De retour d’une semaine dans les alpages du Mercantour avec un berger, je souhaitais partager quelques moment forts et réflexions…
Pourquoi ? : Elue régionale depuis 2012, déléguée à la biodiversité, je me suis vite rendue compte que la problématique du loup que je connaissais très peu ne pourrait très longtemps me rester étrangère. Elue des Alpes-Maritimes –département de forte présence du loup-, j’allais être souvent interrogée sur ce sujet. L’animal ne me laisse pas indifférente et sa protection dans le cadre de la Convention de Bern aurait pu me permettre un discours facile : il est protégé, dont acte !
Malheureusement, ce serait trop simple et surtout faire fi d’une autre problématique qui me tient particulièrement à cœur, celle de l’avenir du pastoralisme dans notre Région. Et là, impossible d’ignorer la précarité économique de la filière et à quel point le loup perturbe un tableau déjà noir.
Violences contre des gardes du Parc du Mercantour, bergers en larmes ou menaçants, abandon d’estives…les signes d’un profond malaise devenaient trop flagrants pour être ignorés.
Alors, plutôt que de porter un regard, documenté certes, mais extérieur, j’ai souhaité aller à la rencontre d’un berger…et du loup ?
L’occasion : c’est l’Association FERUS, association de protection des grands prédateurs, qui m’a permis cette aventure extraordinaire, d’être une éco-volontaire auprès d’un berger pour l’accompagner dans la garde de son troupeau. Le programme Pastoraloup qu’elle a développé dans notre région permet en effet à ceux qui le souhaitent de bénéficier d’une formation de 4 jours auprès de professionnels du secteur sur l’enjeu du pastoralisme, les comportements du loup et comment aider un berger grâce à la présence humaine, entre autres mesures de protection.
En juin dernier, je faisais ma formation dans les Monges. De cette expérience j’ai gardé 2 souvenirs très forts : un éleveur qui nous a dit que sa vie avait basculé du paradis vers l’enfer avec le loup ; une dame travaillant avec eux sur les mesures de protection, désespérée de la capacité d’adaptation du loup face aux mesures mises en œuvre. J’ai compris à cette occasion que les mesures de protection, à commencer par le déploiement des parcs de sécurité, était extrêmement chronophages, et donc une véritable contrainte pour les éleveurs ou bergers. Rien est évidemment simple jusqu’au chien patou lui-même qui protège le troupeau certes mais s’attaque par ailleurs aux cyclistes et aux quads (sans parler de ces pauvres marmottes) !
Au sortir de ces quelques jours, j’ai confirmé mon souhait d’être éco-volontaire mais je ne vous cacherai pas mes appréhensions : j’ai demandé à l’association de me proposer une mission dans laquelle je ne me trouverai pas « seule au monde » loin dans l’alpage avec un troupeau ! moi aussi, j’ai besoin de présence humaine !,-)
Peu de temps après, tout est calé, je pars la dernière semaine d’août rejoindre un éleveur dans le Parc du Mercantour.
Un détail : 26 août, j’arrive à 12h au lieu dit de rdv, persuadée d’être là il faut et à l’heure. Pas de berger à l’horizon,- :( Heureusement, ce dernier étant connu de tous dans le hameau, je me renseigne. « Oui, c’est bien le chemin pour se rendre aux alpages, mais il se trouve au bout de ce chemin que vous ne pouvez emprunter qu’à pied et il y en a pour 1h 30 !! » Un détail sans doute pour lui, suffisamment anecdotique pour qu’il ne me l’ait pas précisé… ;-) Me voilà partie avec mes 15 kilos dans le dos à sa rencontre.
Mon berger : je ne vais pas en rajouter car sinon vous allez croire que j’en ai perdu toute objectivité, mais vraiment, il est incroyable ! Le « vrai » berger de nos imaginaires d’enfance… Un éleveur qui est aussi berger, qui accompagne donc son troupeau à l’estive pendant 3 mois depuis toujours, qui ne quitte pas ses bêtes de 8 heures le matin à 20h le soir quand il rentre avec elles, connaît chacune d’entre elles (elles sont 700 !), bichonne chacune… ; et en plus d’une gentillesse, et d’une patience infinie pour tout m’expliquer, me montrer, me raconter…Bien sûr un berger sans ses chiens ne serait pas un berger ; il en a 3 qui l’accompagnent, obéissent à chacun de ses mots et guident le troupeau d’une manière impressionnante. Pas de patou car il n’apprécie pas ce chien.
J’ai donc passé à ses côtés une semaine magique où j’ai beaucoup appris sur son métier, ses craintes, et le loup.
Mon berger et ses chiens
Le loup : je ne l’ai jamais vu, je préfère le dire de suite. Et tant mieux ! car je ne vous cacherai pas que, seule la nuit dans ma tente, placée en amont du troupeau, car le loup arrive par le haut, et même si la cabane du berger n’était pas loin, et bien je préfère être honnête, je n’avais pas du tout envie de le voir ! Il est là, chaque jour, un voisin où une nouvelle nous le confirme. Les nouvelles vont vite, les éleveurs et bergers se passent les infos presque chaque jour, les gardes du Parc également. Où exactement ? Nul ne le sait. D’où une vigilance permanente…et j’ai le sentiment que cette menace qui plane en permanence doit être usante. Impossible de baisser la garde !
De retour de l’alpage, en route vers le parc, en passant devant ma tente…
Les mesures de protection : dans le cas de mon berger, elles étaient simples et cadrées. Répétées chaque jour. Chaque soir, il rentre ses bêtes dans un parc, lui-même entouré d’un plus grand électrifié. Chaque soir, il allume des lumières à chaque coin. Chaque soir enfin, il a un éco-volontaire qui dort en amont de son troupeau. La présence humaine est pour lui primordiale, il a attendu son premier volontaire pour monter à l’estive et depuis, ils se succèdent sans interruption. A préciser que dans le parc, il ne peut être armé ce qu’il ne refuserait pas ailleurs car il considère que les tirs de défense sont une bonne chose.
Le parc et les lumières autour
Anecdote : je croise un berger de brebis laitières, qui n’a donc à priori pas de problèmes avec le loup car il rentre son troupeau chaque soir à la bergerie. Quand il réalise que je suis une éco-volontaire, il dira au berger – pas devant moi- « comment peux-tu nourrir une pro-loup ? ». No comment.
Enfin si, un, pour ceux qui imagineraient que « mon » berger est un pro-loup. Non, il ne l’est pas ; il serait sans aucun doute plus heureux et serein sans et considère que ses grands-parents ont eu bien raison de l’éradiquer. Il y a d’un côté son troupeau, de l’autre, les adversaires de son troupeau : chiens errants, vipères mortelles, le loup. S’il avait un fusil et l’une de ces espèces sur son chemin, il les éliminerait. Il fait avec, c’est tout.
Résultats : je n’ai passé qu’une semaine dans l’alpage, je n’en tire donc aucune conclusion définitive. Comme me l’a dit un garde du Parc venu déjeuner avec nous, chaque cas est différent : la configuration de l’alpage, la taille du troupeau, les mesures de protection, la proximité des loups, en meute ou isolé… J’insisterai sur le point qui me semble décisif : l’éleveur ou le berger lui-même ! J’écris les choses comme je les ai vécues :
- au milieu, mon berger et son troupeau qu’il ne quitte pas, des mesures de protection réglées et répétées chaque jour avec la même vigilance, pour le moment et après 2 mois d’estives, il n’a subi aucune d’attaque.
- à droite, hors parc, un troupeau de 1000 bêtes que nous pouvons observer à la jumelle. L’éleveur a d’autres activités et délègue la surveillance de son troupeau à un berger. Celui-ci semble dépassé par la situation : un soir parmi d’autres, le troupeau est divisé, une grande partie sur une crête, sans lui avec deux patous; l’autre à un autre bout et lui errant au milieu de cela, armé et tirant à tout va ! Pas de contrôle de la situation, des bêtes éparpillées dans des situations dangereuses à la nuit tombée…Pourtant le loup rôde, l’éleveur le sait, il l’a vu.
- à gauche, sur un autre alpage, à vue de jumelles lui aussi, 2 troupeaux de 2000 bêtes, avec des bergers la journée et des patous la nuit. Les troupeaux sont en « couche libre », ils ne sont donc pas rentrés le soir. Seuls les patous surveillent, 2 pour l’un, 6 pour l’autre. Une journée de rando dans ce coin, je discute avec l’éleveur qui se moque gentiment des éco-volontaires (des urbains dans les alpages pour garder nos bêtes, imaginez… ;-)) ; et quand je lui demande s’il n’est pas risqué de laisser ses bêtes seules le soir, si les patous suffiront, il me répond : « je ne fais confiance à aucun berger pour garder mes bêtes ». Et bien ce même jour, dans la nuit, le loup attaquera et abimera sérieusement 5 de ses chiens. Est-ce bien sérieux ?
Alors oui, mon idée se précise : la présence humaine est un atout incontestable. Au mieux, celle de l’éleveur ou du berger. L’éco-volontaire est un atout dans un dispositif où le troupeau est parqué. D’ailleurs les mesures loup n’obligent-elles pas le parc ?
Les mesures de protection sont certes une lourde contrainte d’organisation au quotidien mais bien menées, elles se révèlent efficaces.
Le pastoralisme : un métier magnifique, garant d’une alimentation de qualité et de circuit court sur notre territoire ; garant aussi de l’ouverture des milieux et au-delà, de la maintenance de certains territoires ruraux où toute activité disparaitrait sans cela. Ouverture des milieux oui, mais en ce qui concerne la préservation de la biodiversité, je suis convaincue qu’elle n’est possible qu’avec une taille de troupeau réduite et bien mené au regard des milieux sensibles comme les captages de sources d’eau par exemple.
Ma petite expérience et mes discussions m’ont fait entrevoir un pastoralisme aux multiples visages : « mon » berger aux pratiques responsables qui fait avec le loup, ceux qui refusent sa présence et dont on a le sentiment qu’adopter des mesures de protection, c’est presque l’accepter. Mais il y a aussi les éleveurs pour que le troupeau représente tant que les bêtes sont bien nourries en estive, bien soignées tout au long de l’année, que nombre d’agneaux naissent, que l’activité économique couplée aux subventions permet alors de bien travailler ; et puis il y ceux vivent beaucoup de subventions, ont des troupeaux de 2000 bêtes mal gardées et gagnent leur vie sur le nombre et pas la qualité. Si les subventions agricoles devaient être conditionnées au rendement, c’est-à-dire aux naissances d’agneau, l’équilibre économique de la filière ne serait-il pas largement menacé, avec l’avantage d’obliger à des pratiques plus responsables ?
Les bergers, une espèce en voie de disparition ? Je commencerai par une anecdote qui m’a serré le cœur. En lisant un prospectus distribué dans l’office de tourisme du village le plus proche et décrivant la balade de l’alpage où nous sommes, je découvre cette phrase « vous aurez peut-être la chance d’y croiser le dernier berger »…
Ce métier est-il menacé ? Très certainement dans le sens où certains abandonnent et peu veulent reprendre. Et oui, je peux comprendre que le loup est un argument -de plus- qui fait reculer les plus jeunes qui voudraient s’engager. Mais face à cette situation, il y a une attitude des éleveurs eux-mêmes qui fait réfléchir : entre l’éleveur qui me dit qu’il ne confierait son troupeau à personne, même pas à un berger ; et « mon » berger qui me dit qu’il comprend cette attitude, je m’interroge sur leur engagement pour transmettre leur métier.
Pour finir : Pro ou anti-loup, cela n’a pas de sens. J’exècre la politique en noir et blanc comme si tout était si simple. Encore moins simple quand on est attachée au pastoralisme et à son devenir d’un côté, et à la protection d’une espèce protégée de l’autre. Ces quelques jours m’ont donné l’espoir qu’en s’en donnant les moyens, les deux pouvaient cohabiter.
Annabelle Jaeger
Conseillère régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur, déléguée à la biodiversité