La récidive : mobiliser l’intelligence et non la peur.

Résumé

PARLER DE FAÇON RESPONSABLE DE LA RÉCIDIVE

La récidive, et plus largement la criminalité, la justice pénale, la prison, la sanction, les droits de victimes sont des sujets sérieux que la gauche connaît bien, où elle a fait ses preuves mais où elle a aussi commis une erreur: elle a eu peur de ses idées et de son bilan. Il s’agit d’une préoccupation forte des Français liée à l’émotion très légitime soulevée régulièrement par l’extrême souffrance de victimes de crimes graves ou à la lassitude face à une criminalité difficile à combattre. Il faut certes sortir du discours bassement démagogique et électoraliste dans lequel patauge la droite mais éviter aussi de traiter ces questions avec légèreté ou, pire, refuser de le traiter. Les Français ne comprendraient pas que nous refusions la bataille parce que nous n’avons pas choisi le lieu ou l’heure de la confrontation. Pour autant nous devons préserver les valeurs qui sont les nôtres, ne pas renier la défense des libertés et tenir un discours d’efficacité fondé précisément sur le respect de ces valeurs. Nous n’avons rien à gagner à singer la droite sur ce terrain: la gauche, une fois de plus, ne nous le pardonnerait pas; la droite, elle, préfère de toutes façons l’original.

Il serait irresponsable d’oublier les leçons de l’histoire alors que la lutte contre la récidive a été en France un sujet permanent de débats depuis deux siècles, voire une obsession. Cette histoire est marquée par une longue suite d’échecs des solutions purement répressives (la relégation, la tutelle pénale…). Le code pénal actuel aboutit à un système équilibré mais draconien dont le régime a été constamment durci ces dernières années: doublement des peines encourues, fortes restrictions dans l’octroi de la libération conditionnelle, réduction drastique des aménagements de peine… Dans la pratique, toutes les études le prouvent et les promoteurs de cette réforme le reconnaissent (rapport Léonard: on constate un “substantiel alourdissement des peines prononcées à l’encontre des délinquants d’habitude”) , les peines appliquées aux récidivistes sont beaucoup plus sévères, sévérité qui contribue d’ailleurs grandement à la surpopulation pénitentiaire actuelle. Il n’y a donc aucune urgence particulière à légiférer, aucune crise particulière à juguler, aucune aggravation à stopper. Il est toutefois encore possible d’améliorer largement le système en appliquant les lois existante plutôt qu’en en votant de nouvelles. Ainsi le suivi-socio-judiciaire est-il une mesure très prometteuse mais qui n’a pas donné toute la mesure de son efficacité. Cette peine d’accompagnement a été une création de la gauche. Créée par la loi du 17 juin 1998 sur la répression des infractions sexuelles, elle n’a malheureusement pas pu donner tous ses fruits car les moyens ne suivent pas (absence de médecins coordinateurs, de psychiatres…). Une nouvelle réforme législative votée dans la précipitation et dans le détestable climat actuel entretenu par la démagogie et les propos outranciers du ministre de l’intérieur serait la pire des choses. Tous les professionnels demandent une pause.

MOBILISER L’INTELLIGENCE, NON LA PEUR

La principale leçon à tirer des derniers événements est qu’il faut à l’avenir à tout prix éviter d’être piégé par des démagogues, d’être prisonnier du dernier crime commis par un récidiviste et de devoir rappeler à chaque fois des principes ou des constats élémentaires. Pour cela il faut, entre l’opinion publique et les pouvoirs publics un tiers modérateur. Une instance représentative, mais indépendante, à la compétence incontestable, fournirait régulièrement des avis, des observations et de analyses sérieuses, ferait des propositions compréhensibles du public et pourrait être consultée en permanence – par les médias ou les professionnels- si précisément survient un acte criminel grave. Ce “Conseil National de Politique Criminelle”, indépendant du gouvernement, comprendrait des scientifiques de haut niveau, des représentants des professions et des associations concernées et des hommes politiques. Il pourrait fédérer les nombreux organismes de recherche existant.

