Intervention de Dominique Voynet au débat « Jeunes, justice, police »

Je tiens à remercier les intervenantEs qui m’ont précédé pour leur présence à ce débat et leur volonté d’ouvrir le dialogue comme pour la qualité de leur intervention.

Je tiens également à remercier les militants et les militantes qui nous accueillent ce soir à Aubervilliers.

Vous parler des rapports des jeunes avec la justice et la police est quelque chose de difficile, difficile non pas du point de vue de mes propres convictions ou de celles des Verts mais difficile parce que ce sujet peut à tout moment nous amener à céder à la facilité et à apporter des réponses toutes faites, clefs en mains.

Bien au contraire, cela exige que nous expliquions aux Françaises et aux Français qu’il s’agit d’un sujet des plus complexes, qui nécessite des analyses et des propositions globales dans leur conception et durables dans leur application. Sur ce sujet, comme sur d’ailleurs beaucoup d’autres, on a besoin de nuance, de modestie et d’écoute. L’inverse en somme de ce que la droite mobilise (et avec elle, hélas, une partie de la gauche) en laissant croire qu’il y a toujours une solution simple à des problèmes compliqués, celle-ci consistant généralement à désigner des coupables, et à passer à autre chose

Pour autant, Les Verts ne sont pas angéliques.

Nous savons que la multiplication des incivilités, la hausse de la délinquance touchent en tout premier lieu les habitants des quartiers populaires. Et nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de bonne politique sociale qui ne s’appuie sur le droit de tous à vivre tranquillement dans sa ville, dans son quartier, dans sa cité. Mais nous n’acceptons pas la logique qui prévaut aujourd’hui, où l’Etat abandonne l’ambition du vivre ensemble pour l’obligation du « surveillez les tous ».

Regardons les publicités des promoteurs immobiliers en Seine-Saint-Denis : toutes, elles mettent en avant la sécurisation des logements, les grilles, les sas d’entrée, la vidéosurveillance… Est-ce vraiment comme cela que nous voulons vivre ?

Affirmer le droit de tous – et pas seulement des mieux lotis – à la sécurité, le droit de tous à vivre normalement, c’est d’abord refuser par exemple la fermeture des postes de police de proximité.

J’en viens à la question que vous posez ce soir, celle des relations entre les jeunes, la police et la justice. Si l’on veut voir juste, il faudrait élargir cette question. Croit-on que les rapports des jeunes d’aujourd’hui soient plus simples avec les autres services publics ? Avons-nous tant de raisons d’être si fiers de la situation faite aux jeunes dans l’école et la formation, dans le logement ou l’emploi ? On a beaucoup parlé, lors de la crise du CPE, d’une crise de génération et on avait raison. On a commenté beaucoup de chiffres et d’études qui donnaient toutes à voir la précarité des jeunes salariés, ballottés de stages non rémunérés en CDD, de chômage en job sans lendemain. On a parlé de génération précaire. Mais on s’est trop peu attardé sur ce que les statistiques ne disent pas, sur la traduction concrète, intime, de l’insécurité sociale : ce sentiment croissant d’incertitude et d’inutilité qui touche les jeunes, diplômés ou non, ce gâchis de compétences , de talents et d’énergies inemployées ou mal employées. Tout cela aussi en dit long sur la crise de notre « vivre ensemble ».

Comme en dit long cette manière très floue de parler, en général, des « jeunes », adulés ou diabolisés selon les circonstances.

Qui sont ces jeunes qui ne sauraient avoir de bons rapports avec la police et la justice, qui sont donc ces jeunes qui composeraient, du fait de leur simple condition sociale, de leur apparence vestimentaire ou de leur vocabulaire une nouvelle classe dangereuse, à part entière ?

Très souvent, trop souvent, lorsque l’on associe les termes de police, de justice et de jeunes, le mot qui vient tout de suite après, c’est « banlieues ».

La réalité de cette jeunesse est pourtant complexe. Nous avons des jeunes hommes et des jeunes femmes très souvent surdiplômées, d’autres qui le sont moins et certains enfin qui ne le sont pas du tout. Nous avons des jeunes de toutes origines, de toutes cultures.

Ce qui leur est commun, à Clichy-Sous-Bois, à Toulouse, à Vaulx-en-Velin ici même, à Aubervilliers, c’est d’abord l’aggravation de la précarité qu’ils subissent.

Précarité dans l’accès à l’éducation, dans l’accès au logement, dans l’accès à l’emploi.

