Lettre ouverte aux parlementaires.
Paris le 27 janvier 2006
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
L’affaire d’Outreau est un cataclysme pour la justice.
Paradoxalement, elle révèle la violence quotidienne de l’institution judiciaire.Soyez assurés que nous, membres du Syndicat de la magistrature, n’entendons pas éluder les responsabilités de l’institution judiciaire ou de ses membres. Si des fautes venaient à être établies, il serait légitime que des sanctions soient prononcées.
Depuis toujours, nous revendiquons une justice réellement
indépendante mais aussi plus responsable. Pour ce faire, elle doit être l’objet d’un véritable contrôle démocratique.
Nous proposons que le Conseil supérieur de la magistrature, garant de l’indépendance de la justice et chargé de la discipline des magistrats, soit composé
majoritairement de personnes issues de la société civile désignées par le parlement dans des conditions assurant une représentation pluraliste. Dans un souci d’impartialité et de transparence, nous proposons le rattachement de l’inspection des services judiciaires au Conseil supérieur de la magistrature. Nous sommes favorables à ce que les justiciables puissent saisir de leurs réclamations une autorité indépendante.Ceci pourrait, dans les cas les plus graves, aboutir à la saisine des autorités disciplinaires aujourd’hui instrumentalisée par le garde des Sceaux. Pour rapprocher les citoyens de l’institution judiciaire, nous réclamons la mise en place d’un véritable échevinage au sein des juridictions correctionnelles, plutôt que d’y faire siéger des juges dits de proximité recrutés de façon très contestable.
Sachez également qu’en aucun cas nous ne considérons le système pénal actuel comme indépassable. Nous avons souvent demandé, notamment lors de notre congrès en 2000, que le ministère public bénéficie d’une totale indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, condition nécessaire pour envisager, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs, la disparition du juge d’instruction et son remplacement par un magistrat du parquet, instruisant à charge et à décharge dans le cadre d’un système de légalité tempérée des poursuites. Une telle réforme implique également la mise en place d’un magistrat du siège, juge-arbitre compétent pour toutes les mesures touchant aux libertés individuelles, le rattachement de la police judiciaire au parquet et le renforcement du rôle des avocats, par un accès facilité et égalitaire pour tous les citoyens à une défense effective, présente dès la première heure de garde à vue.
Faute de tels préalables, la suppression du juge d’instruction ne serait que la manifestation d’une volonté de se débarrasser d’un magistrat indépendant qui s’est avéré trop souvent embarrassant pour le pouvoir politique. Sans la réforme de fond que nous préconisons cette suppression consacrerait une justice à deux vitesses, au
détriment des plus faibles.
Soyez sûrs que nous sommes prêts à tirer les enseignements de l’affaire d’Outreau. Toutefois, cette analyse ne doit pas faire l’économie d’une réflexion sur l’impact pour les justiciables des lois que le parlement a récemment votées. Il appartient à chacun de prendre sa part de responsabilité.
En effet, ces dernières réformes nous éloignent de l’éthique du procès équitable telle que définie à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
C’est ainsi que le recours au juge unique devient la règle au détriment des garanties que la collégialité apporte aux justiciables, la systématisation des comparutions immédiates favorise une justice d’abattage, la mise en place de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité institue un déséquilibre flagrant entre
l’accusation et la défense. La délocalisation des salles d’audiences permet de juger les étrangers au sein des zones de rétention, portant notamment atteinte à la publicité des débats et aux droits de la défense.
Alors que le placement en détention provisoire est au coeur du débat, vous ne devez pas oublier que vous avez considérablement élargi les conditions de sa mise en oeuvre : par l’abaissement des seuils de peines encourues, par l’allongement de sa durée maximale, par la création d’un référé détention, par le principe du mandat de dépôt à
l’audience pour certains types de récidives.
Parallèlement les droits de la défense ont été régulièrement réduits ou sont restés purement formels, comme l’intervention de l’avocat en garde à vue.
Enfin, vous ne devez pas oublier que, par la loi du 12 décembre 2005, vous avez choisi de faire de la prison la réponse de principe au traitement de la récidive et plus précisément en matière d’infractions sexuelles.
La commission d’enquête parlementaire va rendre son rapport. Nous serons tous appelés, à un titre ou à un autre, à tirer les enseignements de l’affaire d’Outreau.
Le Syndicat de la magistrature vous interpelle depuis longtemps déjà sur la nécessité d’une réforme de fond de la justice. Nous vous demandons solennellement de prendre la pleine mesure des conséquences des trop nombreuses réformes votées dans le seul souci de démagogie.
Nous vous prions de bien vouloir agréer, mesdames, messieurs les parlementaires l’expression de nos salutations distinguées.
Aïda Chouk
Présidente
pour le syndicat de la magistrature
P.S. :
– Syndicat de la magistrature