Mineurs Isolés Etrangers et sans protection en Europe : Quelles raisons expliquent leur manque de protection?
Note sur le colloque à Poitiers – Pucafreu – Octobre 2012
Des enseignants- chercheurs, des professionnels de la justice, de l’action sociale et de l’éducation, en lien avec les services d’accueils des enfants non accompagnés se sont réunis à Poitiers pour étudier et faire part de leur travaux sur la question, du manque de protection des mineurs isolés étrangers au sein de l’union européenne.
Quelles sont les raisons qui expliquent qu’une part importante de mineurs isolés étrangers et de mineurs demandeurs d’asile ne bénéficient pas des droits fondamentaux promus par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Article 3 : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
De cette étude il ressort principalement que les états de l’UE n’ont pas facilité l’intégration de ces enfants et par conséquent ils peuvent se retrouver à leur majorité très démunis et en situation irrégulière. Dans l’ensemble les dispositifs d’accueil n’offrent pas toutes les garanties nécessaires à ces mineurs isolés.
Il y a un déficit en matière de prise en charge : hébergement (de courte durée ou de nuit exclusivement), de soutien scolaire (l’accès à la scolarité n’est pas assuré), à la formation professionnelle. Le suivi médical et particulièrement le soutien psychologique sont très peu dispensés. Les mineurs sont donc nombreux à abandonner d’eux-mêmes le dispositif de prise en charge quand ils n’en sont pas exclus du fait de leur comportement (non acceptation des règles).
L’Italie a fourni des statistiques complètes à ce sujet. 10000 mineurs isolés auraient renoncé aux prises en charge de protection entre 2006 et 2010, ce qui représente 42% du nombre total de mineurs accueillis pendant cette même période. En Espagne, au niveau régional du Pays Basque et de l’Andalousie 60-70% de mineurs isolés finissent par abandonner les dispositifs. En Belgique, 45% des mineurs isolés ont disparu entre 2004 et 2005.
Par ailleurs, un certain nombre de mineurs qui n’ont pu avoir accès à cette prise en charge de protection reste non identifié.
La question est de savoir pourquoi ces enfants (un nombre conséquent) n’adhèrent pas ou quittent ces dispositifs et pourquoi d’autres n’y accèdent pas. Ce sont des mineurs qui se retrouvent seuls exposés à tous les dangers, vulnérables, livrés à eux-mêmes mais surtout livrés à des « prédateurs » qui cherchent à les exploiter.
Les raisons connues sont multiples mais il y a encore beaucoup de recherches à faire dans ce domaine afin de mieux répondre aux demandes diverses et spécifiques de ces enfants.
Quelques exemples :
En Italie
Procédure d’identification inadéquate, peu fiable (radio du poignet pour déterminer l’âge). Au moment du printemps arabe de nombreux jeunes tunisiens ont été détenus longtemps en centre de rétention de Turin avant d’être expulsés vers la Tunisie.
Une approche pluridisciplinaire pourrait améliorer le processus, notamment permettre de reconnaître ceux ou celles qui affirment qu’ils sont majeurs et se plient ainsi à la volonté de ceux qui les exploitent. Les jeunes filles nigérianes sont victimes de la traite et dans le cadre de la prostitution sont exposées à la violence de leur ravisseur comme de leurs clients, et dans l’obligation de rembourser jusqu’à parfois 60000 euros aux passeurs et intermédiaires.
L’hébergement est souvent peu adapté à l’accueil de ces mineurs. Les règles sont trop strictes, de l’ordre du carcéral avec interdiction de communiquer avec l’extérieur. La prise en charge éducative est quasi inexistante. L’impossibilité de travailler (avec un contrat de travail) reste un obstacle à l’intégration de ces mineurs. Ils souhaitent souvent avoir de l’argent pour l’expédier à leur famille ou pour rembourser des dettes de voyages contractées pour arriver en Europe.
En France
Obligation faite à l’Aide Sociale à L’Enfance de prendre en charge les mineurs isolés étrangers.
Loi n°2007-293 du 5 Mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Art L.112.3 : « La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ».
Art L.112.4 : « L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits, doivent guider toutes décisions le concernant. »
D’autres acteurs interviennent dans le cadre de la protection judiciaire de l’enfance : Le juge des enfants qui peut prendre des mesures d’assistance éducative- art 375 du code civil- mineur en danger- « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Le juge des enfants peut confier l’enfant à un service d’éducation, à un établissement spécialisé ou à un service de l’ASE.
