13 février 2012 : Grand Contournement Ouest

13 février 2012

Intervention d’Andrée Buchmann

Monsieur le Président, chers collègues,

J’aimerais dire en préambule qu’il est normal qu’une convention de financement de plusieurs millions qui engage la collectivité sur 55 ans soit débattue en séance plénière.

Vous avez indiqué, Monsieur le Président, que le projet a déjà été débattu en 2006. Beaucoup d’éléments nouveaux sont intervenus depuis :
-       premièrement, il avait été affirmé qu’il n’y aurait pas de participation des collectivités, or il y a maintenant une demande de participation financière de celles-ci ;
-       deuxièmement, le budget prévisionnel a doublé ;
-       troisièmement, il n’y avait pas encore eu de décision de la cour européenne concernant le grand Hamster, puisque celle-ci a eu lieu en 2011.

Par ailleurs, vous m’aviez garanti un débat public sur un plateau de télévision, Monsieur le Président, à la veille de votre élection en 2010. Nous n’avons jamais eu la possibilité d’auditionner les experts par rapport à l’enquête publique. Pourtant, le cabinet d’expertise indépendant TTK proposait deux scénarios : le premier présentait les avantages pour Strasbourg sans GCO : il reste cinq points noirs. Le second présentait les avantages pour Strasbourg avec GCO : il reste 5 points noirs. La conclusion est que le GCO ne servira en rien les habitants de Strasbourg.

Vous avez encore déclaré tout récemment, samedi dernier à Griesheim-sur-Souffel en parlant du réchauffement climatique que « quand les experts se prononcent, il faut prendre leur avis en compte ». Alors, pourquoi avoir en 2005, vous et d’autres, ignoré puis finalement enterré l’expertise indépendante TTK, pourtant acceptée et financée par l’Etat ?

Vous avez enterré le rapport TTK alors qu’il fallait enterrer le projet GCO !

Et aujourd’hui, un peu pris au piège du Conseil d’Alsace,  vous nous proposez un  débat express public. Parce que vous n’avez pas le choix, parce que la délibération du Conseil régional est indispensable pour la signature du décret. Tout comme celle du Conseil général. L’une et l’autre s’engageant dans le financement. Comme le prévoit la loi sur les concessions : il faut que figurent dans la Convention la clé de répartition du financement et celle de la contribution à un éventuel déficit d’exploitation.

Pourtant vous avez été péremptoire, le  30 octobre 2007 lorsque, Président du Conseil Général du Bas-Rhin, vous affirmiez que « le GCO est un projet porté par l’Etat et le budget du Département n’est pas destiné à financer le GCO » ?

Ou Adrien Zeller, président du Conseil régional, déclarant dans un article de l’Express en octobre 2008: « Le GCO ne coûtera pas un centime à la Région ». Et aujourd’hui, vous demandez aux Conseillers régionaux de faire mentir Adrien Zeller ?

Concernant le fait que la part de la Région concernera exclusivement les questions environnementales. C’est le maître d’ouvrage et non la Région qui doit apporter ces concessions, donc nous attendons les réponses du maître d’ouvrage.

Est-ce à dire que vous avez délibérément tenu des propos fallacieux ? Pour obtenir la neutralité de la population, puis au fur et à mesure que les choses avancent, dire que finalement il faut contribuer à l’investissement parce que c’est la loi, et puis ensuite, lorsqu’on sera face au déficit, et qu’on ne pourra plus faire autrement, avec l’infrastructure construite, les paysages dégradés,  la disparition des terres, le bruit, la pollution… l’Etat reviendra vers le contribuable parce qu’il n’y a pas le choix.  Il faudra boire le calice jusqu’à la lie !

Les écologistes ont mis dans l’accord de mandature avec les socialistes le refus du GCO. Et, en cas d’alternance aux prochaines élections, ce projet sera remis en cause, parce que rien n’est jamais irréversible. Un contrat, cela se casse, et si vous avez négocié un gros dédit, c’est l’UMP  qui portera la responsabilité de la gabegie de l’argent public. Bien sûr, ce n’est pas votre argent, c’est celui du contribuable.

D’ailleurs il nous manque des éléments importants concernant le choix du concessionnaire. Nous n’avons pas les éléments de l’engagement de Vinci en  réponse au cahier de charge. En clair vous nous demandez d’engager les finances de la Région pour des années sans même que nous ayons eu accès à toutes les informations utiles…..

Pourquoi avoir choisi Vinci ?

