe d’individualisation des peines en appliquant désormais les peines plancher aux primo-délinquants et non plus aux seuls récidivistes.
Cette situation de surpopulation carcérale rend difficile l’accueil des prévenus, le suivi des condamnés, le travail de l’administration pénitentiaire et constitue un facteur important, sans être le seul, d’augmentation de la réitération et de la récidive. Lors de la visite que nous avons effectuée hier avec Cécile Duflot, les personnels de la maison d’arrêt de Villepinte ont employé ces mêmes mots. Mise en service en 1993, prévue à l’origine pour 588 places, Villepinte accueille aujourd’hui près de 1 000 détenus. Le Contrôleur général des lieux de privation de la liberté y avait noté l’extrême violence des relations entre les détenus et entre ceux-ci et l’administration pénitentiaire. Bien sûr, comme dans d’autres prisons, certains prévenus dorment à même le sol et la douche n’est possible qu’une fois tous les deux jours. Il n’y a pas quoi être fier de cette situation. Certes, vous ne l’avez pas créée, mais vous n’avez rien fait pour y remédier. Vous l’avez même aggravée.
Aujourd’hui, les sorties sèches, qui avaient été dénoncées avec vigueur par l’ancien président de la commission des lois M. Warsmann, sont la règle pour plus de 95 % des personnes condamnées à des courtes peines. Un tiers des détenus passe moins de trois mois en détention. Dès lors, quel est le sens de la peine, alors qu’il est impossible d’engager la moindre démarche de réinsertion ou de soins sur d’aussi courtes périodes ?
Nous savons que la situation est intenable. Comme l’ont dit plusieurs orateurs, nous connaissons tous l’ampleur des besoins : travailler en prison, se former, soigner ses addictions. Telle est la réalité des courtes peines. La situation qui consiste à se débarrasser des petits délinquants récidivistes en les enfermant quelques mois est une impasse.
L’enfermement ne saurait être la réponse à toutes les délinquances. La prison doit être une réponse adaptée à des actes de délinquance proportionnés. Pour être utile, efficace, et permettre au délinquant de réfléchir à son acte et ne pas récidiver, la privation de liberté, qui est la peine la plus lourde, doit répondre à des délinquances qui méritent cette privation. La prison doit préparer la réinsertion et ne pas devenir, comme c’est le cas aujourd’hui, l’école de la récidive.
Cette situation est coûteuse pour toute la communauté : certes pour les victimes au premier chef, mais la prison coûte cher à la collectivité sans beaucoup de résultats. Le coût moyen de construction d’une place de prison ces dernières années est de l’ordre de 120 000 euros. Les coûts d’incarcération sont également élevés : 85 euros en maison d’arrêt, presque 100 euros en maison centrale. Entre 1999 et 2014, le poids de l’administration pénitentiaire est passé de 28 % à 42 % dans le budget total de la justice.
La prison coûte plus cher que les peines alternatives, qui sont plus efficaces pour éviter la récidive. Un placement en centre de semi-liberté coûte environ 60 euros et un placement à l’extérieur, avec une prise en charge du condamné par une association d’aide à la réinsertion, à environ 30 euros. Enfin, le coût d’une journée sous surveillance électronique est de l’ordre de 10 euros.
Il fallait donc agir, et c’est le sens des propositions de Mme la garde des sceaux. Que contient le présent texte qui justifierait tant d’amendements de l’opposition et une telle déferlante d’attaques où se mêlent mensonges, approximations et instrumentalisation des peurs ?
Une telle charge est surprenante, une telle violence déplacée car, pour reprendre les termes du président de la commission des lois, c’est un texte à l’ambition mesurée, aux dispositions modestes et à la vocation tempérée. Il ne concerne ni les crimes, ni les mineurs. Il se concentre uniquement sur les délits qui, je vous le concède, représentent la délinquance du quotidien, celle qui « pourrit » la vie des gens : les vols, les dégradations de véhicules, la consommation et le petit trafic de stupéfiants, les délits routiers.
Je me disais tout à l’heure que nous étions extrêmement sévères à l’égard de cette petite délinquance, et très tolérant envers d’autres formes. Au moment des débats qui ont entouré l’affaire dite Cahuzac, pas un seul parlementaire n’a demandé une peine de prison pour ce ministre en déchéance, alors même qu’il avait reconnu les faits. Et je pense que si les faits de double facturation se trouvent confirmés par l’enquête de police et par l’instruction, personne dans cet hémicycle ne demandera non plus de prison ferme. Pourtant, c’est bien ce que l’on réclame, et tout de suite, pour le voleur de portables ou pour le petit trafiquant de shit !
M. Éric Ciotti. Il vaut mieux que vous ne soyez pas juge !
M. Sergio Coronado. Ne vous sentez pas visés par cette critique, elle nous concerne tous. Nous sommes tous sévères pour les petits délits et tolérants pour la délinquance en col blanc.
Ce texte ne prétend pas régler tous les dysfonctionnements et ne répond pas à tous les défis. Son ambition est mesurée, et c’est normal. Le projet de loi n’aborde pas, malheureusement, la rétention de sûreté, alors que son abrogation était un engagement du parti socialiste pendant la campagne présidentielle. Nous avons déposé un amendement en ce sens, car attendre la future réforme du code de l’exécution des peines nous paraît, pour tout dire, incertain.
