LOPPSI 2 (Sécurité intérieure)

Noël Mamère – Motion de renvoi en commission


Deuxième séance du mardi 9 février 2010 – Extrait du compte-rendu officiel :
M. le président.J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI 2 », arrive enfin devant notre assemblée. Le Gouvernement a jugé nécessaire de bousculer un agenda parlementaire chargé pour inscrire ce texte qui paraissait oublié. Il est vrai qu’à l’approche des élections régionales, un tel projet offre l’occasion à un gouvernement en grande difficulté devant les Français de jouer avec les peurs et de tenter de faire diversion dans un contexte où la situation sociale, avec des chiffres du chômage en berne et des plans de licenciements qui continuent, est toujours plus inquiétante.

Au débat sur l’identité nationale, nauséabond tant les dérapages n’ont pas manqué – même au sein du Gouvernement -, à celui sur le port du voile intégral, il fallait ajouter le volet sécuritaire.

M. Marcel Rogemont. Eh oui !

M. Noël Mamère. C’est désormais un classique : lorsque le Gouvernement et le Président sont en panne de réponses face aux inquiétudes de nos concitoyens, la sécurité leur sert de roue de secours. Depuis 2002 et le retour de la droite au pouvoir, le Parlement a voté dix-sept lois sur la sécurité ; à des textes à peine votés, jamais évalués, ont sans cesse succédé d’autres textes, toujours plus répressifs, alors que certaines dispositions de la LOPSI de 2001, adoptée en 2002, n’ont jamais fait l’objet d’un décret d’application… Tout fait divers devient prétexte à l’annonce d’un durcissement législatif, conformément à la philosophie présidentielle. Ce fut encore le cas dernièrement avec les déclarations que vous avez faites, monsieur le ministre de l’intérieur, en vous prenant tout à la fois pour le garde des sceaux et même pour le Parlement. En dépit de cet amoncellement de textes toujours plus répressifs, souvent à la limite de la constitutionnalité – comme dans le cas des peines-plancher – ou de la conformité aux conventions internationales – comme la loi sur la sécurité intérieure de 2003 -, vous aviez été contraint d’adopter un langage de vérité et de concéder, dès 2008, que « la délinquance a cessé de baisser ». Vous avez retrouvé aujourd’hui, campagne électorale oblige, une posture d’autosatisfaction, si coutumière au Président de la République.

On peut dès lors s’interroger sérieusement sur l’intérêt d’une telle hyperactivité législative. Cette accumulation de textes cache un bilan qui n’est pas aussi glorieux que vos dernières déclarations veulent le faire croire. Et ce n’est pas le rapport annexé au projet, au ton triomphaliste et aux exagérations grotesques, qui change le résultat. La Représentation nationale est en effet appelée à approuver un rapport déjà appliqué dans les faits via les enveloppes budgétaires des missions « Sécurité » et « Sécurité civile » du PLF 2010 ! Cela démontre, une fois de plus, le peu de considération de l’exécutif pour le Parlement.

La politique de sécurité intérieure de votre gouvernement repose sur quelques postulats, développés dans le rapport et à l’œuvre depuis déjà quelques années, à commencer par le choix de ne plus augmenter les effectifs. Or la limitation drastique des moyens humains est un frein à une politique ambitieuse, et nous savons, nous autres élus locaux, que les questions de sécurité ne relèvent pas uniquement de la technologie ou de la bonne coopération et entente entre les différents corps, mais aussi du contact, du suivi, de l’encadrement, missions pour lesquelles les moyens humains sont indispensables. Les deux précédentes lois – sur la programmation militaire et sur la gendarmerie nationale – avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarme supprimés d’ici à 2012, suppression de sept ou huit escadrons de gendarmerie mobile, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police en trois ans – soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPSI -, sans oublier le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014, avec 50 000 postes supprimés. En fait, c’est une véritable politique d’austérité qui ne dit pas son nom.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Noël Mamère. Le rapport qu’il nous est demandé d’approuver grave dans le marbre de la loi la fin de toute augmentation des effectifs. Pis, les sempiternelles synergies et économies d’échelle sont invoquées pour justifier le dégraissage des « emplois de soutien, techniques et administratifs des deux forces ». Les mots et les formules ne remplacent pourtant pas les moyens humains dont a besoin une véritable politique de sécurité intérieure, une politique qui ne repose pas uniquement sur l’obsession de la technologie ou sur la tentation répressive.