-          Parce que c’est le mieux disant du point de vue environnemental ? Vous dites vous-même, Monsieur le Président, que l’autoroute permettra de réaliser un corridor écologique, avez-vous déclaré récemment dans la presse. Vous aller saccager le poumon vert à l’ouest de Strasbourg pour réaliser une autoroute qui, dites-vous, permettra la réalisation d’un  corridor écologique. Je crois qu’il y a là un problème de perception du réel. Là, c’est grave !
-          Donc avez-vous choisi Vinci parce que c’est le mieux disant environnemental ? Ce ne sont pas les informations dont nous disposons. Non, Sanef serait mieux disant. Avez-vous choisi Vinci parce qu’il propose l’emprise la plus faible ? Non, Sanef prélèverait 270 ha alors que Vinci en prélève 350 !
-          Avez-vous choisi Vinci parce que c’est le moins disant en demande de contribution de financement public ? Non, Sanef demanderait 19 Millions d’€ alors que Vinci en demande 33 !
-          Avez vous choisi Vinci parce qu’il est bien avancé dans sa négociation de la compensation Hamster avec la Chambre d’Agriculture ? Non, le terrain n’est pas préparé, ce qui conduira la France à devoir payer de très fortes amendes à l’Europe pour insuffisance dans les actions de sauvegarde d’une espèce menacée.
-          Avez-vous choisi Vinci parce qu’il a été le plus raisonnable en prévision de trafic ? Non, au contraire, Vinci a délibérément doublé les prévisions de trafic du dossier d’enquête publique, prévisions déjà très optimistes, et ce pour faire apparaître un bilan financier artificiellement équilibré.

Ou bien avez-vous choisi Vinci parce qu’il peut mobiliser rapidement des fonds propres et obtenir rapidement le closing financier, quitte à partir de fausses prévisions de trafic, donc de fausses rentabilités. De toute façon, les collectivités paieront les déficits, n’est ce pas !

Car on ne peut qu’être inquiet, ne serait-ce que déjà au regard des dérives actuelles. Lors de l’enquête publique, le projet était estimé à 370 millions d’euros. Aujourd’hui on avance 750 millions, soit le double. Quel sera le coût final ? Par ailleurs, la concession est prolongée à 55 ans, ce qui serait autant de manque à gagner pour les caisses publiques si le projet se construisait.

Concernant le trafic, j’aimerais faire plusieurs remarques :
-          Les comptages sur la A35 montrent depuis plusieurs années une stagnation voire une légère baisse du trafic poids lourds et du trafic VL. Pour les véhicules légers, cela est notamment dû au transfert modal vers les transports publics,  soit pour des déplacements nord-sud, soit des déplacements pendulaires est-ouest, soit des déplacements infra CUS. N’oublions pas que cette autoroute est aussi utilisée pour la desserte inter-quartiers. De plus l’engorgement n’a pas lieu toute la journée : il ne concerne que quelques heures par jour et le mercredi, pendant les vacances et le week end, il est fluide Plus l’offre de transport public va se développer, moins l’autoroute sera chargée. Les problèmes se situent plus vers Brumath, et ce n’est pas le GCO qui règlera la situation. Alors que l’on sent peut-être le début de l’indispensable changement de mentalité des usagers, quel incroyable signal négatif de construire une nouvelle autoroute, inefficace de surcroît, et aspiratrice de trafic supplémentaire ?
-        La problématique du transit qui ne doit plus passer par Strasbourg ?   3/4 des 17 000 PL/j qui passent sur l’A35 chargent ou déchargent dans l’agglomération et n’ont donc aucun intérêt à la contourner. Sinon, 2000 PL se reportent côté alsacien depuis la LKW Maut. Le GCO en attirera encore davantage. Bref, on veut faire un GCO pour attirer des PL en transit qu’on ne veut pas. C’est au contraire une redevance côté alsacien qu’il nous faut ! (celle prévue pour 2013 n’est pas vraiment à la hauteur de l’enjeu et encore, se fera-t-elle un jour ? Ca fait 7 ans qu’on l’attend). Quant aux camions qui évitent le massif vosgien, ils sont sur des tracés qui n’ont pas vocation à passer par le secteur de Strasbourg, ni sur l’A35, ni sur le GCO (on ne pourra jamais forcer un PL qui vient du sud de l’Alsace par exemple et qui veut traverser les Vosges à Saverne par l’A4 à faire un détour de plus de 20 km, avec 2 péages – le GCO et la section Hochfelden-Saverne de l’A4 – plus les bouchons aux heures de pointe du côté de Brumath. Il empruntera quoi qu’on fasse la liaison directe Molsheim-Saverne). Pour le transit PL, une redevance à la hauteur de l’enjeu est la seule solution pour limiter le transit en Alsace et ne pas transférer vers les  autres les nuisances qu’on ne veut plus. Après tout, quelle morale y a t-il à envoyer vers le Kochersberg des camions qu’on ne veut pas chez soi ?

