La tarification progressive de l’énergie : une proposition de loi positive mais perfectible

Proposition de Loi de tarification progressive : on applaudit les bonnes idées mais…

la tarification reste dégressive avec les niveaux annoncés !

 

La proposition de loi sur la tarification progressive déposée mercredi 5 septembre est un soulagement. Les rumeurs inquiétantes qui avaient précédées le texte – tarification basée sur le volontariat, chauffage collectif non pris en compte – sont finalement infondées. Au contraire, on retient de ce texte l’affirmation de la nécessité d’une transition énergétique. Nous verrons si le parti majoritaire –et en particulier François Brottes- accepte les évolutions nécessaires du texte pour concrétiser la réforme en pratique. Reste un problème non négligeable au vu de l’objectif de la loi : si la part variable de la facture devient effectivement progressive, envoyant un bon signal au consommateur, la tarification globale (abonnement + part variable + taxes), elle,  est encore dégressive ! Petit décryptage.

Des points positifs du texte, on retiendra tout d’abord la reconnaissance d’un certain nombre d’idées portées par EELV, tels que la nécessité de la transition énergétique, l’augmentation inéluctable des prix de l’énergie, l’instauration d’un plan d’isolation massive des logements, et enfin la remise en question de la pertinence  d’une croissance infinie de la production et de la consommation d’énergie.

On se réjouira ensuite de l’attention portée aux à la lutte contre les conséquences sociales négatives d’une énergie de plus en plus chère : extension du tarif social de l’énergie à 4 millions de personnes percevant des minimas sociaux, trêve hivernale généralisée, barème de tarification spécialement dédié aux ménages modestes, tarif social distribué par tous les fournisseurs…

Sous réserve de précisions, la mise en œuvre de la tarification progressive semble astucieuse et suffisamment souple dans la loi pour permettre de rectifier le tir d’une année à l’autre si les seuils choisis ne donnent pas les résultats visés. Le principe est le suivant : en fonction du nombre de personnes dans le logement, l’énergie de chauffage et la zone climatique (ces informations étant disponibles dans la déclaration d’imposition, avec l’ajout d’une case « énergie de chauffage »), un barème est transmis aux fournisseurs d’énergies de réseau (protégeant ainsi les données individuelles), lequel applique un bonus ou un malus à son client, indiqué sur la facture, en fonction de sa consommation par rapport à trois tranches « base, confort et luxe » (le niveau de ces tranches étant à fixer par voie réglementaire dans les limites fixées par la proposition de loi). Les bonus et les malus sont ensuite reversés par les fournisseurs à la Caisse des Dépôts et Consignations, laquelle dédommage les éventuels fournisseurs déficitaires.  Le système vise à être à l’équilibre chaque année et offre la possibilité de couvrir un déséquilibre de l’année antérieure via la fixation annuelle des niveaux de bonus et de malus dans les limites fixées par la loi. Il conviendra cependant la périodicité des calculs, et les conséquences que cela pourrait avoir en termes d’accroissement du nombre de relevés par les gestionnaires des réseaux de distribution.

Enfin, on apprécie la transparence de cette mesure sur la facture du consommateur, le choix du volume de base d’être celui d’un logement bien isolé – ce qui incite à la rénovation thermique des logements, la priorité désormais donnée à l’effacement vis-à-vis de la production (à coût égal), la création d’un service public de la performance énergétique de l’habitat (même si cette proposition n’est qu’un vœu imprécis pour l’instant), et enfin pour un locataire la possibilité de déduire du loyer la part du malus imputable à la mauvaise qualité thermique du logement, les propriétaires étant ainsi incités à réaliser des travaux d’isolation. Ce dernier point –comme d’ailleurs presque tout dans le projet- reste à consolider du point de vue du droit européen existant ou de la fiscalité. Il reste sur ces points de sérieux doutes qu’il sera nécessaire de lever au plus vite afin de valider l’applicabilité de la loi.

Cependant, le principal objectif politique de cette proposition de loi n’est pas atteint : les limites aux bonus-malus fixés par la loi ne suffisent pas à rendre la tarification progressive ! La part variable de la facture devient effectivement progressive, ce qui est déjà un signal positif et aura sans doute un premier effet sur les consommations. L’impact de la proposition de loi sur la part variable de la facture d’électricité est représenté sur la figure « tarif part variable »: la progressivité est bien visible (tarif moyen plus élevé pour les consommations importantes).

 

En revanche, le prix total (abonnement + part variable) ramené au nombre de kilowattheures consommés n’est toujours pas dégressif.

Hypothèses : bonus et malus les plus élevés en 2015 d’après la proposition de loi, tarifs actuels pour une souscription de 6kVA, tranche de base estimée à 1000 kWh annuels

Ce qui signifie que si l’on considère la véritable facture payée par les ménages, c’est-à-dire à la fois l’abonnement et la part variable, un petit consommateur continuera de payer toujours beaucoup plus cher son kWh qu’un gros consommateur. C’est un peu gênant, puisque c’est l’objet même de la loi qui n’est pas atteint.