La course à la technologie pourrait prêter à sourire tant elle semble vous enthousiasmer, si elle n’était pas inquiétante. Je fais référence ici à ce que le rapport nomme, dans un euphémisme trompeur, les « armes à létalité réduite » : les fameux pistolets à impulsion électrique, que l’on appelle aussi tasers. Ces armes sont actuellement utilisées par les polices de près de soixante-cinq pays, mais elles sont interdites en Belgique, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, au Japon et en Malaisie. Depuis 2004, Amnesty International s’interroge sur les dangers d’une utilisation inappropriée de ce type d’arme et sur le risque de contrevenir alors aux dispositions de la Convention contre la torture. En France, l’utilisation du Taser X26 a été introduite en 2005 à titre expérimental ; fin 2006, il équipe la police nationale puis la gendarmerie ; le 22 septembre 2008, un décret du ministère de l’intérieur autorise les policiers municipaux à en être équipés – je rappelle qu’à l’occasion de la publication de ce décret, Amnesty International avait appelé à la suspension de l’usage de cette arme par les polices municipales. Mais le 2 septembre 2009, le Conseil d’État – faisant suite à une requête d’une organisation non gouvernementale, le Réseau d’alerte et d’intervention sur les droits de l’homme – a annulé ce décret qui autorisait l’emploi par les agents de la police municipale de pistolets à impulsion électrique.

Vous affichez l’objectif de tripler le nombre de caméras de surveillance. Là encore, on est dans une course à la technologie sans discernement ni évaluation des dangers réels. Je tiens à rappeler que cette technologie est d’une efficacité relative : au mieux, elle engendre un déplacement des infractions. Je partage à cet égard l’opposition croissante de nos concitoyens à ce dispositif lorsqu’ils sont consultés. Je crois en effet que la CNIL avait bien raison de manifester ses craintes, dans son rapport du 9 juillet 2007, sur ce qu’elle appelait « la société de surveillance ». Lors de la présentation du rapport d’activité de la CNIL, M. Alex Türk avait lancé un avertissement : « La société de surveillance menace notre capital de protection des données et nos libertés. » Cet appel ne semble pas avoir été entendu, mais il explique sans doute que vous préfériez confier des compétences nouvelles à la Commission nationale de vidéoprotection plutôt qu’à la CNIL… Rappelons qu’aucune évaluation sérieuse de la vidéosurveillance dans l’espace public n’a été conduite, qui aurait permis d’en mesurer les capacités préventives ou répressives. On peut d’autant plus légitimement regretter l’absence d’évaluation que cet outil est financièrement coûteux et qu’il n’est pas sans risques pour les libertés individuelles. Les travaux évaluatifs réalisés à l’étranger apportent, eux, plusieurs enseignements : l’efficacité dissuasive de la vidéosurveillance est très variable selon le type d’espace et le type de faits ; elle n’a notamment aucun impact sur les délits impulsifs et sur ceux commis par des personnes sous l’emprise de drogues ; elle dissuade peu les délinquants qui adoptent des mécanismes de dissimulation et des stratégies d’adaptation à l’outil. Sa faible efficacité dissuasive tend de plus en plus à la transformer en un outil de police judiciaire, voire en une machine à tout faire, ce qui nuit à son efficacité.

Nombre de dispositions introduites par ce texte appellent donc de sérieux débats. Je ne m’attacherai pas à analyser toutes les dispositions, mais je m’attarderai sur celles que l’on peut considérer comme les plus problématiques.

Le texte s’apprête à autoriser les audiences délocalisées du juge des libertés et de la détention ainsi que des audiences en visioconférence dans le domaine du contentieux de la rétention des étrangers. Rappelons qu’il s’agit d’un contentieux civil qui n’a rien à voir avec une infraction pénale.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Justement !