Concernant la problématique de la qualité de l’air et des 80 000 riverains de l’A35 exposés aux pics de pollution, et notamment des particules fines, je reçois tous les jours les sms de l’ASPA concernant les mesures de pollution : toute l’Alsace est concernée, et les mesures doivent être prises pour toute l’Alsace, et pas seulement pour Strasbourg. J’aimerais apporter les précisions suivantes :
-        Avec moins de 5% de soulagement du trafic de l’A35 du fait du GCO, il n’y aura pratiquement pas de diminution de la pollution sur l’A35. Pour Strasbourg, le GCO risque de surcroît non pas de diminuer la pollution des riverains d’autoroute mais de l’augmenter, puisqu’un boulevard urbain risque de défluidifier le trafic  actuel et que de plus le GCO devrait favoriser un accroissement de circulation de 14 000 véhicules / jour sur « l’autoroute de Hautepierre » (A351) ; Pour lutter efficacement contre les engorgements pendulaires, de flux radial, le rapport TTK préconise quant à lui la séparation des flux sur l’A35, et une solution mixte qui concile transports collectifs et routiers ;
-        Vendenheim est une des communes plus polluées du Bas-Rhin, la pollution due au trafic (Nox, particules) dans les rues principales de villages comme Pfettisheim est identique à celle du centre de Strasbourg (état des lieux de l’Aspa). Est-il concevable de polluer davantage ces communes pour une diminution hypothétique de la pollution sur l’A35 ?
-        Par ailleurs, et comme le GCO attirera davantage de trafic en Alsace, la pollution globale augmentera.
-        Et sur le point précis de particules fines, qui sont le problème majeur actuellement, on peut quand-même rappeler que 80% de ces particules sont importées… Parmi les 20% produites sur place, une part significative (environ la moitié) vient du chauffage, d’où la corrélation avec les vagues de froid. Bref, la diminution des particules du fait d’un GCO est un leurre.

Concernant la consommation de terre, n’y a-t-il une nouvelle fois pas contradiction entre le propos de posture : «  il faut diminuer la consommation d’espace » et la réalité des décisions ?
-          N’est-il pas irresponsable, Monsieur le Président, de détruire un espace naturel, sans pollution, sans bruit, accessible à bicyclette, notamment via la piste le long du canal ou par transport en commun, ou en voiture. C’est actuellement une zone de promenade et de détente proche d’une agglomération dense très fréquentée par une population familiale et modeste.
-          N’est-il pas impensable de détruire un site classé et de spolier un jardin remarquable qui appartient au patrimoine culturel de la région ?
-          Sacrifier à une infrastructure inutile 350 hectares de terre principalement agricole, sans compter les consommations d’espace qui s’induiront mécaniquement du fait de la présence de la route est inacceptable alors que la question de la crise alimentaire devient centrale et que l’agriculture de proximité représente une des solutions ?
-           Sans compter qu’il s’agit d’un morcellement supplémentaire de l’espace, dans la zone principale du grand hamster. Je rappelle à cet effet que même si les mesures compensatoires de 100 hectares étaient prises, ce que Vinci n’est pas en état de négocier, elles sont à cette date jugées insuffisantes par la Commission européenne concernant cette espèce classée « d’intérêt communautaire qui nécessite une protection stricte », selon l’arrêté du 9 juin 2011, postérieur à la DUP du 17 mars 2010 considérée d’autorité ;
-          Remettons dans le jeu les 350 hectares de l’autoroute pour répondre globalement et de manière satisfaisante à Bruxelles. Parions que le dédit de Vinci coûtera moins cher à la France que les pénalités européennes pour la disparition du grand hamster.

Comment un élu qui approuverait aujourd’hui cette convention pourrait-il affirmer qu’il l’a fait en connaissance de cause ?

Par ce vote, non seulement nous permettrions dès maintenant la mise en œuvre de ce projet, mais nous engagerions la collectivité à payer 9.85 % des coûts prévus actuels et à venir, sur des travaux et des budgets relevant du financement public et qui ne  manqueront pas d’intervenir dans les 55 ans de durée de la concession. Ce serait donc 19.7 % pour notre futur grand Conseil d’Alsace. Si l’on en croit les éléments que l’on nous a soufflés et que nous aimerions vérifier en ayant accès au dossier, ces surcoûts interviendront bien rapidement, du fait que Vinci aurait doublé le chiffre de prévision de circulation pour faire apparaitre de faibles budgets sur les fonds publics.

Pour conclure, il semble que les arguments même sur lesquels le Conseil d’Etat a confirmé le bien fondé de la DUP en 2010 sont maintenant mis à mal :
-          d’une part, les coûts estimés modérés du projet énoncés étaient de 302.9 millions d’euros  plus 92 millions de mesures compensatoires passent à un coût global de 756 M€ HT (frais financiers, frais de maitrise d’ouvrage et de maitrise d’œuvre et travaux) dont 536 de travaux en 2012, et sans mention de la prise en compte des mesures environnementales.
-          D’autre part, l’argument comme quoi « rien ne permet d’affirmer que le projet compromettrait la survie d’espèces protégées » est mis à mal par le jugement de la cour européenne en 2011.

En bref, ce projet complexe à paramètres multiples mérite d’être examiné démocratiquement dans notre société en pleine transformation au regard de ses enjeux pour l’avenir proche et lointain. Nous sommes d’accord pour considérer qu’il y a lieu d’agir pour réduire les difficultés de trafic autour de l’agglomération strasbourgeoise. Il faudra même sans doute sacrifier quelques hectares de terres mais que ce soit au moins pour des aménagements qui aient du sens et qui répondent aux problèmes !

En cette période économique plus que délicate, persister dans l’entêtement d’un vote précipité amènerait la majorité alsacienne à devoir porter seule la responsabilité des frais engagés à rembourser pour abandon du projet auprès du concessionnaire, lorsque ce projet inadapté aux enjeux actuels sera abandonné dans quelques semaines. Merci beaucoup.

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