La longue et tortueuse marche vers l’indépendance de l’audiovisuel public

André Gattolin est intervenu le mardi 1er octobre dans le cadre de l’examen du projet de loi et du projet de loi organique relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public, en discussion générale, au nom du Groupe écologiste.

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes chers collègues,

 

En préalable à mon propos, je voudrais rappeler que la loi que nous examinons aujourd’hui, même si initialement il avait été envisagé de l’inclure dans un texte beaucoup plus vaste concernant l’ensemble du secteur audiovisuel français, est à notre sens loin d’être une «petite» loi.

Le projet de loi du Gouvernement se rapportant à l’indépendance de l’audiovisuel, qui précise et renforce les attributs du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, a d’ailleurs été fortement enrichi après sa première lecture à l’Assemblée nationale et les travaux menés en commission au Sénat depuis la rentrée de septembre.

Lors des nombreuses et très riches auditions conduites par notre collègue David Assouline, certains sénateurs de l’opposition ont mis en doute l’apport de ce texte en matière d’indépendance de l’audiovisuel public. Tel n’est pas notre jugement.

Pour bien saisir les enjeux que nous avons devant nous, mais aussi les apports de ce texte et les améliorations que nous pourrions encore lui apporter, il n’est pas inutile – je crois – de retracer brièvement la longue et tortueuse marche vers plus d’indépendance de l’audiovisuel dans notre pays.

Pardonnez ce petit détour historique, mais je pense que celui-ci est indispensable pour comprendre combien notre pays, une des plus anciennes et des plus grandes démocraties de ce monde, a été – et reste encore jusqu’à aujourd’hui – à la traîne d’autres nations en matière de régulation et d’indépendance de son secteur audiovisuel.

L’actuel débat sur son indépendance trouve en effet ses origines dans l’immédiat après-guerre.

Inquiet de l’intense utilisation propagandiste qui avait été faite des médias et de la radio en particulier, par les régimes fascistes et nazis avant 1939 et durant la l’Occupation ; conscient aussi des dérives liées à la coexistence non régulée entre deux guerres d’un puissant secteur radiophonique privé et d’un secteur public mal organisé et peu doté en moyens, le Gouvernement provisoire issu de la Libération décida d’établir un monopole absolu d’Etat sur la radio – et indirectement aussi sur la télévision dont la mise en œuvre était déjà dans les cartons de l’Etat depuis la fin des années 1930.

C’est ainsi qu’une ordonnance du 23 mars 1945 institua la création de la Radiodiffusion Française (RDF, l’ancêtre de l’ORTF), un établissement public ayant pour mission d’établir un total monopole d’Etat sur l’ensemble des moyens de diffusion hertzienne qui existaient alors.

Dès sa naissance, un important débat eut lieu quant à la nature, les attributions et le degré d’indépendance dont devait bénéficier cette entité.

Devait-elle être une institution nationale dotée d’une certaine autonomie, sur laquelle le gouvernement n’exercerait qu’une tutelle lointaine, un peu sur le modèle de la BBC ?

C’était la thèse défendue par Jean Guignebert, journaliste renommé et grand résistant qui fut le premier Président du Conseil supérieur de la RDF.

Devait-elle, au contraire, être un pur instrument de monopole d’Etat sous le contrôle direct du pouvoir exécutif ? C’est cette dernière option qui fut finalement retenue.

Ainsi et par décret du 20 septembre 1945, l’information radiophonique fut placée sous la tutelle politique et quotidienne du Ministère de l’Information !

Il en fut de même pour la télévision d’Etat dès ses premiers balbutiements au tout début des années 1950.

Si la création de l’ORTF en 1964 allait conférer un peu plus d’autonomie à la Télévision française, celle-ci restait dans ce cadre étroit du monopole étatique, tandis qu’en Grande-Bretagne, le monopole de la BBC avait été aboli dès 1955.