Le Procureur de la République qui peut intervenir en cas d’urgence ( art 375-5 du code civil) et le juge des tutelles chargé de désigner un représentant légal( art.390 du code civil).
A ce jour 7000 mineurs isolés étrangers seraient présents sur le territoire Français. La situation reste préoccupante en Seine Saint Denis et à Paris. Une association- France Terre d’Asile assure la gestion de la permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers -PAOMIE-
Les procédures d’identification et de sélection pour obtenir une prise charge sont assez stigmatisantes et peuvent constituer un nouveau traumatisme pour l’enfant qui s’ajoute à celui vécu dans son pays d’origine. Les procédés utilisés durant ce parcours ne vont pas dans le sens du respect des droits de l’enfant.
-Les tests osseux (dont la marge d’erreur est de 18 mois)
-L’accès à l’hébergement : une sélection s’opère, pour 25 places de foyers, en fonction de critères physiques- âge- sexe ; les enfants bénéficient de la soupe populaire de Jaurès et de Stalingrad.
De nombreux mineurs sont contraints de vivre dans des bidonvilles (à la Courneuve), dans des locaux insalubres. Pour couvrir leurs besoins essentiels – alimentation, vêtements, hygiène, santé- certains ont recours à la délinquance ou au travail au noir.
La question du financement des prises en charge de ces mineurs souvent mises en avant par les collectivités territoriales, révèle le problème majeur du non respect par les pouvoirs publics des droits de l’enfant les plus élémentaires inhérents à sa survie.
La Belgique
La Belgique est un pays de transit pour les mineurs isolés étrangers à destination de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Une discrimination existe à l’égard des enfants non demandeurs d’asile, ils sont moins bien acceptés et ne bénéficient pas de bonnes conditions d’accueil.
Beaucoup d’enfants ne s’adaptent pas aux structures d’hébergement collectif dont les règles ne sont pas adaptées, car trop strictes eu égard à leur parcours précédent. Ce sont des prises en charge que les mineurs jugent trop infantilisantes. Les accueils en familles, famille élargie, présentent le risque pour ces enfants d’être exploités (domestique ou travail) et de maltraitance.
Les conditions ne sont pas réunies pour leur assurer une protection pérenne qui favoriserait une bonne intégration à la majorité.
La question des mineurs isolés étrangers, des mineurs non accompagnés a suscité beaucoup d’interrogations et de débats de la part des participants au colloque ;
Comment se fait-il que la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989, ratifiée par l’ensemble des Etats de l’Union Européenne ne s’applique pas « aux enfants privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. »
Comment se fait il qu’un nombre important de mineurs isolés n’adhèrent pas ou n’accèdent pas aux dispositifs de protection du pays d’accueil ?
Les politiques administratives, institutionnelles mises en place ne favorisent pas l’accueil et la prise en charge de ces mineurs. Les procédures sont complexes, elles se déroulent dans un climat de méfiance à l’égard de l’enfant qui doit donner des preuves de son identité, de sa minorité. Le mineur doit être prêt à affronter un véritable parcours du combattant pou accéder à ses droits les plus élémentaires : se nourrir, se vêtir, et dormir dans un lieu sécurisant.
Les accueils en structures collectives ne correspondent pas toujours aux attentes de ces mineurs pour certains très matures et qui n’adhérent pas au système infantilisant mis en place pour eux. La formation professionnelle mais aussi un contrat de travail font partie de leur priorité mais ils ne sont pas soutenus dans cette démarche. L’intégration au sein du corps social devient impossible et leur avenir au-delà des dix-huit ans est compromis (sans permis de séjour) et les obligent à passer dans la clandestinité.
De nombreuse associations, éducateurs de rue, s’organisent pour aider ces enfants souvent en errance qui se méfient des autorités qui n’ont de cesse de les suspecter de mensonge sur leur nationalité et leur âge.
Le rapport du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, recommande aux états d’intégrer le concept de l’enfant comme sujet de droits, dans tous ses projets politiques et programme.
Note de Christiane Lepaummier
PUCAFREU: Promoting unaccompanied children’s access to fundamental rights in the European Union. Site du colloque Daniel Senovilla Hernandez, chercheur, coordinateur du projet PUCAFREU, Migrinter (France)