L’application du numerus clausus pénitentiaire
Intervention de la section Justice du syndicat CFDT – Interco Rhône concernant l’application du numerus clausus pénitentiaire.
Lyon le 7 décembre 2007Monsieur le Président de la République,
Nous sommes présents aujourd’hui pour porter la parole des personnels de l’administration pénitentiaire concernant le respect du numerus clausus dans les prisons françaises.
Lors d’un passage à Lyon, le 3 avril 2007, en réponse à une question d’un animateur de la campagne « Trop c’est trop! Pour un numerus clausus en prison « , vous vous disiez favorable « à l’élaboration d’une loi pénitentiaire exigeante » et à la « création d’un contrôle général indépendant ». Ces initiatives : « feront qu’il ne sera plus possible, en France, d’obliger un détenu à partager sa cellule » « Je m’y engage, le plus vite possible ».
Vous évoquiez également « la poursuite de la construction des établissements pénitentiaires dont nous avons besoin, la réduction du nombre de personnes en détention provisoire (…) et le placement dans d’autres structures, mieux adaptées, d’un grand nombre de personnes qui n’ont rien à faire en prison ». « Je pense en particulier aux personnes qui souffrent de troubles psychiatriques« .
De telles déclarations ne pouvaient nous laisser indifférents car l’instauration du numerus clausus est une revendication que la CFDT porte depuis qu’elle s’est implantée dans l’administration pénitentiaire en 1982. En effet, de rapport en rapport, de plaintes en plaintes, d’inspections en expertises, de constats d’huissiers en tentatives de suicide en évasions réussies, les ministres changent mais la surpopulation carcérale demeure une fatalité ! A Lyon, comme dans l’ensemble des établissements pénitentiaires de la région.
Fidèles aux valeurs que nous défendons, nous souhaitons rappeler l’article premier de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui stipule que « la dignité humaine est inviolable » et qu’ « elle doit être respectée et protégée ».
La CFDT ne conçoit son action syndicale que dans cet esprit. Il n’est pas de progrès qui puisse se réaliser dans une société qui se veut civilisée, sans que soient reconnues l’égalité et la dignité de chacun.
Aujourd’hui, nous assistons à une intensification de la pénalisation de la société et du recours à l’incarcération comme réponse pénale aux conséquences des maux de notre société. La conséquence est que pour des délits de même nature, les prévenus sont condamnés à des peines beaucoup plus lourdes aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Mécaniquement, les prisons se trouvent surpeuplées, à un point tel que même les programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne suffiront pas à réduire cette surpopulation. Aujourd’hui, 8 maisons d’arrêt de Rhône-alpes Auvergne demeurent surpeuplées à plus de 200 %.
Nous affirmons, à ce propos, que l’enfermement de masse est absolument inefficace à la poursuite du but qu’ont affiché les gouvernements ces dernières années, à savoir la réduction de l’insécurité publique.
Tant que le système actuel n’est pas régulé en terme quantitatif, il empêche de sortir de l’idée que la prison est l’unique sanction. Sortir de ce système, c’est admettre que les autres sanctions sont tout autant légitimes à satisfaire les exigences de la Justice. Et c’est de fait, réfléchir à l’adéquation entre les délits et les sanctions.
Par ailleurs, outre l’effet dévastateur pour les populations ainsi traitées, nous dénonçons l’augmentation massive de la charge de travail pour toutes les catégories d’agents de l’administration pénitentiaire, des surveillants aux travailleurs sociaux, en passant par les personnels administratifs et d’encadrement. Les recrutements restent insuffisants pour permettre un suivi et un accompagnement humain des personnes placées sous main de justice.
Outre une dégradation des conditions de travail, cette politique modifie le contenu même des missions des travailleurs sociaux. En effet, l’augmentation de la charge de travail et l’évolution de la réglementation sont de nature à transformer les métiers éducatifs en métiers de techniciens de l’exécution des peines. Ces agents, dont la mission essentielle est, de notre point de vue, d’accompagner les personnes placées sous main de justice dans un processus d’insertion sociale et professionnelle, dans le but de prévenir la récidive, se retrouvent contraint de suivre des procédures compliquées et très techniques dans un minimum de temps. La relation interindividuelle qui est au cœur de l’accompagnement éducatif se retrouve souvent simplement absente.
Concernant les personnels de surveillance, nous avons toujours récusé le manichéisme réducteur qui oppose deux catégories soi-disant inconciliables : celle des personnes détenues et celle des personnels. Il légitime la logique du rapport de force, et conduit à empêcher toute réflexion de fond sur l’enfermement. La violence légale que la société demande aux personnels pénitentiaires d’exercer dans leurs missions de surveillance, ne peut trouver sa légitimité que dans la dignité de la personne qu’il leur est demandé de garder. On ne peut pas avoir le sentiment d’exercer une mission au service de l’intérêt général, de contribuer à la prévention des crimes et des délits, à un effort partagé de réconciliation et d’apaisement des tensions, si le message que le système promeut est qu’il n’y a pas lieu de s’émouvoir lorsqu’on entasse 2, 3 ou 4 personnes dans une cellule de moins de 10 m2.
Nous souhaitons donc qu’au lieu de concentrer les efforts sur la construction d’établissements pénitentiaires, le législateur choisisse de financer davantage de postes de travailleurs sociaux et de personnels soignants.
Le respect du numerus clausus est pour nous l’unique moyen :
- D’améliorer les conditions de travail de tous les personnels pénitentiaires mais aussi de ceux qui sont chargés de la mise en oeuvre des missions d’éducation et d’insertion.
- De permettre la prise en compte du caractère exceptionnel que doit avoir la mise en détention provisoire.
- D’encourager, conformément à votre volonté, la mise en œuvre des mesures alternatives à l’incarcération.
- De favoriser, en particulier à Lyon, l’utilisation des dispositifs législatifs réglementaires autorisant l’aménagement des peines.
La revendication de l’instauration d’un numerus clausus dans les établissements pénitentiaires est un pas de plus en faveur d’une institution pénitentiaire respectueuse et respectable, moderne et efficace.
N’en déplaise à certains, les personnels pénitentiaires n’ont pas vocation à réaliser les basses œuvres de la République et à autoriser la collectivité à se laver les mains des problèmes qu’elle refuse de résoudre.
Le combat pour la dignité des détenus, c’est aussi le combat pour la dignité des personnels.
C’est également un combat pour la sécurité de tous.