Il faudra attendre 1969 pour que le Premier Ministre de l’époque, Jacques Chaban-Delmas, supprime enfin le Ministère de l’Information… Ministère qui allait être rétabli dès 1973, peu après le renvoi d’Arthur Comte. Il faut dire qu’en tant que Président de l’ORTF, ce dernier avait dénoncé les pressions exercées par le gouvernement quant à la nomination des directeurs de stations et d’antennes !

Ce n’est qu’en 1981 que le monopole d’Etat sur la radio sera aboli. S’agissant de la télévision, c’est en novembre 1984 que naît Canal +, la première chaîne privée payante autorisée, dans des conditions dérogatoires si particulières que certains n’ont pas manqué à l’époque de dénoncer le fait du Prince…

Entre-temps, la gauche au pouvoir avait créé en 1982 la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, premier organisme de régulation du secteur en France, composée de neuf membres dont trois étaient nommés par le Président de la République, trois par celui du Sénat et trois par celui de l’Assemblée nationale. Transformée en 1986 en Commission nationale de la Communication et des Libertés, dont les membres étaient nommés selon une procédure différente, cette instance allait finalement devenir le CSA en 1989, en revenant au mode de désignation initialement mis en place.

On le voit, c’est à un rythme très lent et non sans périodes de régression que nous en sommes arrivés au point où nous nous trouvons aujourd’hui.

La loi organique de mars 2009 a d’ailleurs marqué un nouveau recul dans l’indépendance de l’autorité que constitue le CSA, puisqu’elle plaça la nomination des Présidents de groupe de l’audiovisuel public sous la seule responsabilité du Président de la République.

Ce rappel historique effectué, je veux remercier la Ministre de la Culture et de la communication pour avoir compris l’importance de ce dossier et pour l’avoir mené jusqu’ici avec un grand sens de l’écoute, ce qui a permis d’enrichir son texte initial au fur et à mesure de nos discussions.

L’esprit général de cette loi, il est simple. C’est d’abord et avant tout donner un statut nouveau au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour renforcer ses pouvoirs et son autonomie. C’est de changer les modes de nomination de ses membres.

L’occasion nous est enfin donnée d’entailler le cordon ombilical qui relie encore l’exécutif et l’audiovisuel public et nous devons nous en réjouir. C’est un signal quasi inédit depuis 1958, une sorte de des-hyperprésidentialisation du régime.

Le Président de la République cède une partie de ses pouvoirs à une autorité autonome de l’exécutif, en même temps que le Parlement voit ses prérogatives renforcées concernant la nomination de six des sept membres du nouveau CSA.

Parmi les avancées de cette loi telle que nous la discutons ce soir, je dois souligner deux autres sujets qui nous tiennent particulièrement à coeur.

Le premier, c’est le fait qu’après quelques hésitations le texte ne comporte plus aucune disposition visant à transférer au CSA certains pouvoirs d’Hadopi.

D’abord, la chose aurait été indélicate par rapport à nos collègues de l’Assemblée nationale, qui n’auraient pas pu en débattre de manière satisfaisante puisque nous sommes en procédure accélérée.

Surtout, c’est le sens même d’une telle initiative qui pose problème aux écologistes. Nous sommes tout simplement opposés à un tel transfert pour des raisons de principe.

Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en reparler prochainement et je n’insiste donc pas plus sur ce sujet.

La seconde avancée, c’est le renforcement des garanties en matière de continuité des services publics et en matière de bonne gestion des deniers de l’Etat.

L’indépendance n’est pas qu’affaire de grandes déclarations : elle doit aussi et surtout s’inscrire dans les pratiques et appelle la responsabilité des acteurs qui en bénéficient.

C’est dans cet esprit que nous avons déposé une série d’amendements, adoptés pour certains dès leur examen en commission.

Je pense notamment à l’obligation de transparence des comptes imposée aux producteurs privés les plus importants, dès lors qu’ils souhaitent travailler avec les groupes de l’audiovisuel public.

