Séance plénière du Conseil Régional du 13 février 2012
Explication de vote par Antoine Waechter
Monsieur le Président, chers collègues,
Un mauvais coup se prépare contre le Kochersberg, contre l’agriculture alsacienne, contre l’Alsace. Mais c’est aussi une faute morale.
Une tranchée de 350 hectares d’emprise dans les meilleures terres d’Europe, les limons de loess, celles qui ont vu naître l’agriculture alsacienne du Néolithique, celles qui ont connu en 2011 des records de rendements avec 110 quintaux à l’hectare de blé.
Avec une moyenne de 10 tonnes à l’hectare, la perte de production définitive sera de 3500 tonnes de blé par an, soit l’alimentation de 3430 personnes au ratio des besoins alimentaires du français moyen. 3430 personnes dont nous supprimons l’alimentation.
Cette emprise est également l’équivalent de 17 500 jardins potagers de 2 ares, superficie moyenne des potagers alsaciens.
Ce gaspillage ne peut être que celui d’un pays riche, mais il est honteux au regard des tensions sur l’approvisionnement alimentaire de la planète et du milliard de Terriens sous-alimentés. Il est honteux au regard de la responsabilité de la France, pays agricole, qui est de nourrir et d’alimenter une population croissante.
Dans le même temps, le TGV Est ajoute plusieurs dizaines d’hectares de consommation foncière, prélevant de l’espace sur ces mêmes terres agricoles fertiles.
Et cela ne s’arrêtera pas là. Combien d’hectares sont dors et déjà abandonnés à l’urbanisme routier, celui qui se fixe sur les échangeurs, à la hauteur d’Ittenheim ?
Que dire des impacts paysagers, notamment à Kolbsheim en marge d’un site classé, ou dans la beauté des coteaux du Breuschwickersheim Osthoffen, oasis de beauté et de biodiversité dans l’océan céréalier, une oasis biologique et paysagère, qui subsiste parce qu’elle a été autrefois oubliée du remembrement.
Le remembrement précisément. La loi impose, lorsque l’emprise est incluse dans les prélèvements sur les exploitations, une superficie remembrée 20 fois supérieure à l’emprise du projet. C’est donc 7000 ha qui devront être remembrés. Que restera-t-il à l’issue de cette procédure, qui se résume le plus souvent à une simplification extrême du territoire ?
C’est aussi « le territoire des autres », pour reprendre une formule de Gérard Vienne en 1970, un espace habité par une communauté vivante. Cette communauté vivante sera impactée dans ses habitats, du Grand Hamster à l’Alouette des champs, du Lézard des souches des coteaux au Crapeau vert.
La présentation qui nous est faite de l’intervention de la Région, celle d’une prise en charge des investissements écologiques n’est pas recevable. Non recevable pour des raisons juridiques : les mesures compensatoires sont à la charge du maître d’ouvrage.
Non recevable pour des raisons symboliques : le concessionnaire serait exonéré de la préoccupation d’insérer au mieux son ouvrage.
Non recevable enfin pour des raisons opérationnelles : elles signifieraient des coûts figés, alors que le coût des mesures d’accompagnement écologique doivent pouvoir évoluer en fonction des exigences environnementales.
Le projet est néfaste et inutile. Son faible impact en terme de captation de trafic a été souligné par la commission d’enquête. Mais, surtout, face à l’accroissement des échanges entre le Nord et le Sud de l’Européen, alimenté par une production à flux tendu et la délocalisation de nos industries, toute facilité supplémentaire d’écoulement génère un accroissement du trafic routier. A défaut d’une réglementation comme en Suisse, seules les contraintes techniques peuvent enrayer cette progression, mais les embouteillages font eux aussi partie d’une stratégie de limitation du trafic routier.
A défaut d’un encadrement impossible aujourd’hui, un tel projet, au lieu de limiter la circulation, amènera de nouvelles voitures à utiliser cette voie de circulation. Par ailleurs, c’est une erreur de croire que l’on peut faire passer les camions sur une autoroute à péage : les interdire sur l’A35 est possible, oui, mais on ne peut pas les obliger à utiliser une autoroute à péage, nous en avons eu l’exemple dans le Sundgau. Les camions viennent se perdre dans sur les petites routes en souhaitant éviter l’autoroute à péage, et c’est ce à quoi vous vous exposez dans ce projet. Venez voir ce qui se passe dans le Sundgau.
Comment interpréter cette précipitation à 69 jours de l’élection présidentielle ? C’est une question qu’on est en droit de se poser. Un cadeau présidentiel à un ami, associé à un doute sur le résultat du scrutin ? Quelle est la main invisible qui ordonne cette démarche ?
Que ceux qui veulent que l’histoire retienne leur nom dans cette agression supplémentaire contre l’Alsace votent le projet.
Mais ne comptez pas sur nous pour collaborer. Notre opposition est déterminée, mais elle est aussi persévérante, car il y aura d’autres épisodes à ce feuilleton, et l’opposition, la très grande majorité des communes concernées, finira par avoir raison de ce projet, comme sont déjà tombés des projets analogues.