« On doit le dire à l’opinion publique : la prison n’est pas une vengeance sociale. »

Alvaro Gil-Roblès, commissaire au Conseil de l’Europe, réagit aux réponses apportées par le gouvernement à son rapport sur les droits de l’homme en France : «Il faut dire à l’opinion publique que la prison n’est pas une vengeance sociale»Le rapport «sur le respect effectif des droits de l’homme en France» (1), très critique, du commissaire aux Droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Roblès, a été rendu public hier (Libération du 13 février). Il réagit ici aux réponses du gouvernement français.

Hier, le garde des Sceaux, Pascal Clément, a beaucoup insisté sur la construction de nouvelles prisons pour résoudre les problèmes carcéraux, qu’en pensez-vous ?

J’ai beaucoup discuté avec Pascal Clément, et sans rentrer dans la polémique avec lui, je pense que le plus important est de voir plus loin. Il ne s’agit pas seulement de construire de nouveaux centres ­ nécessaires pour remplacer les prisons vétustes ­, mais de réfléchir à une véritable politique pénitentiaire. Qu’attend-on de la prison dans un Etat démocratique ? Certes, que ce soit un endroit où l’on purge sa peine, mais aussi quelque chose de plus. Ce doit être un lieu où le détenu trouve l’opportunité de revenir à la société, de s’y réintégrer, d’en devenir aussi un élément positif et surtout ne retombe pas dans la récidive. C’est l’intérêt de tous. On doit le dire à l’opinion publique : la prison n’est pas une vengeance sociale.

Que faire ?

Prendre exemple sur les centres fermés pour mineurs avec des activités spécifiques. Voilà une expérience que je soutiens très fermement, mais que, malheureusement, les municipalités rejettent, préférant construire une piscine municipale. Ne pas se contenter, non plus, du « tout-prison » et multiplier les mesures alternatives. Enfin, je veux dire que dans les prisons on trouve aussi des milliers de personnes en détention provisoire, qui sont, elles, présumées innocentes et qui sont soumises à des conditions absolument inacceptables. Et, plus généralement, il faut surmonter une vision à court terme et entamer un vrai débat et un engagement de toute la société sur ce sujet.

Vous êtes très sévère sur le sort réservé aux étrangers…

Ceux qui arrivent irrégulièrement dans un pays sont des gens, des êtres humains qui méritent notre respect. Si l’on doit les renvoyer dans leur patrie, encore faut-il le faire en respectant les règles et en les gardant dans des centres corrects. Or, ce que j’ai vu dans certains lieux est absolument inacceptable. Ce matin, l’ambassadeur de France auprès du Conseil de l’Europe nous a assuré que les centres de rétention de Marseille et de Paris vont être fermés sous peu (2). C’est une bonne nouvelle.

Les règles ne sont-elles pas respectées ?

Pas toujours. Dans les zones d’attente, dans les centres de rétention, par exemple, il est presque impossible aux demandeurs d’asile de trouver quelqu’un qui formule leur demande en français et par écrit. Les délais de recours ne sont pas toujours observés. De plus, les enfants n’ont vraiment pas leur place en rétention… Souvent une chose est la loi, une autre la pratique !

Et les violences policières que vous dénoncez ?

La police doit agir avec des critères de proportionnalité. C’est le cas en général, et les policiers l’ont prouvé lors des récents événements dans les quartiers. Cependant, les plaintes pour violences auprès de la Commission nationale de déontologie et de sécurité ont augmenté de 34 % en deux ans. Sans doute les policiers affectés dans les zones les plus difficiles sont-ils les plus jeunes et les moins formés, et peuvent avoir des réactions intempestives… Il faut donc les encadrer et les former. J’ajoute que, étrangement, en France, les policiers ne portent sur eux aucun élément d’identification, comme une plaque avec un numéro. Cela veut dire qu’en cas de litige les citoyens sont dans l’impossibilité de les identifier. Je crois que dans un pays démocratique un citoyen a le droit de savoir qui représente l’autorité face à lui. Tout cela entraîne un sentiment d’impunité. C’est très mauvais.

Comment analysez-vous les réactions françaises à votre rapport ?

Je suis positivement surpris du débat qui s’engage. Pour les Français, les droits de l’homme sont un des éléments profonds de leur modèle de société. Je pense que tout le monde reconnaît que les problèmes sont là, le gouvernement a même reconnu les aspects positifs du rapport. J’espère maintenant que les mesures viendront. Je pars du principe qu’il faut croire un gouvernement lorsqu’il dit qu’il va résoudre les problèmes. Cependant, on ne peut simplement en appeler à la responsabilité d’un gouvernement, mais à celle d’une société entière, avec les médias, les associations, les ONG et les parlementaires.

(1) Ce rapport est consultable sur le site www.commissioner.coe.int et sera publié le 23 février par les Editions des Equateurs (272 pp, 12 €).
2) Une information confirmée hier par Nicolas Sarkozy.

par Dominique SIMONNOT
LIBERATION : 16/02/06


P.S. :
Lire sur le site du Quotidien Libération

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