DÉNONCER LE TRUQUAGE DES CHIFFRES

Actuellement, il est possible de parler n’importe comment de la récidive et surtout d’avancer des chiffres truqués sans que personne ne lève le petit doigt. Il faut donc pouvoir rappeler ces vérités élémentaires.

  • Il y a plusieurs types de récidives très différentes les unes des autres et qui appellent des réponses très différentes. Rien de comparable entre les récidives motivées par des addictions fortes (alcoolisme, toxicomanie), celles découlant de la participation à des activités de délinquance organisée, celles liées à des perversions sexuelles, celles dépendant de pathologies psychiatriques ou celles imposées par la précarité (un étranger en situation irrégulière récidive dès sa sortie de prison!). Il faut pour chacun de ces types de récidive des réponses spécifiques.
  • La récidive criminelle (de crime à crime), celle dont on parle le plus, est rarissime, de l’ordre de 5 pour 1000. De plus, elle baisse. En 1996, on compte 133 condamnations criminelles de personnes ayant des antécédents criminels. En 2003 il n’y en a que 57!
  • Les récidivistes sont déjà très sévèrement punis. L’étude Kinsey-Tournier de 2005 montre que lorsqu’une personne récidive, la justice l’envoie en prison dans 80% des cas. Peut-on être plus sévère encore? Les 20% qui représentent la liberté du juge ne sont-ils pas justement une soupape de sécurité indispensable, puisque la loi ne peut tout prévoir.
  • La récidive est un phénomène globalement en baisse ces dernières années. Si l’on prend le nombre de personnes ayant des antécédents condamnées chaque année, on passe de 105.625 en 1996 à 100.977 en 2003.
  • Il ressort de toutes les études menées depuis des dizaines d’années que les personnes relâchées à l’issue d’une libération conditionnelle récidivent moins que celles qui sont relâchées sans aucun aménagement.
  • toutes les recommandations européennes vont systématiquement dans le sens de l’utilisation de la libération conditionnelle, tout simplement parce que cette solution a montré partout son efficacité.

LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LA RECIDIVE: RENDRE SON SENS À LA PEINE, SA RÉALITÉ À LA SANCTION

Pour lutter contre la récidive, l’effort doit être général et ne pas se limiter au seul problème de la récidive.

Il faut d’abord rehausser le niveau de qualité de la justice pénale pour que le récidiviste potentiel puisse être détecté à temps. La rapidité de la justice, l’accroissement des procédures rapides font que la personnalité des prévenus reste inconnue. Faute d’une individualisation suffisante de la sanction, on condamne aveuglément à des peines fermes des personnes qui mériteraient une adaptation de leur sanction. D’où le nombre croissant de personnes présentant des pathologies psychiques parfois lourdes ou des dépendances toxicomaniaques fortes en prison. C’est pourquoi il faut tenter de redonner son sens à la peine. En expliquant pourquoi elle est ordonnée et quel est son but, ce qu’on appelle la motivation. Or les tribunaux ne motivent pas leur peine contrairement à l’obligation que leur fait la loi. La compréhension du sens de la peine passe aussi par la présence réelle de la victime dans le procès pénal. Il faut enfin que soit établi dans chaque affaire un véritable dossier de personnalité (enquête de personnalité, expertise psychologique ou psychiatrique) à chaque fois que la récidive est encourue et transmettre ce dossier ensuite à chaque nouvelle comparution en justice.
S’agissant de la sanction, le système actuel de libération conditionnelle et d’aménagement des peines doit être non pas restreint, mais renforcé. Seules ces mesures permettent de façon certaine de réduire le risque de récidive. Pour permettre une telle politique, il convient de faire un effort historique en faveur de l’application des peines et du milieu ouvert.


P.S. :
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