La suppression des tribunaux pour mineurs, un autre engagement du Président de la République, ne figure pas davantage dans le texte. L’on nous dit qu’il faut attendre la refonte de l’ordonnance de 1945. Nous avons déposé là encore un amendement de suppression.
Ce texte vise essentiellement à combattre la réitération des actes délictueux, à éviter que la prison n’alimente la récidive et n’augmente le nombre de nouvelles victimes. Avec la contrainte pénale, il prétend améliorer le suivi des condamnés. Le sursis avec mise à l’épreuve entraîne en effet un suivi renforcé, avec des évaluations régulières.
Par ailleurs, le texte rend leur capacité d’appréciation aux juges en supprimant les peines plancher, ces peines qui avaient fait s’envoler le nombre d’années de prison – 4 000 années d’emprisonnement de plus par an, selon les chiffres de la Chancellerie. Il supprime les automatismes, que l’on retrouve dans les révocations automatiques des sursis simples et des sursis avec mise à l’épreuve. Il renforce le contrôle des obligations des justiciables en milieu ouvert, mais aussi à leur sortie de prison.
On aurait pu espérer un nouveau régime des peines fondé sur des alternatives à la prison, vous l’avez évoqué ici même, madame la ministre. Le jury de la conférence de consensus avait d’ailleurs esquissé une nouvelle architecture judiciaire autour de trois sanctions : amendes, peines de probation et prison pour les crimes. Il eût fallu pour cela s’attaquer à l’échelle des peines. Le Gouvernement a fait un choix plus « modeste », comme dit le président de la commission des lois, avec la contrainte pénale. Cette peine ne remplace pas les autres peines : il s’agit d’une sanction supplémentaire, qui s’ajoute à celles dont le juge dispose déjà. Elle peut être révoquée et donc conduire le condamné en prison. Contrairement à ce qui a été dit, le lien avec la prison est donc bien maintenu.
La nouveauté, c’est le suivi renforcé, et l’effort sans précédent que consent le Gouvernement en créant 1 000 postes de conseillers d’insertion et de probation. Si j’ai bien compris en lisant la presse, car ce n’était pas très clair en commission, le Gouvernement souhaite limiter la contrainte pénale aux délits passibles d’un maximum de cinq ans de prison. En plus d’amoindrir la portée de cette mesure, ce choix est incohérent, puisqu’aucune peine alternative a l’emprisonnement ne connaît ce type de limite. J’ai hâte de vous entendre sur ce point, madame la ministre.Nous avons voté l’amendement socialiste en commission, et personne ne sera surpris que nous maintenions cette position en séance. Nous vous ferons donc défaut sur ce vote-là, madame la ministre.
Les autres dispositions que contient le texte sont de bon sens. Avec le procès en deux temps, le tribunal pourra désormais prononcer la culpabilité lors d’une première audience et renvoyer sa décision à une seconde audience, après évaluation du comportement du condamné par les services d’insertion et de probation.
Afin d’éviter les sorties sèches de prison, sans mesure d’accompagnement, la réforme prévoit une libération sous contrainte : aux deux tiers de la peine, le juge examinera la situation de la personne condamnée et statuera sur une possible libération. En cas de sortie, le contrôle sera renforcé, avec des mesures de restriction, des rencontres avec un conseiller d’insertion et de probation ou encore l’interdiction de se rendre dans certains lieux et de rencontrer certaines personnes. Ce sera donc une peine en tant que telle, une peine même sévère par rapport à ce qui existe déjà.
Enfin, toute une série de mesures concernent les victimes, qui ont été oubliées ces dernières années. Elles pourront notamment être informées de la libération de leur agresseur. Les amendes imposées aux délinquants seront par ailleurs majorées de 10 % pour financer les associations d’aide aux victimes, que vous aviez négligées, je le rappelle.
Nous notons également la volonté de développer la justice restaurative, que les écologistes défendent depuis longtemps. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait décidé de déposer un amendement, semblable à celui que nous avions défendu en commission. Nous voterons cet amendement, qui marque un pas important. Les mesures de justice restaurative ont obtenu des résultats très intéressants à l’étranger, notamment au Canada, s’agissant des victimes, qui se sentent mieux prises en compte, et de la récidive, le tout avec un coût nettement moins important que celui de l’emprisonnement.
Madame la garde des sceaux, nous avons beaucoup de respect, et c’est je crois le sentiment de la majorité tout entière, pour la manière dont vous conduisez ces débats, par vents contraires et même souvent par gros temps. Vous devez faire face à des attaques souvent injustes, outrancières, sans toujours avoir la possibilité de vous défendre. L’opposition a parfois fait preuve de démagogie, vous accusant de tous les maux. Les écologistes, qui auraient souhaité une réforme au périmètre plus large, seront à vos côtés et soutiendront ce texte, qui reprend en partie les engagements du Président de la République.
Je voulais vous remercier : pour la première fois depuis de nombreuses années, un responsable de gauche, pour parler de délinquance, d’emprisonnement, de délits, a changé de vocabulaire et de ton, faisant entendre l’esprit de responsabilité et la raison, refusant de jouer sur les peurs et les sentiments. Ça, c’est un changement ! Vous avez refusé de vous placer sous l’empire de l’émotion. Cela fait du bien à entendre, pour le parlementaire de gauche que je suis.
Vous portez ce projet gouvernemental avec détermination et, à l’instar d’un autre projet emblématique, sans toujours les soutiens escomptés. Mais je sais que la majorité parlementaire ne vous fera pas défaut : les écologistes voteront ce texte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)