Le taux de chômage des jeunes est largement supérieur au taux de chômage général. Et cette inégalité là se double d’autres, territoriales : le chômage des jeunes en Seine Saint-Denis n’est pas le même qu’ailleurs. On le sait très bien : un jeune qui vit en banlieue ou dans un quartier populaire, catalogué « d’origine étrangère ou des DOM-TOM », subit un risque de chômage, de précarité ou de déclassement bien plus important que d’autres.

Et ce n’est pas d’UN individu qu’il s’agit, ce n’est pas de cas isolés dont on parle là. C’est un contexte général, une déprime qui dure depuis longtemps, et qui nourrit fatalement l’humiliation et le ressentiment. Je ne veux trouver d’excuses à personne. Mais il serait quand même assez hypocrite de considérer, comme le font les bonnes âmes qui critiquent l’angélisme supposé de ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, que tout cela, ces inégalités là, reproduites depuis trente ans, ces discriminations devenues banales, la fragilisation de tant de gens, jeunes et moins jeunes, n’est pour rien dans les tensions qu’on observe !

Et quand ces « jeunes des banlieues » se retrouvent confrontés à une police devenue uniquement une machine répressive, avec ses contradictions, ses dérives, ses abus et ses violences, on ne peut pas faire l’étonné si ça se passe mal ! ça n’excuse rien , mais ça devrait permettre de se dire qu’il faut revoir les réponses qu’on met en oeuvre.

Car la police, comme n’importe quel autre service public, répond à des injonctions politiques. Celles-ci vont aujourd’hui dans une seule direction : unsens unique sécuritaire, qui mise tout sur la répression au détriment de la prévention. Je le dis nettement : *ce sens unique est une impasse.

Je ne me trompe pas toutefois : il faudra affronter la droite et la battre, mais il faudra également assumer les erreurs de la gauche.

Car cette orientation sécuritaire ne date pas d’aujourd’hui. Cela fait longtemps qu’on a mis de côté l’expression « Police Secours ». Les gouvernements de gauche ont proposé et adopté des lois sécuritaires qui non seulement constituaient un recul de nos droits et libertés, mais qui ont eu pour effet d’aggraver les tensions existantes.

Sarkozy a clairement franchi un cap supplémentaire.

Il multiplie les lois à un rythme effréné. Quel aveu d’échec ! Car si on doit faire une loi sur la délinquance ou sur la sécurité tous les deux ans, c’est que la précédente n’était pas bonne, ou qu’elle n’a pas produit de résultat. Dans tous les cas, c’est un échec. *La Place Beauvau a jusqu’à présent réussi ce tour de force de faire de cet échec persistant un argument marketing *: on commence par faire peur, puis on vote un texte qui c’est promis va remédier aux problèmes ; on attend un peu, on refait monter la sauce, et on explique qu’il faut encore un nouveau texte, qui mordra encore un peu plus que les précédents sur les principes du droit et sur les libertés publiques mais, cette fois-ci, ça résoudra tout.

Une nouvelle loi, ça coûte moins cher que se donner les moyens d’appliquer celles qui existent. *Et ça permet au Ministre de l’Intérieur de passer deux fois par jour à la télé; ça créé de l’agitation et pendant qu’on s’agite, on ne parle pas de bilan.*

Ainsi, le ministère de l’Intérieur ne diffuse aucune évaluation des structures mises en place, tels que les GIR, les fameux Groupements d’Intervention Régionale.

Tous les chiffres de la délinquance, notamment ceux du 93, témoignent pourtant à charge contre Sarkozy. Certains fonctionnaires de police, honnêtes et courageux, ont dénoncé la politique menée par leur Ministre. Les dernières élections professionnelles au sein de la police sont un autre exemple de l’échec patent de l’action du ministre de l’Intérieur, contestée par ses propres subordonnés.

La marque de Nicolas Sarkozy, c’est de constamment entretenir l’amalgame entre, d’une part, les violences et la délinquance et d’autre part certaines catégories déjà fragilisées de la population : les pauvres, les précaires, les malades, les toxicomanes et les jeunes.

« La racaille », le « karcher », et j’en passe, sont autant de stratégies de gesticulations médiatico-politiques à destination de la droite dure de l’électorat.

Pour les jeunes, comme vient de le rappeler Noël Mamère, Sarkozy avec le projet de loi prévention de la délinquance, tente de faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs en la rapprochant de façon inacceptable du régime des majeurs.

