L’usage militant du « déféré préfectoral sur demande »
Le préfet, est investi dans le Département, en vertu du troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution de « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois »[Sur le plan pénal, l’article [432-1 du Code Pénal
relatif aux « abus d’autorité dirigés contre les administrations » par des personnes exerçant une fonction publique dispose néanmoins que « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende » : il s’agit ici donc d’une forme de contrôle pénal de légalité qui incombe au Juge Pénal saisi par le Préfet ou par le Parquet : voir ci-dessous un modèle de lettre-type en annexe 2 ]].
A ce titre, l’article L 2131-8 du Code Général des Collectivités Territoriales dispose :
« (..) si une personne physique ou morale est lésée par un acte mentionné aux articles L. 2131-2 et L. 2131-3, elle peut, dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’acte est devenu exécutoire, demander au représentant de l’Etat dans le département de mettre en oeuvre la procédure prévue à l’article L. 2131-6.
(..) » et donc de déférer au Tribunal administratif l’acte suspecté d’être contraire à la légalité [ le Préfet peut déférer tous les actes des collectivités, transmissibles obligatoirement ou non :[CE 28 février 1997 Commune du Port: « Considérant qu’en prévoyant à l’article 3 de la loi susvisée du 2 mars 1982 modifiée par la loi du 22 juillet 1982 que le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article 2-II de ladite loi qu’il estime contraires à la légalité, le législateur n’a pas entendu limiter la faculté qu’a le préfet, investi dans le département, en vertu du troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution de « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois », de former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de tous les actes des collectivités territoriales (..) »]].
Avant ou au lieu que d’aller directement et personnellement à un affrontement contentieux, la tentation peut être grande pour un élu, pour un militant, pour une association locale, en tenant compte du facteur « temps », ou au contraire du facteur « urgence » ou « presse locale », de saisir donc préalablement le service du contrôle de légalité de la Préfecture. Celà permettra d’examiner les premières réactions, et les premiers moyens de la défense juridique d’une majorité municipale dans un dossier encore trop nébuleux.
Pour un élu, s’il s’agit de contester une délibération, le délai de 2 mois pour la saisine du Préfet court à compter de la délibération elle-même, en application de la règle de la connaissance acquise [rien n’interdit de faire parrallèlement à la demande de déféré, une demande grâcieuse au Maire de retirer la décision, mais éventuelles prorogations de délais attachés à ces deux démarches pour agir au contentieux ne se cumuleraient pas entre elles ]].
La procédure de « déféré sur demande » peut permettre en premier lieu à la personne requérante de s’adresser à un interlocuteur supposé qualifié dans le cadre du service du contrôle de légalité de la préfecture ou de la sous préfecture : dans des litiges parfois complexes, cet échange peut être utile à porter un regard plus large, plus complet, plus précis sur le dossier, et parfois à appréhender et finalement découvrir des éléments que la mairie n’avait pas voulu révéler elle-même précédemment et spontanément[1].
Cette première phase conduira, le cas échéant, à une « lettre d’observations » du Préfet, demandant des explications ou le retrait de la décision contestée [globalement, les « lettres d’observations » transmises dans la cadre du contrôle de légalité n’interviennent toutefois en réalité que dans environ 2% des actes ayant fait l’objet d’une transmission au Préfet.. donc, 98% de ces actes n’appellent aucune observation de ce service]].
Il est à souligner, ainsi qu’il ressort des avis et conseils de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (C.A.D.A.) dont copie jointe, que les lettres d’observations qui sont adressées par la Préfecture aux collectivités territoriales sont des documents administratifs « non juridictionnels » qui ne sont exigibles en communication par les tiers qu’à partir du moment où ils ont perdu leur caractère provisoire, c’est à dire, à partir du moment où le Préfet a pris sa décision de déférer ou ne pas déférer (voir plus généralement sur la communication des documents administratifs la [fiche pratique No 11).
Dans un second temps, si le Maire n’a pas tenu compte des termes de la lettre d’observations, le Préfet peut saisir le Tribunal d’un « déféré » [en réalité, le Préfet pourrait juridiquement déférer sans formuler préalablement de « lettre d’observation », mais dans la pratique, on l’imagine cependant assez mal]].
Le Préfet peut déférer un acte sans avoir été saisi d’une demande en ce sens. Inversement, saisi d’une demande, fût-elle justifiée et fondée, il n’engage pas la responsabilité de l’Etat en ne déférant pas [2].
Dans la pratique, une collectivité qui serait quelque peu « border line » sur le plan de la légalité sera gênée par des demandes de déférés préfectoraux qui l’obligeront à se justifier sur des dossiers qu’elle aurait préféré sans doute mener en catimini, seule et sans aucun contrôle d’élus, ni sans attirer l’attention des services de la Préfecture.
En outre, le requérant verra dans une certaine mesure, le délai d’expiration de sa propre action prorogé [ selon les cas, l’article [L 2131-8 du Code Général des Collectivités Territoriales peut ouvrir une prorogation qui pourrait aller jusqu’à l’expiration du délai de 2 mois suivant le refus implicite (silence pendant 2 mois) ou la décision négative explicite du Préfet C.E. 25 janvier 1991, Brasseur; en cas de silence du préfet ce délai d’action du requérant au déféré provoqué expire donc 2 mois + 2 mois = 4 mois après sa demande de déféré. Toutefois, la demande adressée au Préfet ne proroge pas les délais qui résultent pour celui-ci de l’application de l’article L 2131-2 du Code Général des Collectivités Territoriales ]] .
C’est d’ailleurs ici, l’un des intérêts principaux de la demande de déféré puisqu’elle va permettre incidemment au requérant de retarder pour lui le moment de saisir le Tribunal dans l’hypothèse où il envisagerait cette éventualité [sur ce point, un recours grâcieux produirait toutefois le même effet]].
Naturellement, pour lui garantir les meilleures chances d’être utile, il est préférable d’adresser la demande de déféré au Préfet dans un délai raisonnable qui se soit pas trop proche de l’expiration du délai de recours [3]. En effet, il importe que le Préfet dispose du temps nécessaire à la rédaction de sa lettre d’observations ou de sa requête en déféré.
Un risque de mésaventure cependant mérite d’être signalé : si le Préfet défère la décision illégale au Tribunal Administratif, mais que, se ravisant, il se désiste ensuite en cours d’instance, le tiers lésé, l’élu, l’association qui n’auraient pas engagé en temps utile leur propre action se verraient alors dépourvus de toutes voies légales de contestation. C’est la raison pour laquelle, il peut parfois être utile à ceux-ci d’engager un recours parrallèle à celui du Préfet, et qui donc survivrait à un désistement éventuel du Préfet en cours d’instance[4].