M. Noël Mamère. La question posée est de savoir si l’administration qui a interpellé des étrangers, soit à leur arrivée en France, soit dans le domaine public français, est en droit de les retenir par-devers elle le temps de ménager leur retour vers leur pays d’origine ou vers le pays de provenance. Comme l’exposé des motifs le montre clairement, le nouveau texte ne vise, pour l’administration, qu’à réaliser des économies, en particulier en « heures fonctionnaires ». Tous les jours, des étrangers sont présentés aux juges judiciaires. Ils sont conduits par les policiers jusqu’aux palais de justice pour ces audiences. L’augmentation continue des placements d’étrangers en rétention systématise ces déplacements, qui mobilisent donc un nombre croissant de policiers et de moyens matériels. L’administration a donc imaginé la solution miracle : le texte organise les audiences du JLD au sein même des centres de rétention. De telles audiences ont déjà été organisées dans trois centres de rétention administrative, à Coquelles, à Toulouse et à Marseille. Les associations habilitées en ont constaté les effets négatifs en termes de respect des droits des personnes, avant que la Cour de cassation n’y mette un terme.

Nous trouvons aussi dans ce texte une vieille lubie de la droite : la pénalisation des plus démunis. Le couvre-feu pour les mineurs et le contrat de responsabilité parentale, deux mesures symboliques, en sont l’illustration. La commission des lois avance que les préfets, à la demande du Gouvernement, « pourront restreindre la liberté d’aller et venir des mineurs de treize ans non accompagnés sur la voie publique, entre vingt-trois heures et six heures du matin, […] s’ils les jugent exposés à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité ». La décision préfectorale devra néanmoins être motivée au regard des considérations locales et vaudra pour une période limitée dans le temps. Tout enfant seul contrôlé dans ces circonstances sera donc remis soit à ses parents – si l’on parvient à les joindre -, soit à l’aide sociale à l’enfance. Mais où est l’innovation au regard du droit actuel ?

M. Daniel Vaillant. Il n’y a rien de nouveau.

M. Noël Mamère. Nulle part ! D’ores et déjà, un enfant de cet âge, trouvé seul dans la rue à une heure tardive par la police ou même par un simple quidam, doit être conduit au commissariat pour que ses parents soient prévenus, et il sera confié par le parquet à l’aide sociale à l’enfance si les parents sont injoignables ou hors d’état de faire face.

M. Daniel Vaillant. C’est exactement ce qui se passe !

M. Noël Mamère. Ne pas réagir devant un enfant esseulé la nuit, dans la rue, relève de la non assistance à personne en péril et peut valoir cinq ans d’emprisonnement. C’est déjà dans les textes. La procédure d’assistance éducative devant le juge des enfants permet ensuite d’essayer de remédier à cette situation pénible. Ce texte n’apporte donc rien sur le plan juridique. C’est de la simple communication politique à vocation électorale auprès d’une population sensible aux questions sécuritaires.

M. Serge Blisko. Bien sûr !

M. Noël Mamère. À travers notamment les dispositions relatives à la responsabilité parentale, ce projet de loi vise à instrumentaliser l’action sociale, avec la volonté de transformer les travailleurs sociaux en surveillants d’internat ou en agents du flicage social.

M. Jacques Alain Bénisti. Oh là là !

M. Noël Mamère. Pour terminer, je vais évoquer le volet internet du projet.

Le texte va faciliter les captations à distance des données numériques se trouvant dans un ordinateur – perquisition numérique – ou transitant par lui – approche radar. On nous dit que cela permettra, par exemple, la captation de données au moment où elles s’affichent sur l’écran d’un pédophile ou d’un terroriste. Le projet de loi va donc autoriser l’introduction d’un cheval de Troie dans les ordinateurs, évidemment sans le consentement de l’intéressé, mais avec l’aval d’un juge. Il sera alors possible d’accéder aux données, de les collecter, de les enregistrer, de les conserver, de les transmettre, d’écouter les frappes au clavier, etc.

Ce sujet pose plusieurs problèmes épineux – l’Allemagne vient d’ailleurs, il y a deux jours, de renoncer au filtrage du Net – : quel sera le degré d’implication des éditeurs de solutions antivirus ? En cas de collaboration active, comment feront les autorités pour s’accorder avec l’éditeur d’un pays étranger sans liaison particulière avec la France, c’est-à-dire en l’absence de traité ou d’accord international ?

