Et d'ailleurs, quand la France a commencé à faire des plans climat nationaux, sans déclinaisons territoriales, on s'est très vite aperçu que cela ne fonctionnait pas. Car le niveau national était un échelon trop éloigné du terrain pour mettre en oeuvre des actions opérationnelles, suscitant l'adhésion et l'implication des différents acteurs. C'est pourquoi, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, la France a demandé aux collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants de constituer des plans climat-énergie territoriaux. Nous assistons donc à une décentralisation des compétences sur le climat, qui couvrent également les questions énergétiques. Une situation vécue de manière très différente selon les territoires et qui fonctionne mieux dans des régions aux cultures de coopération établies et anciennes, que cela soit entre collectivités ou entre secteurs privé et public, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, en Alsace, dans le Grand Ouest. D'autres régions, comme la Lorraine, la Champagne et l'essentiel des régions jouxtant la Méditerranée, accusent en revanche un retard.

* Au-delà du cadre institutionnel, cela implique un autre rapport entre consommateurs et producteurs…

La pratique des énergies renouvelables pose, au-delà de la question de la démocratie locale, celle de l'autonomie des territoires et celle du rôle quotidien des citoyens dans la consommation. Les réseaux intelligents vont ainsi bouleverser le rapport de chacun avec l'usage des équipements, en le responsabilisant. Leur fonctionnement décentralisé peut entraîner une révolution à l'image de celle que nous avons connue avec Internet, avec un accès massif à l'information. Par ailleurs, les consommateurs, avec les énergies renouvelables, deviennent aussi producteurs. On le voit, par exemple, avec l'énergie solaire.

Il est d'autant plus nécessaire d'encourager les citoyens à jouer un rôle plus actif dans le système que si nous ne progressons pas vers une plus grande efficacité énergétique, nous allons affronter un problème social insoluble. En France, un ménage sur six est déjà en situation de précarité énergétique. Dans le cadre de notre système national très hiérarchisé, il n'y a pas eu, comme en Allemagne, un réel travail auprès des consommateurs pour les inciter à changer de comportement. Aussi, l'ensemble du système est loin d'être optimal. Nous avons donc besoin d'entrer dans une démocratie de " co-construction ". Dans le cadre d'une planification à l'horizon 2050, nous devons rassembler l'ensemble des collectivités, des acteurs sociaux (syndicats, associations…), des grandes entreprises et des particuliers pour élaborer un projet collectif, ensuite mis en débat. Au sein de l'agglomération de Toulouse, j'ai mené une démarche de co-construction du plan climat-énergie avec 500 participants réunis en ateliers. Une pratique encore rare au sein des collectivités locales. Un des enjeux de l'après-2012 est bien de renforcer les processus de décentralisation.

* Car quand tout est décidé très haut, il y a parfois la tentation de régler les problèmes d'une manière autoritaire, sans concertation…

Au nom de l'urgence et de la gravité de la situation, certains ont la tentation d'un despotisme à travers des méthodes coercitives, des réglementations, etc. Or s'il y a bien une leçon à tirer du XXe siècle concernant les questions énergétiques, c'est que les systèmes totalitaires sont les plus gaspilleurs et les plus néfastes pour l'environnement, contrairement aux systèmes démocratiques. Aujourd'hui, face à l'urgence, cette demande de despotisme éclairé est très forte, y compris chez certains écologistes, mais cela ne peut fonctionner.

* En conclusion, peut-on revenir sur les enjeux sociaux, également cruciaux dans le cadre de cette transition énergétique ?

Dans le contexte actuel de la crise, le creusement des inégalités sociales rejoint ces questions avec urgence. Le poids de l'énergie dans le budget est en effet inversement proportionnel à la richesse. Plus on est pauvre et plus le poids de l'énergie dans le budget est important, car on a souvent des logements et des véhicules moins économes, quand ce n'est pas simplement un accès plus limité aux centres-ville pour aller travailler.

Comment isoler son logement si on n'a pas de capacité d'emprunt ? Les politiques d'économies d'énergie sont inaccessibles aux personnes qui n'ont pas de capacité d'investissement. Et ces inégalités se creusent précisément au moment où le prix de l'énergie va augmenter, car le programme nucléaire arrive en fin de vie. Quoi qu'on fasse, EDF envisage une hausse de 40 % du prix de l'électricité dans les années qui viennent pour assurer les investissements.

Il est donc urgent d'apporter une réponse aux populations qui n'ont pas de capacité d'investissement. Dans cette optique, la région-Midi-Pyrénées a mis en place un programme de 1 milliard d'euros sur la période 2011-2020 afin de réhabiliter les logements sociaux et de s'occuper de la précarité énergétique.

Le climat est le premier enjeu dans l'histoire de l'humanité qui nécessite une solidarité mondiale. Aussi sommes-nous dans une situation où nous devons faire le choix de subir ou d'agir. La question du climat va restructurer notre système politique de gouvernance. Jusqu'à présent, le sujet de l'énergie, dans un contexte encore très scientiste, a été appréhendé sous un angle exclusivement technique, laissant de côté la question démocratique. Or le coeur du sujet est politique. Car nous allons être obligés dans un même mouvement de trouver les moyens de gérer ensemble la planète et de revaloriser le rôle du citoyen. Pour un système efficace et socialement satisfaisant, nous devons réinvestir la démocratie.

Entretien avec Pierre Radanne, expert en politiques énergétiques, fondateur de la société de conseil Futur Facteur 4
Propos recueillis par Marc Endeweld
Alternatives Economiques Poche n° 054 - février 2012