Nous ne nions pas que l’ordonnance de 1945 doit être modifiée. D’ailleurs, les représentants des différents organismes auditionnés sont les premiers à le réclamer.

Mais aucune modification de cette ordonnance n’est acceptable si elle concourt à dénaturer l’esprit fondateur du texte.

Cette ordonnance rappelle qu’une bonne justice des mineurs est, avant tout, une justice qui prend en compte les différentes étapes de l’enfance et de l’adolescence, étapes qui doivent être traitées de façon différenciée.

Si tout le monde aujourd’hui s’accorde à dire qu’il est néfaste de faire traîner pendant plusieurs années un jugement, car cela dénature le sens de la justice, il n’est pas pour autant nécessaire d’opter pour une justice expéditive, au mépris du temps éducatif nécessaire à tous les jeunes, en particulier à ceux qui sont en difficulté.

Dans l’intérêt des jeunes avant tout, il convient de bâtir sans attendre une justice qui dispose de moyens humains et financiers suffisants, afin de prendre le temps nécessaire au traitement spécifique de la délinquance des mineurs.

Comme le note la Ligue des Droits de l’Homme, la rupture proposée par le candidat Sarkozy, ce n’est rien d’autre, pour les libertés publiques, qu’un basculement durable vers l’arbitraire. Et je n’ose même pas imaginer combien demain on comptera demain d’affaires OUtreau, d’erreurs judiciaires plus ou moins retentissantes si l’on applique les recettes de Sarkozy.

Ce risque de basculement vers l’arbitraire est d’autant plus prononcé que les services publics, et donc la police, sont soumis à une pression du pouvoir qui prône en permanence la culture du chiffre.

Ainsi, on impose aux fonctionnaires de police, comme n’importe quelle entreprise capitaliste à qui l’on demande de faire du bénéfice, de produire encore plus avec moins de moyens. Même les meilleurs policiers sont donc pris dans un engrenage qui exige d’eux qu’ils multiplient les interpellations, les contrôles d’identité, les gardes à vue et les reconduites à la frontière.

Je ne tente ici en rien d’excuser ou de dédouaner tous ces policiers qui commettent des abus, qui vont du tutoiement systématique à la bavure.

Des drames qui, comme la mort de Zied et Bounia à Clichy-sous-Bois, comme la décharge de flash-ball en plein visage de cet adolescent il y a un mois encore à Clichy-sous-Bois, ou plus loin, comme la mort de Malik Oussekine, dont on commérera demain les 20 ans de l’assassinat, sont à la fois les révélateurs de grandes crises sociales et les déclencheurs des révoltes, passées, présentes et à venir.

C’est également cette dérive libérale – du chiffre, du chiffre et rien d’autre ! – appliquée à la police qui pousse à maintenir un nombre trop important de fonctionnaires dans des quartiers aisés, alors que des départements comme la Seine-Saint-Denis se retrouvent en insuffisance de personnel.

C’est cette politique qui systématise l’envoi dans les endroits supposés les plus « chauds » de France des fonctionnaires de police les moins formés, les moins aguerris, celles et ceux qui très souvent ne viennent pas d’Ile-de-France ou de grandes agglomérations et qui de plus sont bien souvent les plus jeunes.

On retrouve ainsi souvent de jeunes policiers inexpérimentés face à des jeunes des quartiers qu’on leur a présenté comme dangereux. Ceci entraîne très souvent des comportements de mimétisme viril. Les cow-boys de la BAC roulant des mécaniques face à ceux que l’on appelle les caïds du quartier, chacun sombrant dans la surenchère verbale et physique.

Ces phénomènes prêteraient à sourire s’ils n’étaient à l’origine de telles tensions.

Confrontés à ces problèmes structurels, complexes je le répète, les Verts proposent une série de réponses globales.

Tout d’abord, nous proposons que soit créée une police nationale de proximité. L’une des actions positives du Gouvernement Jospin a été de commencer la mise en place d’une telle police ; mais il n’est pas allé jusqu’au bout de ce processus et la droite s’est empressée de mettre par terre ce qui avait été entrepris.

Il nous reste donc à en inventer une nouvelle, une police de proximité qui permette de tisser des liens durables avec la population d’un territoire, condition d’un meilleur vivre ensemble fondé sur le respect de chacun.

