Malaise à la prison de Metz après le suicide de deux gardiens

Le suicide de deux surveillants de la maison d’arrêt de Metz- Queuleu (Moselle), survenu cet été à quelques jours d’intervalle, a suscité un profond malaise dans cet établissement, en proie depuis quelques mois à de fortes tensions, sur fond de scandales et de dissensions syndicales.

« L’ambiance est franchement malsaine« , dénonce Emmanuel Maire, délégué local de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP). « C’est difficile« , reconnaît un porte-parole de l’administration pénitentiaire (AP), qui évoque « un climat de village assez terrible » et « une forte pression » depuis ces événements.

Philippe, 37 ans, quinze ans d’ancienneté, s’est pendu chez lui au début du mois de juillet. Virginie, 31 ans, titularisée depuis quelques mois, s’est donné la mort dans les mêmes circonstances, trois semaines plus tard. Tous deux travaillaient au quartier des jeunes adultes, l’un des secteurs les plus difficiles de la prison.

PLAINTE ET ENQUÊTE INTERNE

Ces deux surveillants se connaissaient et semblaient s’apprécier.  » On a dit que Philippe était amoureux de Virginie, témoigne un gardien. Je ne connaissais pas sa vie privée, mais il est sûr qu’il fut l’un des rares à l’avoir soutenue dans son combat, ce qui lui avait valu pas mal de problèmes au boulot. Dans sa tête, ça a dû gamberger. »

Le « combat » de Virginie, c’est le « harcèlement moral et sexuel » dont elle se disait victime. Mère d’un petit garçon de 7 ans, divorcée, cette jolie jeune femme avait fini par se lasser des plaisanteries salaces dont elle faisait, assurait-elle, l’objet. Estimant que l’un de ses collègues avait dépassé les bornes, elle avait saisi la justice, en début d’année, relate une surveillante. « Je l’ai vue arriver en larmes à mon cabinet, raconte son avocate, Me Dominique Boh-Petit. Elle avait peur, sa démarche avait suscité envers elle une profonde hostilité. »

Le parquet de Metz, destinataire de la plainte, l’a classée « sans suite » , estimant que les éléments manquaient pour « caractériser l’infraction » . Quelques mois plus tôt dans une affaire du même type ­ la plaignante avait renoncé à sa procédure et demandé à être mutée ­, le surveillant que Virginie mettait en cause avait reçu une lettre du procureur « attirant -son- attention sur -son- comportement fréquemment grossier, méprisant, voire injurieux à l’égard de cette fonctionnaire féminine ».

Entre-temps, une note interne du directeur de la maison d’arrêt avait mis le feu aux poudres. « En l’espace d’un an, j’ai été amené à saisir à trois reprises l’autorité judiciaire à la suite de plaintes de surveillantes (…) pour des motifs de harcèlement sexuel, moral et professionnel, écrivait le chef d’établissement. Ces incidents, outre le fait qu’ils provoquent une certaine irritation du procureur de la République, jettent le discrédit sur l’administration et témoignent d’évidentes difficultés d’intégration du personnel féminin. » Le tollé fut tel qu’une enquête interne de l’Inspection des services pénitentiaires avait été aussitôt diligentée.

« Pour Virginie, c’était devenu l’enfer, témoigne un de ses collègues. La prison était divisée en deux camps : ceux qui la soutenaient et ceux qui lui en voulaient d’avoir porté plainte. On lui disait : ‘Deux autres, avant toi, ont dégagé. On va te briser !‘ Lorsque la plainte a été classée, le surveillant mis en cause est revenu de maladie et a promis de ‘régler ses comptes’ dans un tract affiché sur le panneau syndical » , révèle encore un militant de l’UFAP.

Au début de l’été, de sales rumeurs ont commencé à circuler sur cette surveillante, faisant état de prétendus ébats avec un détenu. « Des ragots totalement infondés » , assure Denis Gotti, délégué de Force ouvrière.

Le 26 juillet, la jeune femme mettait fin à ses jours. Le suicide de son collègue, trois semaines auparavant, avait fini de la « déstabiliser » , selon un proche. On sait aujourd’hui que Virginie avait déjà fait deux autres tentatives. « Dans une lettre adressée à sa famille, ma cliente explique qu’elle était au bout du rouleau, révèle son avocate. Elle cite nommément un surveillant et le « remercie » ironiquement de la réputation qu’il lui a faite. »

« DANS L’INTÉRÊT DU SERVICE »

Début août, ce fonctionnaire a finalement été muté « dans l’intérêt du service » . Quant au rapport de l’inspection, s’il a effectivement permis « de repérer » certains fonctionnaires pour des « propos grossiers et des comportements sexistes en détention » , il ne préconise toutefois pas de sanction, estimant que les faits visés « ne pouvaient être qualifiés de harcèlement » . « Nous espérons que cette mutation va permettre d’assainir la situation » , note simplement un porte-parole de l’AP, qui souligne que les deux surveillants qui se sont suicidés « connaissaient des problèmes personnels ».

« Peut-on encore parler de coïncidences lorsque deux collègues se suicident à moins d’un mois d’intervalle ? » , s’interroge un gardien. « Il y a forcément un lien, même si d’autres raisons ont pu motiver ces gestes » , considère le délégué FO. « Nos collègues n’ont pas eu le soutien qu’ils étaient en droit d’attendre, regrette celui de l’UFAP. Quelque chose nous a échappé. »

Nicolas Bastuck – Le Monde


P.S. :
Lire aussi sur le site du Monde :

Remonter