Les indicateurs de performance de l’Administration pénitentiaire.

En décembre 2006, nous avions publié, dans la revue Actualité Juridique Pénal des Editions Dalloz, une première analyse critique des objectifs et des indicateurs de performance correspondants que l’administration pénitentiaire avaient été amenée à définir dans le cadre de la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) entrée en vigueur le 1er janvier 2006 [1].

Rappelons que, dans ce cadre, la politique de l’Etat est décomposée en missions qui concernent un ou plusieurs ministères.
Ces missions sont elles-mêmes constituées d’un certain nombre de programmes. La mission « Justice » comprend ainsi un programme « Administration pénitentiaire », qui lui même est constitué d’objectifs quantifiés à l’aide d’un ou plusieurs indicateurs de performance, un même indicateur pouvant être, lui-même, constitué de plusieurs « éléments quantifiés » [2].

  • Nous allons reprendre ici cette analyse sur la base des objectifs et indicateurs qui figurent dans le projet de budget 2008 [3].

En 2006, 7 objectifs avaient été définis :

n°1 : « Renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires ».

n°2 : « Adapter la gestion du parc immobilier aux catégories de populations accueillies (mineurs – majeurs) ».

n°3 : « Développer les aménagements de peine ».

n°4 : « Permettre le maintien des liens familiaux (accueil des familles) ».

n°5 : « Améliorer l’accès aux soins ».

n°6 : « Favoriser les conditions d’insertion professionnelle des détenus ».

n°7 : « Améliorer le délai de mise en œuvre du suivi du condamné en milieu ouvert ».

Nous les retrouvons dans le « programme 2008 » qui se trouve enrichi d’un 8ème objectif : « Assurer une formation de qualité aux personnels pénitentiaires ».
Pour ce nouvel objectif, l’indicateur est d’ailleurs à construire : il s’agit de rapporter le nombre d’heures de formation initiale effectuées dans le respect des arrêts de formation au nombre total d’heures de formation initiale prévues par ces arrêts. Concernant tous les corps confondus formés à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire d’Agen (ENAP), l’indice sera calculé (en 2008) sur la base de la cohorte des agents terminant leur formation au cours de l’année considérée.
Présenté comme un indice d’efficacité (bien former les personnels), il s’agit en fait d’un indice d’effectivité : ce que l’on a prévu de faire (quantitativement) a été fait dans telle ou telle proportion. Ce qui n’est pas nécessairement un gage de qualité.

Avant d’examiner les modifications apportées, par rapport à 2006, aux indicateurs correspondant aux sept premiers objectifs, nous voudrions voir si les critiques d’ordre général que nous avions présentées, il y a deux ans, nous paraissent encore d’actualité.

L’article 1 de la loi du 22 juin 1987 relative au service publique pénitentiaire est ainsi libellé : « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation de la peine ».
En se référant au nombre d’indicateurs et plus encore au nombre « d’éléments quantifiés », on avait constaté, en 2006, un certain déséquilibre entre l’attention portée aux questions de sécurité au sein des établissements auxquelles étaient consacrés 9 éléments chiffrés (objectif n°1) et la réinsertion sociale, abordée à travers 6 éléments seulement (objectifs n°4 et n°6). En 2008, la situation est nettement rééquilibrée en faveur de la réinsertion : 10 éléments chiffrés contre 7 pour la sécurité.

Agir pour la réinsertion c’est aussi lutter contre la récidive.
Comme en 2006, aucun indicateur n’est consacré au « devenir judiciaire » des sortants de prison.
Dans le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation dans les prisons (2000), on lisait ceci : « Le manque d’information est manifeste lorsque l’on parle d’évaluation des actions. La carence la plus critiquable concerne l’absence d’évaluation récente de la récidive par le ministère de la Justice (…) Comment, dans ces conditions, élaborer des outils d’insertion, fixer des modalités de prise en charge, mobiliser des personnels qui se plaignent tous de l’absence de retour d’information sur les personnes dont ils ont eu la charge, une fois celles-ci libérées ? Ils investissent finalement à fonds perdus, sans savoir ce qu’il advient des actions qu’on leur demande d’entreprendre » [4].

Comme en 2006, il convient de souligner le peu d’importance accordée à l’aménagement des peines (toujours qu’un seul élément chiffré, la libération conditionnelle faisant simplement l’objet d’un indicateur dit de contexte) et le déséquilibre patent entre l’attention accordée au milieu fermé par rapport au milieu ouvert : comme en 2006, un seul objectif pour ce dernier, un seul indicateur, un seul élément chiffré.
En terme d’indicateurs, le milieu ouvert compte pour 1 / 11 en 2006 et pour 1/18 en 2008. L’administration pénitentiaire reste, plus que jamais, l‘administration des prisons.

Rappelons, à ce sujet les estimations que nous avions faites récemment sur la situation au 1er janvier 2007 [[Tournier Pierre V., Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, 2007, 84 pages, 2007. En ligne sur

http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Tournier/LOI-PENITENTIAIRE-CONTEXTE-ET-ENJEUX.pdf]]
:
les personnes placées sous main de justice (PPMJ) et prises en charge par l’administration pénitentiaire seraient au nombre d’environ 206 000 : 60 403 sont sous écrou [5] et 145 675 pris en charge en milieu ouvert par les SPIP [6].
A cela, s’ajouteraient 150 mineurs placés dans les CEF (créés par la loi du 9 septembre 2002), dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) ou d’une libération conditionnelle (LC) [7] et 8 000 personnes sous contrôle judiciaire non suivies par les SPIP [8].
Cela donnerait de l’ordre de 214 000 personnes placées sous main de justice.

Notes

[1] Tournier Pierre V., Les indicateurs de performance de l’Administration pénitentiaire (Loi organique relative aux lois de finances), Actualité Juridique. Pénal, n°12, Editions Dalloz, décembre 2006, 496-499.

[2] Pénombre, La LOLF sans peine, La Lettre Grise, n°10, 2006, 62 pages.

[3] L’analyse critique réalisée en 2006 avait été, bien entendu, communiquée à la Direction de l’administration pénitentiaire qui avait manifesté le souhait d’en discuter. Nous avons évidemment exprimé notre intérêt pour un tel échange. La DAP ne donna pas de suite.

[4] Mermaz (L), Floch (J), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, Tome I, Rapport, Tome II, Auditions Assemblée nationale, n°2521, 2000.

[5] Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, DAP, PMJ1

[6] Ministère de la Justice, 2007. Il s’agit d’une estimation.

[7] Au 1er août 2006, 166 places sont opérationnelles dans les 17 CEF ouverts. A cette date, 138 mineurs y étaient pris en charge, Tournier.

[8] Sur la base d’une proportion estimée d’un tiers de contrôles judiciaires suivis par les SPIP.


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