Il n’appartient pas aux polices municipales de maintenir l’ordre public, cela doit être du seul ressort de la police nationale. C’est pourquoi les moyens des polices municipales doivent être réaffectés à la médiation et à la prévention. Pour donner de vrais moyens aux acteurs de la prévention nous proposons que soit lancé un programme pour la création de 10 000 postes d’éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

L’une des principales causes d’abus de la police face aux jeunes est la multiplication des contrôles d’identité, bien souvent des contrôles au faciès. Il faut donc limiter drastiquement ces abus en modifiant la loi sur les contrôles et vérifications d’identité.

Nous devons nous battre pour supprimer toute obligation et prime au chiffre. Et pour cela, il convient de rétablir une obligation de moyens et d’augmenter sensiblement les salaires des fonctionnaires de police.

Rien ne changera entre policiers et jeunes si la formation des premiers n’est pas renforcée par un enseignement de lutte contre les discriminations y compris en formation continue au cours de la carrière.

J’ai été assez admirative récemment d’un habitant de mon quartier à mon Montreuil qui a poussé des policiers dans leurs contradictions jusqu’à se retrouver au commissariat : les agents l’ont interpellé en lui demandant sa carte de séjour, il a dit qu’il n’en avait pas, ils l’ont embarqué. Evidemment qu’il n’avait pas de titre de séjour : il est français ! Il n’avait sur lui que sa carte d’identité qu’il a fini par leur montrer quand ils lui ont posé la bonne question. Il faut vraiment que ce genre de pratique cesse !

Nous proposons également que soit créé un corps de citoyens de contrôle de la police, composé d’élus, de magistrats, de militants associatifs, sous l’autorité de la Commission Nationale de la Déontologie et de la Sécurité. Ce groupe de contrôle serait autorisé à être présent auprès des forces de l’ordre sur le terrain ou dans les commissariats, ce qui permettrait un contrôle indépendant et régulier des pratiques policières. De plus nous proposons de renforcer les moyens de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS.

Mais tout ceci sera vain si la justice n’est pas à la fois respectée dans son indépendance et renforcée dans ses moyens humains, matériels et financiers.

Le dénuement de la justice est une des causes de certaines procédures expéditives qui ouvrent la voie à l’arbitraire, dont les comparutions immédiates, faisant suite aux révoltes de novembre 2005, est un triste exemple.

Il nous faut d’urgence augmenter les moyens de la justice : à savoir embaucher des greffiers, des magistrats et des membres de la protection judiciaire de la jeunesse en nombre suffisant.

Mais il s’agit aussi de revoir le seuil d’attribution de l’aide juridictionnelle pour que plus de personnes puissent en profiter et augmenter son montant pour que les avocats qui font ce travail puissent le faire dignement. Nous devons de même penser au statut des traducteurs et interprètes dont les délais de paiement sont bien trop longs et dont les tarifs d’indemnisations sont parmi les plus bas d’Europe.

L’aide aux victimes doit elle aussi être réformée, dans un département comme la Seine-Saint-Denis les victimes de violences, femmes et enfants notamment, sont tellement nombreuses que les associations qui les suivent dans leur parcours avec la justice ne peuvent plus fonctionner de façon bénévole.

Nous devons enfin développer toutes les voies alternatives à l’incarcération qui dans de trop nombreux cas est inadaptée et brise des vies au lieu d’aider à les reconstruire.

C’est notamment un des points sur lequel j’aimerais qu’un dialogue s’engage aujourd’hui avec les différents intervenants et avec vous qui êtes venus exprimer votre point de vue.

Un dernier point sur lequel j’aimerais avancer avec vous c’est l’une des propositions de cahiers de doléances d’ACLEFEU, celle de la promotion de la diversité des origines (sociales et culturelles) dans le recrutement des magistrats. Cette proposition m’a interpellée parce qu’elle est difficile à mettre en oeuvre, elle renvoi à tout notre système éducatif. En même temps elle m’a aussi interpellé parce qu’elle me fait penser à une blague qui court par ici : « t’as qu’à faire un BEP avocat puis un bac pro Juge et c’est bon ! » Si cette blague me fait rire et m’interpelle c’est parce que l’humour du désespoir exprime quelque chose de profond à quoi nous nous devons de réagir : est-ce vraiment stupide de penser qu’on peut faire autrement, là aussi, dans la formation et le recrutement des magistrats ?

Evidemment je mets au débat les propositions des Verts que je viens d’exprimer et surtout les moyens de les mettre en oeuvre. Nous avons besoin de l’avis de tous, et de la conviction que c’est ensemble que l’on peut construire l’avenir et certainement pas les uns contre les autres !


P.S. :
– Issu de http://blog.voynet2007.fr

Remonter