Intervention lors de l’audition du préfet de police par le Conseil régional d’Ile-de-France
Monsieur le Préfet de police,
Ici même, il y a un an, notre Assemblée régionale accueillait votre prédécesseur et le groupe EELV lui exprimait ses profondes inquiétudes, face à l’évolution du service public de la sécurité, dans ses missions comme dans ses moyens:
– inquiétude, face à sa décentralisation rampante et au poids croissant du secteur privé.
– inquiétude, face du recul de la prévention, alors même qu’étaient annoncées 30.000 nouvelles places de prison.
– inquiétude, face à l’augmentation des crédits alloués à la vidéosurveillance au détriment de la présence humaine
– inquiétude, face aux missions fixées aux forces de police, purement répressives et ciblées sur certaines formes de délinquance, par le biais de la « politique du chiffre »
– inquiétude enfin, face aux profondes inégalités territoriales en matière d’effectifs et d’investissements
La victoire de la gauche a suscité de grands espoirs de révision profonde de cette politique de boucs émissaires, au demeurant inefficace dans la lutte contre la délinquance.
Le groupe EELV a noté avec satisfaction un certain nombre d’évolutions – remise en chantier des statistiques de la délinquance; octroi facilité de la nationalité française; réduction de la part de la vidéosurveillance dans le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.
Mais, à côté de ces avancées, je ne vous cacherai pas notre sentiment d’une continuité avec les politiques de la droite.
Je pense à l’engagement du président de la République, toujours non tenu, de mettre un terme au contrôle au faciès, discriminatoire et qui contribue à tendre les relations de la police avec les jeunes des banlieues.
Je pense aux actions entreprises à l’encontre des Roms, chassés sans ménagement de leurs campements, le plus souvent sans solution préalable de relogement, malgré la circulaire de cet été.
Je pense aux jeunes majeurs étrangers scolarisés, menacés de reconduite à la frontière. Comme bien d’autres collègues, j’ai participé au parrainage organisé par la région Ile-de-France. Pourtant, si quelques situations individuelles ont pu être réglées, les OQTF continuent de pleuvoir, et vous savez combien ces situations sont angoissantes pour ces jeunes qui ont choisi la France pour étudier – comme ils disent: « jeunesse sans papiers, jeunesse volée ». Faudra t-il réitérer ces parrainages, pour que notre gouvernement de gauche accorde enfin à ces jeunes un droit de séjour pérenne?
J’aurais pu ajouter à cette liste l’octroi aux étrangers du droit de vote aux élections locales, promesse déjà de François Mitterrand en 1981, renouvelée en 2012, et déjà abandonnée par le président de la République, sans même engager le combat auprès de l’opinion.
Et l’actualité m’oblige à parler de Notre Dame des Landes, où ce matin encore le gouvernement, qui refuse la discussion, a fait usage de violence contre une mobilisation citoyenne, suscitant l’indignation de mon mouvement.
Nous avons bien conscience du contexte difficile auquel notre gouvernement se trouve confronté, comme dans bien d’autres pays d’Europe.
Mais nous avons la conviction que ce n’est pas par le repli et le renoncement, mais en portant haut ses valeurs, dans les paroles comme dans les actes, en défendant une autre vision de société, par le dialogue et la démocratie, que le gouvernement s’assurera du soutien populaire.
J’en viens à des sujets intéressant plus directement les politiques régionales.
Depuis 1998, la région Ile-de-France a engagé une collaboration avec le ministère de l’Intérieur pour la construction et la rénovation de commissariats. La dernière convention, signée en 2005, prévoyait que l’État rende compte chaque année des effectifs policiers affectés à chaque équipement aidé par la région, ainsi que des travailleurs sociaux présents. Cet engagement n’a jamais été tenu. Tout à l’heure, notre assemblée délibérera sur une nouvelle convention. Etes-vous en mesure, aujourd’hui, de nous apporter ces informations?
Rapprocher la police de la population est une nécessité, largement partagée semble t-il au sein des personnels de police, si j’en juge par plusieurs prises de position récentes. Avec la création des ZSP (zones de sécurité prioritaires), le gouvernement semble vouloir aller vers une territorialisation de l’action de la police, dont les priorités seraient définies en fonction du contexte local. Mais quelle place sera dévolue aux élus, aux acteurs du développement social, culturel, éducatif, etc., aux habitants, dans la définition des priorités, dans le suivi et l’évaluation des actions? Comment s’assurer que la volonté opérationnelle des ZSP et le souci légitime de résultats immédiats ne relègue pas au second plan la prévention, qui requiert un temps plus long?
Une mission récente à Montréal nous a permis de percevoir l’intérêt d’une police ancrée dans son territoire, en contact permanent avec les élus et la société locale, dotée d’une capacité d’initiative et assurant l’ensemble de ses missions de prévention, de dissuasion et de répression. Partagez-vous cette logique? Est-ce bien l’orientation du gouvernement, dans les ZSP et ailleurs?
Quelques mots enfin sur la vidéosurveillance. Elle n’est plus aujourd’hui une priorité de l’Etat, très bien. Pour autant, le mouvement est lancé, et le discours dominant lui attribue une efficacité tellement évidente qu’elle n’aurait pas besoin d’évaluation. Pourtant, un rapport de la Cour des Comptes a montré son coût très élevé pour les finances locales au regard de son utilité – je ne parle pas des risques de glisser doucement vers une société de contrôle généralisé.
Ne serait-il pas temps d’engager une évaluation incontestable de l’efficacité de la VS dans la prévention de la délinquance et l’élucidation des délits, selon une méthode rigoureuse, avec le concours de chercheurs et d’experts reconnus et, dans l’attente des résultats, surseoir aux aides de l’Etat?
Voilà, monsieur le préfet de police, les principales questions que souhaite vous poser le groupe EELV. Nous serons, vous vous en doutez, très attentifs aux réponses que vous voudrez bien leur apporter.
Jean Lafont