Pour une politique écologiste de sécurité
Trop longtemps les écologistes sont restés sans corpus idéologique sur les questions pourtant fondamentales de la sécurité, et ce, en dépit de nombreuses tentatives restées jusqu’alors sans succès. Essayez de poser une vision écologiste, c’est tenter de dépasser les contradictions entre volonté de mettre fin aux violences tout en s’affirmant non-violent, constater la nécessité d’un cadre étatique tout en souhaitant prioriser les solutions locales plus adaptées, prioriser l’action préventive tout en répondant à ses échecs.Les maux de notre société ne se résument pas à la délinquance contrairement à ce qu’affirme la droite, qui a délaissé chômage, inégalités, ou mal-logement. Pour autant, la sécurité publique n’en est pas moins une véritable préoccupation pour nombre de nos concitoyen-ne-s, singulièrement dans les quartiers populaires. Au-delà d’une réponse, à ce qui pour certain est une priorité, quand une société se dote de règle, il convient de les faire respecter. Cela vaut aussi bien pour les atteintes à l’environnement, les délits financiers, les violences conjugales, le grand banditisme que pour la délinquance de proximité.
La violence et la transgression des règles sont inhérentes à nos sociétés et se manifestent de façon variable. Si la montée de la violence n’est pas scientifiquement étayée, il n’en reste pas moins que la société de consommation a coïncidé avec l’explosion des atteintes aux biens. Dans une société productiviste où les inégalités s’accroissent, on tend à réduire la valeur des humains à leurs consommations. Pire, on réduit la consommation à un marqueur social, voire à une sorte de devoir patriotique. Le recours aux technologies de protection a entraîné une adaptation des formes de délinquance (violence acquisitive, déplacement de la délinquance, etc.). La hausse continue des violences aux personnes nous interroge toutes et tous. Pacifistes, les écologistes considèrent comme prioritaire la régulation de la violence faites aux personnes. Mais rajouter de la violence légale aux violences n’est pas une réponse en soi.
Face à une délinquance de plus en plus complexe, les lois répressives et sécuritaires se sont succédées. Dans les dernières années, on pourrait citer l’apparition des peines planchers et de la rétention de sûreté, le développement de la comparution immédiate et des justices d’exception ou l’inflation carcérale qui semble infinie (en trente ans le nombre de détenus à doublé en France).
Face à cette offensive très idéologique, au nom de la lutte contre un supposé angélisme dont elle devrait se repentir, la gauche n’affirme que très timidement qu’une action efficace contre la délinquance suppose de la prévention, la dissuasion, la sanction et la réinsertion. Quand certains souhaitent les opposer, il faut au contraire les coupler efficacement.
Préventions
À l’image des autres politiques publiques, les écologistes en appellent à la prévention. Cette prévention inclut prévention sociale et prévention situationnelle, en ce qu’elle améliore concomitamment conditions de vie et sécurité. La prévention situationnelle a souvent été mal comprise dans ses principes en France, seuls les impératifs de sûreté font prédominer via un urbanisme sécuritaire. La vidéosurveillance y occupe une place centrale, alors même qu’elle n’a jamais été évaluée scientifiquement en France et que les évaluations internationales sont des plus « mitigées ». Dans l’attente, les écologistes plaident en faveur d’un moratoire national sur la vidéosurveillance de voie publique.
La prévention situationnelle que nous préconisons fait appel au bon sens : celui qui doit guider l’aménagement des villes en faveur de ses habitants. Les écologistes s’attellent à mettre à disposition de leurs concitoyens des espaces publics de qualité et bien gérés. La prévention situationnelle écologiste interroge la ville et ses usages, préfère le bon sens et la veille aux artifices sécuritaires. L’amélioration de la sécurité par l’amélioration du cadre de vie et la reconquête des espaces publics par les citoyens.
Les dispositifs de prévention traditionnels, peu valorisés, se trouvent bien souvent délaissés dans les dernières années. La prévention sociale, le travail de terrain, l’insertion par l’emploi, par la culture, ou par le sport sont cachés par une gauche honteuse, supprimés par une droite dogmatique. Plus discrète et moins spectaculaire que la mise en scène de l’action répressive, la prévention sociale a pourtant prouvé sa pertinence et son efficacité.
Vers une gouvernance locale de la sécurité
Les écologistes plaident pour une gouvernance plus locale des politiques de sécurité. Des élus locaux et la justice occuperaient une place stratégique, aux côté des chefs de service de police et de gendarmerie. Pour ce faire, le corps préfectoral ne doit plus être rattaché au ministère de l’Intérieur mais au Premier ministre, stoppant ainsi la confusion actuelle. L’action des forces de police et de gendarmerie est aujourd’hui brouillée, trop centralisée, dépendante non pas d’une analyse d’une situation strictement locale, mais des priorités médiatiques du moment, bien souvent contradictoires. Il est pourtant indispensable de pouvoir d’adapter des priorités en fonction d’une situation particulière, conformément à des doctrines contraire engagées vers plus de contacts avec les habitants. La mise en place progressive d’une police territorialisée comparable aux autres pays européens, est nécessaire, en prenant acte des échecs qui sont nés de la mise en place centralisée et précipitée de la police de proximité.