Je pense aussi à la mise en place d’une procédure de «tuilage», pour faciliter le passage de témoin lors de l’arrivée d’un nouveau Président de groupe et permettre une plus grande continuité de l’action d’une direction à une autre.

Une telle procédure existe d’ailleurs à l’étranger (par exemple à la BBC) et en France, dans le cadre de grandes institutions culturelles. Cela a du sens, dès lors que les activités de programmation engagent parfois sur plusieurs années ! Les Présidents successifs de France Télévisions ont tous, en leur temps et à leur arrivée, regretté d’avoir les mains liées durant leur première année de mandat par des décisions prises par leurs prédécesseurs.

Par ailleurs, l’instauration d’un tel tuilage sécurisera les équipes en cas de reconduite du Président sortant et évitera les atmosphères de fin de règne, déjà vécues lorsqu’un Président n’est pas renouvelé, et qui par le passé ont amené certaines dérives qui n’ont pas contribué à améliorer l’image de notre service public de l’audiovisuel.

Les nouveaux amendements que nous présentons aujourd’hui s’inscrivent dans cette même logique de responsabilité, de transparence, de bonne gestion et de qualité renforcée du service public.

C’est ainsi que nous proposons que les Conseils d’administration des groupes de l’audiovisuel public comprennent des représentants des usagers par le biais des associations agréées de consommateurs, qui sont déjà des interlocuteurs réguliers du CSA, sur le quota duquel ces membres seraient désignés.

Il nous paraît en effet invraisemblable que la gouvernance de tels services publics continue d’exclure, de fait, tout représentant du public. Rappelons que des représentants du public participent au Conseil d’administration de nombre de chaînes dans d’autres pays (Pays-Bas, Canada…).

Pour le groupe écologiste du Sénat, la présence de représentants des téléspectateurs et des citoyens est une dimension essentielle de la modernisation de toutes nos institutions publiques.

Nous proposons également qu’en amont de la nomination des Présidents de groupe, l’Etat définisse des objectifs plus précis que ceux qui sont assignés par exemple par l’article 20 du cahier des charges de missions de service public, ou au travers du Contrat d’objectifs et de moyens de chaque groupe concerné. On ne peut que s’étonner que de telles orientations n’aient jamais été imposées jusque-là, afin de mieux cadrer en amont les projets proposés par les candidats à la Présidence de ces groupes.

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

Je terminerai par un dernier aspect, sans doute un des plus importants : celui de la diversité et de la qualité de l’offre proposée par le service public de l’audiovisuel. Nous croyons fermement que son pluralisme et que ses qualités doivent être protégés et renforcés, en prenant évidemment en compte les grands équilibres du marché audiovisuel actuel et en anticipant aussi les grandes évolutions de demain.

La démultiplication de l’offre de chaînes qui s’est opérée au cours des dix dernières années repose essentiellement sur un net développement du secteur privé, dans un contexte de concurrence extrêmement vive.

A ce titre, il nous paraît aujourd’hui assez surréaliste qu’une chaîne publique d’information internationale de la qualité de France 24, financée sur les deniers publics, ne soit pas accessible à l’ensemble des téléspectateurs résidant en France. C’est le sens de l’amendement que nous avons déposé afin qu’elle obtienne une fenêtre télévisuelle qui permette à nos concitoyens de profiter de la richesse de ses programmes.

Pour conclure, le Groupe écologiste du Sénat considère que nous avons aujourd’hui, à travers ce projet de loi et certains des amendements qui lui sont proposés, l’occasion de franchir une étape importante en matière de modernisation de notre audiovisuel public, et de donner un signal fort de sortie de ce que nous avons appelé, au début de notre intervention, « la longue et tortueuse marche vers l’indépendance » de notre système radiophonique et télévisuel.

 

Je vous remercie.

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