Ceci pourrait cependant être rectifié d’emblée : on peut soit d’une part augmenter le niveau des bonus et des malus prévus par la proposition de loi, et de diminuer la part de l’abonnement fixe dans la facture totale. Ci-dessous une simulation des tarifs, avec un abonnement dont le montant annuel est divisé par 3, et le bonus-malus significativement rehaussé.

Les factures totales payées, en fonction du niveau de consommation, seraient ainsi modifiées :

 

Ainsi, les premières consommations, les plus essentielles, seraient significativement plus rendues accessibles, dès les premiers kWh.

Par ailleurs, nous proposons de renforcer la progressivité sur l’abonnement en diminuant son prix pour les petites puissances (3kW et 6kW) et en l’augmentant nettement pour les puissances supérieures ou égales à 9kW, réservées à des usagers plus aisés et des usages moins basiques, et ce pour les tarifs régulés. Un système de bonus-malus, géré de manière similaire à ce qui est prévu pour la part variable, serait également envisageable ; cela permettrait d’une part de s’affranchir des problèmes de distorsion de concurrence qui pourraient être mis en avant en cas d’application exclusive au tarif régulé  et, d’autre part, d’autoriser la prise en compte éventuelle des critères utilisés par ailleurs (type de chauffage, nombre de personnes dans le foyer, localisation, résidence principale/secondaire). Après tout, l’abonnement des petits consommateurs ne ferait que revenir peu ou prou à son niveau d’avant 2008. Ce signal-prix tendra à diminuer les puissances souscrites. Cet objectif rentre dans les objectifs « connexes » de la proposition de loi (article 2) qui demande une réflexion du gouvernement sur l’utilisation de la tarification progressive comme moyen de gestion de la pointe. N’attendons pas les 18 mois de délais prescrits pour la réalisation de cette étude, nous pouvons diminuer l’appel en puissance maintenant tout en instaurant une vraie progressivité !

Certains points de la loi restent également à surveiller.

Tout d’abord, l’exclusion des résidences secondaires du dispositif. Il n’est effectivement pas souhaitable de les considérer comme des logements principaux car, les consommations y étant souvent faible de part la faible présence des occupants, celles-ci seraient subventionnées par le bonus. Comment résoudre ce problème ? Une suggestion est d’ajouter les consommations de la résidence secondaire à celle du foyer principal. Il n’y a alors plus de raison d’exclure ces logements du périmètre de la tarification progressive (hormis des problèmes pratiques à résoudre, par exemple si les résidences principales et secondaires ne sont pas chez le même fournisseur). Si ce dispositif est trop complexe à mettre en œuvre, une alternative simple serait d’appliquer automatiquement un malus fixe pour l’ensemble des résidences secondaires. A l’heure actuelle, les résidences secondaires (environ 7% des logements) sont un point faible du dispositif.

La valeur des limites des bonus-malus est unifiée pour l’électricité et le gaz alors que ces deux énergies ont des tarifs très différents (65€TTC/MWh pour le gaz en moyenne et 120€TTC/MWh en moyenne pour l’électricité en énergie finale). La fixation de bonus-malus indifférenciée revient en l’occurrence à privilégier l’électricité au gaz, ce qui ne se justifie pas dans cette loi, à moins que le barème soit établi en MWh d’énergie primaire et non d’énergie finale. Ce point doit être précisé dans la proposition de loi.

Ensuite, la proposition de loi prévoit une réforme de la CRE (ajout de deux membres au collège de la CRE) : profitons de cette réforme pour  ajouter l’objectif de sobriété et d’efficacité énergétique dans ses statuts et d’intégrer dans le collège des représentants d’associations qui contribuent à ces objectifs.

Il conviendra également de clarifier le rôle du service public de la performance énergétique de l’habitat dans l’action contre la précarité énergétique.

La loi prévoit d’éventuellement déléguer la fourniture des informations nécessaires à l’application de la tarification progressive à « un organisme désigné à cet effet par le ministre chargé de l’énergie ». Cet organisme doit être public mais aussi agir au plus près des territoires, tout en garantissant la confidentialité des données.

Enfin, la transparence de l’information sur l’énergie ne doit pas s’arrêter à la mention du bonus-malus sur la facture : séparons également les différents postes de la CSPE.

Reste la question du niveau de consommation justifiant un bonus ou un malus. Il sera déterminé en partie par des considérations d’équilibre des comptes entre les groupes de consommateurs. Mais il s’agit aussi d’une discussion très politique sur nos modes de consommation. Les ONG proposent que ce débat ne soit pas seulement réglé par un décret mais fasse l’objet d’un véritable débat public. EELV soutient fortement cette idée et la poussera dans la discussion parlementaire qui commence. Lire : les amendements EELV au texte de la loi Brottes

 

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