Voici un texte que j’avais préparé à l’occasion du Contre-Sommet France Afrique le 31 mai dernier. Je devais le partager à l’occasion d’une rencontre en marge de la marche des Sans-papiers de Paris à Nice. Et finalement, la fête l’a heureusement emporté sur le fond en fin de journée et fin de marche pour les sans-papiers arrivés ce soir-là au terme de leur périple.
« Après plusieurs années dans l’associatif environnemental, j’ai décidé de rejoindre l’écologie politique. Pourquoi?
Parce que seuls les écologistes partagent le constat que notre modèle de développement n’est plus viable, ni pour l’homme, ni pour la planète. Qu’il est nécessaire de rompre avec ce modèle, en voulant bien s’attaquer aux causes et non aux seuls effets.
Si j’ai choisi l’écologie politique, c’est parcequ’elle est la seule à apporter une vision globale de la solidarité, une vision triple : la solidarité avec les plus démunis – ici et ailleurs, avec l’ensemble du vivant, dont bien sûr l’animal et le végétal, et enfin avec les générations futures.
Pourquoi je vous dis cela, vous l’aurez compris, parceque cette approche complexe doit être celle qui nous guide dorénavant de nos relations avec le Sud. une approche englobant les enjeux éthiques, sociaux, économiques et écologiques.
Permettez-moi de revenir sur certains de ces enjeux :
Enjeux Ethiques, en premier lieu. Le décalage nord sud est devenu moralement intolérable. Comment rétablir la confiance mutuelle autrement qu’en reconnaissant la responsabilité du modèle productiviste et financier, et en assumant résolument la dette des pays du Nord dans la situation contemporaine des pays du Sud ? Le citoyen du Nord, en rendant ce service aux peuples du Sud et de l’Afrique en particulier, se rendra service à lui-même en retrouvant sa dignité et en mettant ses actes en cohérence avec les valeurs des Droits de l’Homme.
Enjeux sociaux et économiques. Pour résumer, il s’agit de sortir de la misère les deux tiers de la population mondiale ! Jamais nos sociétés n’ont atteint de tels niveaux d’inégalité. Dans le monde entier, la fortune des 250 personnes les plus riches est égale aux revenus de 2,5 milliards d’individus. Quant à la fortune des 3 personnes situées en haut de l’échelle, elle équivaut à elle seule au PIB des 48 pays les plus pauvres ! J’arrête là la litanie des chiffres.
Comment imaginer que de tels gouffres, il puisse ressortir autre chose que de la misère et de la violence ? Comment être aveugle au point de ne pas voir que cette situation porte en elle le chaos chez ceux-là même qui aujourd’hui s’imaginent protégés ?
Est-ce qu’il est cohérent d’exporter un modèle basé sur la croissance et l’exploitation des ressources, chez ceux-là même que l’on exploite et que l’on empêche de croitre ?
Si nous voulons instaurer des relations durables et solidaires avec le Sud, nous devrons résolument et urgamment apprendre à partager.
Enjeux écologiques car Les grandes questions qui déterminent de plus en plus la sécurité planétaire, l’économie mondiale et le bien être des populations sont pour beaucoup d’origine écologique : accès aux ressources naturelles, approvisionnemnet en hydrocarbures, migrations, risques de pandémies généralisées, bouleversements dus aux changements climatiques, conflits pour l’usage de l’eau, l’avancée des déserts et le recul des forêts, la baisse de la fertilité des sols ou celle des océans…
Le malaise est d’autant plus grand que l’impossibilité pour tous les habitants de la planète d’accéder aux standards de vie occidentaux est avérée. Il faudrait 4 ou 5 planètes pour fournir l’énergie et les matières premières qui permettraient aux pays émergents d’accéder à notre style de vie. Cette impasse angoissante n’impose-t-elle pas naturellement un devoir de solidarité aux plus riches ?