Si les liens entre polices judiciaires et parquet doivent être renforcés, s’il apparaît nécessaire que les forces mobiles assurant le maintien de l’ordre restent sous l’autorité de l’État, les élus locaux ne peuvent plus être totalement exclus d’une police dite du quotidien. Si les élus locaux participent dors et déjà à de nombreuses instances partenariales, elles restent trop limitées et bien souvent inefficaces. Faisant suite à un diagnostic de la délinquance locale, les stratégies territoriales constituent un outil de planification particulièrement pertinent pour les écologistes, en replaçant la sécurité dans une stratégie d’ensemble, dans le cadre d’un projet de territoire, conçu avec et pour ses habitants.
La gouvernance locale n’entre pas entre contradiction avec la très récente tradition républicaine de l’état garant de la Sécurité sur le territoire national. Il importe que le « monopole de la coercition légitime » reste du domaine étatique. L’Etat se doit de garantir une répartition des moyens adaptées en fonction de zones prioritaires de sécurité. L’usage de la force et la dotation des armes à feu doivent uniquement bénéficier aux forces étatiques, dument formées, encadrées et contrôlées. Polices municipales et forces de sécurité privée ne doivent ainsi pas être dotées d’armes à feu, de pistolet à impulsion électrique ou de flashball, mais de dotations individuelles de protection adaptées. Ce désarmement nécessite que leurs missions soit adaptées en conséquence.
De la sanction à la réinsertion
Concernant la justice, les écologistes n’oublient pas que le juge, protecteur des droits du citoyen-ne-s, doit rester le seul organe punitif. L’indépendance de la justice face à l’administration et au pouvoir politique doit être accrue. Aujourd’hui le parquet français est une anomalie européenne, possédant des pouvoirs très étendus malgré une totale dépendance au pouvoir politique. De même les juges du siège restent trop dépendant de l’exécutif pour la gestion de leur carrière.
Pour que la sanction soit incontestable, il faut que les droits de la défense soient protégés. Aujourd’hui, trop de procédures judiciaires ne garantissent pas les droits minimaux des personnes, qu’elles soient suspectes ou victimes. Les comparutions immédiates en sont l’exemple le plus criant.
Aujourd’hui, plus encore que les politiques de prévention, la réinsertion reste le parent pauvre des politiques de sécurité. Pour reprendre l’expression des règles pénitentiaires européennes, toute peine doit avoir pour objectif que les personnes condamnées, mènent « une vie responsable et exempte de crimes ». Les conditions de détention doivent être revues, afin de garantir la dignité des personnes condamnées, des conditions de travail acceptable pour le personnel et permettre un véritable travail de réinsertion. Travail, formation, éducation, famille, associations doivent trouver une plus grande place dans nos prison. La libération conditionnelle a démontré son efficacité dans bien des cas. Pourtant dans la majorité des cas elle n’est jamais prononcée et la France est dans les pays européens qui l’utilise le moins.
Mais la question de la réinsertion n’est pas seulement posée en prison. Alors que l’incarcération poursuit une logique d’inflation sans fin, où la construction de nouvelles prison ne met jamais fin à la surpopulation carcérale, les alternatives à l’incarcération comme les travaux d’intérêt général (TIG) doivent être davantage valorisées et développées. L’ensemble de la société, doit ainsi prendre leur part dans l’accueil des personnes condamnées à un travail d’intérêt général. L’effort des collectivités locales et services publics déconcentrés reste insuffisant.
De manière générale, le travail en « milieu ouvert » des services d’insertion et de probation reste trop limité, par la faiblesse des moyens humains et l’importance des contraintes légales. Il faut cesser de considérer la prison comme la seule peine réelle, la mise au banc de notre société incarnant l’échec de la puissance publique.
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Une politique publique de sécurité ne pourra être efficace sans respect des libertés et droits humains, ni partenariat serein entre les producteurs de sécurité : État, citoyens, polices, justice, Education nationale, bailleurs, transporteurs, collectivités locales… La politique écologiste de sécurité ne peut s’inscrire qu’au sein d’une politique ambitieuse de transformation sociale.
Pierre JANUEL
Co-responsable de la commission Justice d’Europe Ecologie les Verts
Emilie THEROUIN
Adjointe au maire d’Amiens – Europe Ecologie les Verts
En charge de la sécurité et de la prévention des risques urbains
Ce texte a été publié dans le guide pratique sur la Sécurité urbaine publié en août 2011 par le CEDIS.