Le « trouble des conduites » de l’enfant, concept psychiatrique discuté

Dans une expertise collective, rendue publique jeudi 22 septembre, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) fait le point sur une catégorie de symptômes psychiatriques jusqu’alors inconnue du grand public en France, le « trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » .
Issu des classifications cliniques anglo-saxonnes, ce syndrome, qui se caractérise par des comportements violents et répétés chez l’enfant et l’adolescent, toucherait, selon la littérature scientifique internationale, entre 5 % et 9 % des jeunes de 15 ans. Bien qu’aucune étude épidémiologique n’ait été réalisée en France sur ce sujet, l’Inserm recommande le dépistage et la prise en charge précoce de ce trouble, en familiarisant les familles, les professionnels de la petite enfance et les enseignants à son repérage.

L’expertise sur le trouble des conduites se situe dans le prolongement d’un précédent travail de l’Inserm qui, en additionnant des troubles aussi divers que l’hyperactivité, l’autisme, la dépression ou les troubles anxieux, affirmait, en 2002, qu’un enfant sur huit souffre d’un trouble mental.

Cette fois, l’Inserm a choisi de mettre l’accent sur le trouble des conduites, un syndrome défini « par la répétition et la persistance de conduites au travers desquelles sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui et les règles sociales » . Il s’exprimerait ainsi, chez l’enfant et l’adolescent, par « une palette de comportements très divers » qui vont « des crises de colère et de désobéissance répétées de l’enfant difficile aux agressions graves comme le viol, les coups et blessures et le vol du délinquant » .

Cette définition très large découle de la classification arrêtée, en 1968, par la psychiatrie américaine dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), reprise, en 1977, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la Classification internationale des maladies (CIM-9).

Fidèle à son approche biologique de la psychiatrie, centrée sur les symptômes et les comportements, l’Inserm ne remet pas en cause, dans son expertise, la validité de la notion de trouble des conduites ­ un concept jugé fourre-tout par les psychiatres d’orientation psychanalytique, mais très en vogue aux Etats-Unis.

Les douze experts ­ dont deux Canadiens ­, pédopsychiatres, épidémiologistes, cognitivistes, neurobiologistes, reconnaissent néanmoins que la notion déborde du champ médical en se situant « à l’interface et à l’intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice » . Le « trouble des conduites doit être considéré comme un facteur de risque de délinquance sur lequel on peut agir (…) mais ne doit pas être confondu avec la délinquance, qui est un concept légal » , affirme l’expertise collective.

« Jusqu’ici, la délinquance n’était abordée que d’un point de vue judiciaire ou social , précise Isabelle Gasquet, épidémiologiste et membre du groupe d’experts. Loin de nous l’idée de nous approprier le bébé, mais nous avons cherché à ajouter l’angle médical pour en enrichir l’approche. Tout est à faire dans ce domaine, où les données sont inexistantes en France. »

Pour l’expertise collective, le trouble des conduites, souvent associé au « trouble déficit de l’attention / hyperactivité« , « est le produit d’interactions complexes entre des facteurs individuels (facteurs génétiques, tempérament, personnalité) et des facteurs environnementaux (relations familiales, environnement social) » . Les études internationales estiment sa prévalence dans une large fourchette de 5 % à 9 % des adolescents de 15 ans. En France, il existe une seule étude, menée à Chartres dans 18 écoles primaires et qui rapportait une prévalence globale de 6,5 % et de 17 % dans les classes adaptées.

D’après la littérature internationale, deux tiers des enfants présentant un trouble des conduites répondraient toujours aux critères diagnostiques à l’adolescence. L’étude affirme ainsi que, « selon l’âge de survenue du trouble, avant ou après la dixième année de l’enfant, sa symptomatologie et son évolution diffèrent, avec un pronostic plus péjoratif et un risque élevé d’évolution vers une personnalité antisociale à l’âge adulte, lorsque l’apparition est précoce » .

Pour les experts, « le dépistage, la prévention et la prise en charge médicale du trouble des conduites restent insuffisants en France en regard de ses conséquences (risque de mort prématurée, troubles associés…) et du coût pour la société (instabilité professionnelle, délinquance, criminalité…) » .

Pour pallier ce « retard », l’expertise collective recommande d’informer le public mais aussi les professionnels de la petite enfance et les enseignants sur les différents symptômes du trouble des conduites. L’idée est de favoriser le « repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l’école maternelle » , afin d’enrayer l’évolution de l’enfant vers des comportements délinquants.

Le groupe d’experts préconise ainsi de procéder à un dépistage médical systématique de chaque enfant dès 36 mois, au prétexte que, « à cet âge, on peut faire un premier repérage d’un tempérament difficile, d’une hyperactivité et des premiers symptômes du trouble des conduites » .

Une fois identifiée l’existence d’un trouble chez un enfant, le groupe d’experts recommande le recours à des programmes « psychosociaux » de « guidance parentale » en s’inspirant d’exemples américains et canadiens. Avec les enfants, il est proposé de mener des thérapies individuelles de type comportementaliste, fondées sur des jeux de rôle, pour leur « apprendre des stratégies de résolution des problèmes » . Le groupe d’experts suggère par ailleurs de recourir « en seconde intention » aux traitements psychotropes (antipsychotiques, psychostimulants et thymorégulateurs), qui ont « une action antiagressive » .

L’expertise collective émet par ailleurs des réserves sur le placement des jeunes délinquants en « centres spécialisés » , au motif que ces « regroupements d’adolescents » renforceraient les attitudes délinquantes. Ces structures de prise en charge renforcée, qui existent depuis dix ans en France et dans lesquelles exercent des psychologues, permettent pourtant, selon les spécialistes de la délinquance des mineurs, à certains adolescents de se reconstruire.

Cécile Prieur
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