De même, le filtrage des sites pédopornographiques tel qu’il est proposé par l’article 4 du chapitre II, déjà mis en place par un certain nombre de pays, ne va pas sans soulever plusieurs interrogations. Voyons par exemple ce qui s’est passé en Australie. En mars 2009, la liste secrète des sites censurés par l’autorité australienne des communications et des médias fait l’objet d’une fuite : il apparaît qu’une bonne moitié n’ont rien à voir avec la pédopornographie ! On y trouve des sites pornographiques traditionnels mais aussi, curieusement, des sites de poker, de vidéos – YouTube -, des pages Wikipédia, des sites gays, des sites sur l’euthanasie, des sites satanistes, des sites anti-avortement et même… celui d’un cabinet dentaire de la province du Queensland. Que dire de la Finlande, dont la liste secrète comprend carrément le site des opposants à la loi en question ? En obligeant les FAI à bloquer l’accès aux sites incriminés, la loi favorisera le recours aux serveurs privés et cryptés et contribuera à l’impunité totale des auteurs des infractions visées. C’est pourquoi le gouvernement australien a renoncé à un tel dispositif : 32 % des sites filtrés étaient des contenus à caractère pédopornographique, mais les 68 % restant comprenaient notamment des sites anti-filtrage et anti-censure…

Je crains que les bonnes intentions ne conduisent finalement dans cette affaire à de graves dérapages, et que, s’agissant la pédopornographie, les effets ne soient totalement contreproductifs. Un véritable réseau parallèle, isolé de l’internet que nous connaissons, constitué de milliers de machines relais toutes louées sous de fausses identités et parfaitement résilientes à toute attaque – tout comme le réseau internet auquel il emprunte bon nombre de technologies -, sert à distribuer des contenus pédopornographiques depuis déjà de nombreuses années. Des sites éphémères, dont la durée de vie se compte en heures, servent de passerelles vers ce réseau parallèle et disparaissent avant que tout filtrage puisse être effectif.

La succession des lois DADVSI, HADOPI et LOPPSI donne donc l’impression d’une volonté vaine, et dangereuse par ailleurs, de contrôle de la toile.

Cette impression naît en partie de l’imprécision du texte. Par exemple, l’article 2 créé un nouveau délit, celui d’utilisation de l’identité d’un tiers sur internet, en vue de troubler sa tranquillité. Puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, il est calqué sur le délit de harcèlement téléphonique décrit à l’article 222-16 du code pénal. Cependant, son champ est beaucoup plus large puisque n’importe quelle utilisation de l’identité d’un tiers sur internet fait encourir à son auteur une peine de prison.

Cette disposition pourrait donner lieu à des décisions similaires à celle qui a été rendue au Maroc : un Marocain a été emprisonné pendant plusieurs mois pour avoir créé un profil sur Facebook se contentant de reprendre l’identité du souverain. En effet, pour que le délit soit constitué, il suffit que la tranquillité du plaignant soit troublée, ce qui, vous en conviendrez, est très « englobant », pour reprendre une expression utilisée dans votre texte.

Ce texte présente donc, chers collègues, de véritables risques pour nos libertés, et les bonnes intentions contiennent des effets pervers lourds de conséquences.

C’est un projet fourre-tout où domine le tout sécuritaire. La société que nous propose le ministre de l’intérieur est celle de la surveillance tous azimuts. C’est une société où chacun est invité à participer à une grande entreprise de surveillance.

Outre des retraités de la police, des volontaires de nationalité française, âgés de 18 à 65 ans, sans casier judiciaire, pourront devenir des « collaborateurs occasionnels » de la police, dans la limite de 90 jours par an. Ces « collaborateurs occasionnels » – l’expression est effrayante – ressemblent aux réseaux d’informateurs de régimes qu’on ne peut qualifier de démocratiques…

Chers collègues, lorsqu’il est question des libertés, il convient de prendre le temps de la réflexion pour atteindre un consensus, car il s’agit finalement des règles de notre vie commune.

C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de renvoyer ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Vaillant. Très bien !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

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