Devrais-je ajouter pour ceux que ces arguments n’auraient pas convaincus, une dose de réalisme ? Dans le village global qu’est devenue notre planète, nous n’échapperons plus aux contrecoups des drames qui se préparent ou ont déjà cours au Sud. Refugiés politiques, climatiques, populations affamées sont déjà à nos portes et nous ne reviendrons pas ici sur la manière dont ils y accèdent. Partout se dressent des murs réels ou virtuels, mais n’est-ce pas la réponse la plus dérisoire et amorale ?
Face aux défis géopolitiques, climatiques et environnementaux qui menacent la planète, une nouvelle approche des relations Nord-Sud est indispensable! Il ne s’agit plus seulement d’œuvrer pour un développement durable, mais de trouver les moyens de vivre ensemble sur notre planète dans un partage équitable des ressources.
Où en sommes nous des Objectifs du Millémaire pour le Développement? Eliminer l’extreme pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’autonomie des femmes… Je m’arrete là au risque de sourire ou de pleurer. Quels moyens nous donnons nous? L’objectif des pays membres des nations Unies : atteindre 0,7% du Revenu national brut d’ici 2015. On en est loin…
Nous disposons pourtant de l’expertise et pouvons inventer de nouvelles ressources financières pour construire ces relations.
Des solutions sont avancées sans aboutir, comme la taxe Tobin : qu’attendons-nous pour agir ? l’initiative française de taxation des billets d’avion pour approvisionner un fonds contre les pandémies a bien abouti…
D’autres sont à l’agenda pour construire des partenariats permettant une gestion responsable des biens publics mondiaux que sont les matières premières qui s’épuisent, le climat, l’air, l’eau, la biodiversité, la santé face aux grandes pandémies.
Un exemple , le concept de «déforestation évitée» : comme il ne peut être question d’ interdire aux pays du sud de couper leurs forets, l’idée est de mettre en place une économie qui génère de réels avantages, économiques, culturels et matériels, à entretenir le patrimoine végétal. Méthode qui parait sensée, même si complexe à mettre en œuvre.
Dans tous les cas, les fonds dégagés devront être scrupuleusement soumis à des critères écologiques et sociaux afin qu’ils servent prioritairement des modes de production et de consommation durables. Il s’agit en effet de promouvoir une agriculture locale et durable, renforcer les modes de production et les marchés locaux, lutter contre l’effet de serre par le transfert de technologies appropriées et encourager la conservation de la diversité biologique.
Pour finir, une gouvernance mondiale est impérative, qui fasse le poids face à l’OMC notamment, pour traiter de manière prioritare et conjointe enjeux écologiques et sociaux. Un exemple parmi tant d’autres en matière de biodiversité : avec son érosion, couplée aux conséquences climatiques, la nature devient un enjeu vital, et génère déjà de multiples conflits. Dès 1992, l’article 3 de la Convention de Rio sur la Biodiversité refuse la notion de patrimoine mondial -dont l’on pouvait suspecter que le Nord s’empare comme d’un droit à s’arroger les ressources des autres- et consacre le droit des peuples à disposer de leurs ressources. Et pourtant, des Etats, des entreprises, et même des particuliers, s’approprient en toute impunité des terres partout dans le monde (1/2 de l’île de Madagascar a failli récemment y passer!!!)
Ce contre-sommet qui nous réunit aujourd’hui est un appel de plus pour voir le bon sens et la morale dicter l’ordre des choses : devons-nous encore une fois le rappeler : l’ensemble des budgets militaires annuels se montent à environ 1000 milliards de dollars, celui de la publicité 500 milliards, le marché des stupéfiants 500 milliards également. 50 milliards de dollars annuels suffiraient pour combattre efficacement famines, maladies graves et donner accès à l’eau potable. Pourquoi peut-on trouver de l’argent pour sauver le système financier et pas pour sauver des vies ? Devons-nous baisser les bras ou continuer à diffuser, ensemble, une autre vision du monde qui fasse fi de l’impératif du tout économique pour replacer l’homme et la nature au cœur de nos préoccupations ?
Pour finir, je reprendrai cette magnifique phrase de Gandhi « Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun ».