L'entretien ci-dessous est extrait du livre de poche édité par
Alternatives Economiques en février 2012.
Le modèle énergétique français est caractérisé par une forte
centralisation, liée au poids du nucléaire. Or répondre aux enjeux posés par le
dérèglement climatique impose de mettre en place un système décentralisé,
impliquant davantage les collectivités, mais aussi les citoyens.
* Pourquoi l'énergie est-elle restée une compétence nationale au
sein de l'Union européenne ?
En effet, bien que l'environnement relève de plus en plus d'une compétence
européenne ou régionale, il n'y a jamais eu, dans les traités, un octroi de
compétence à la Commission européenne en matière énergétique. Il s'agit bien
d'un domaine de compétence régalien national. En France, accepter de faire de
l'énergie une compétence européenne de droit revenait à mettre les choix
nucléaires en débat. Or l'Etat n'a jamais accordé de véritable pouvoir
sur ce sujet aux collectivités territoriales. L'énergie est un domaine où lui
seul décide, par exemple de l'implantation d'un réacteur
nucléaire.
Cette tradition date de la Libération et de la mise en place en 1945
de monopoles publics, EDF-GDF et Charbonnages de France. Elle a toutefois été
renforcée dans les années 1970 avec le nucléaire, une énergie qui ne se
développe qu'au sein des pays ayant un pouvoir centralisé. Dans un cadre
institutionnel décentralisé, les programmes nucléaires sont en effet aussitôt
bloqués par les collectivités locales sous la pression populaire.
Mais, depuis le début des années 1990, la Commission européenne a remis en
cause, au nom de la concurrence, les monopoles publics d'Etat. Elle a obtenu la
libéralisation du marché de l'électricité et du gaz. Par le droit de la
concurrence, elle a donc réussi à remodeler complètement le secteur énergétique
européen. Aujourd'hui, le modèle énergétique décentralisé allemand domine en
Europe et a été adopté notamment par l'Espagne, l'Italie, la Belgique…
La Commission a par ailleurs une compétence, au titre de l'environnement,
sur les questions relatives au climat. C'est l'Europe qui négocie dans le cadre
des conférences des Nations unies et non pas chacun des 27 Etats membres. De
facto, le paquet climat-énergie, adopté en décembre 2009 par le Conseil
européen, fixe ainsi des objectifs d'efficacité énergétique, de réduction
d'émissions de gaz à effet de serre et de parts de marché des énergies
renouvelables. Malgré le vide juridique, l'Europe a donc réussi à prendre
fortement position sur l'énergie.
Une allégorie explique bien les enjeux actuels : nous sommes en
face d'un conflit titanesque entre un monde des pastèques et un monde des
myrtilles. Le monde des pastèques, c'est le monde des grandes
multinationales, des grandes entreprises, des Etats forts. De l'autre côté,
celui des myrtilles est fait de plein de petites choses. Or les économies
d'énergie se réalisent forcément en mettant bout à bout une multitude de
petites choses. Contrairement à la France, l'Allemagne fonctionne d'une manière
très forte par la subsidiarité en mobilisant les acteurs en présence. La
question du changement climatique ne peut être résolue autrement.
La moitié des émissions de gaz à effet de serre est en effet issue
des ménages privés, par leur choix de chauffage, d'isolation, d'alimentation,
bref par leurs comportements. Pour répondre aux objectifs environnementaux, il
est donc nécessaire de transformer les habitudes d'un nombre considérable
d'acteurs. Une stratégie centralisée ne peut y parvenir.