Questionnements autour de l’accord de la COP 21 avec Pascal Canfin
La COP 21 c’est donc terminée vendredi dernier. Le lendemain, Laurent Fabius, Président de ce rendez-vous, avait annoncé la signature par les 195 pays représentés, d’un accord « différencié, équilibré, juste, durable, dynamique et juridiquement contraignant« .
Pascal Canfin, ancien Ministre du développement sous le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault et ancien député européen, apporte des réponses à 10 questions sur l’Accord de Paris permettant de mieux l’appréhender et surtout d’observer ce qu’il doit être pour demain.
Vous pouvez retrouver l’intégralité des questions à l’adresse suivante : http://www.pascalcanfin.fr/16/12/2015/10-questions-sur-laccord-de-paris/
- Quel est le vrai bilan de la COP 21 ?
Le bilan de la COP 21 ne se limite pas à l’accord. La COP 21 débouche sur le Pacte de Paris qui comporte deux volets : le premier c’est bien évidemment l’accord universel. Le second ce sont les engagements pris en dehors de l’accord : 10 000 engagements des villes, des entreprises, du secteur financier ont été référencés sur la plateforme des Nations Unies (NAZCA). Ainsi Toyota, le premier constructeur automobile mondial, s’est engagé à ne plus commercialiser de voitures qui ne soient pas hybrides ou électriques en 2050. Danone s’est engagé à être neutre en carbone en 2030 ce qui aura nécessairement un impact sur les modes de production agricoles, en France notamment.
Des clubs de pays ont également pris des engagements qui vont au-delà des dispositions de l’accord. Ainsi les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la France ou l’Allemagne se sont engagés à doubler le montant de l’investissement public en Recherche & Développement verte d’ici 2020. Et il faut aussi signaler l’engagement de tous les banquiers centraux des pays du G20 à travailler à ce que les investisseurs rendent publique leur empreinte carbone pour que chacun puisse comparer l’impact sur le climat de ses choix d’investissement. Une disposition qui entre d’ailleurs en vigueur en France dès le 1er janvier 2016, faisant de la France le leader mondial sur ce sujet. On le voit le bilan de la COP 21 va bien au-delà du seul accord universel.
- Revenir « bien en dessous des 2 degrés » est-il encore crédible ?
Les contributions nationales déposées par les Etats en vue de la COP 21 nous mènent sur une trajectoire de 3 degrés. Or, l’accord prévoit un objectif « bien en dessous des 2 degrés ». Est-ce contradictoire ? Oui si rien n’est fait à court terme. Or, c’est LA principale faiblesse de l’accord : la révision à la hausse des engagements ne commence qu’en 2025. C’est tard. Il faut donc que les Etats utilisent les rendez-vous fixés en 2018 et en 2020 pour non pas simplement confirmer leur contribution actuelle mais pour la renforcer.
François Hollande s’y est engagé pour la France dans son discours de clôture de la COP. Il doit maintenant être suivi par d’autres chefs d’Etat. Le Canada a déjà indiqué qu’il reverrait à la hausse rapidement son engagement. Il faut que l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats Unis… s’y engagent également dans le cadre de la « Coalition de l’ambition » qui s’est formellement créée pendant la COP. C’est le prochain grand combat de la société civile que d’obtenir cet engagement rehaussé dès 2020. Sinon, il sera sans doute trop tard pour rendre crédible le fait de revenir « bien en dessous de 2 degrés ».
- L’accord est-il contraignant ?
Le degré de contrainte de l’accord de Paris ne dépend pas de son statut juridique mais de chaque verbe utilisé dans les différents articles. Certaines tournures sont contraignantes, d’autres ne le sont pas. Par exemple, le fait de rester bien en dessous des 2 degrés est un « objectif » ; alors que le fait de déposer tous les 5 ans une contribution de lutte contre le réchauffement climatique, plus ambitieuse que la précédente, est une obligation. Mais cette obligation n’est pas suivie de sanction si elle n’est pas respectée. Nous savions depuis longtemps qu’il n’y aurait pas de mécanismes de sanctions comme un tribunal climat international pour sanctionner le non-respect des engagements.
Est-ce que cela signifie que l’accord n’est pas contraignant ? Je vois deux degrés de contrainte qui ne sont pas dans l’accord lui-même. La première est la « contrainte politique ». Si cet accord est ratifié par la quasi-totalité des pays, son caractère universel sera confirmé. Et la pression politique sera alors réelle sur celui que ne jouerait pas le jeu et de d’autant plus que le cadre de transparence et de vérification des engagements prévus par l’accord est lui contraignant pour tous.
On voit par ailleurs, une « pression judiciaire » qui a déjà commencé à s’accroître au-delà de l’accord lui-même sur les Etats et les entreprises. En juin 2015, l’Etat des Pays-Bas a été condamné par un tribunal néerlandais car ils ont un engagement insuffisant contre le dérèglement climatique et ne respectent donc pas le « devoir de protection » de leurs citoyens. Exxon Mobil fait l’objet d’une poursuite par le procureur de New York pour vérifier si la compagnie n’a pas obstrué les avancées scientifiques sur le climat et caché à ses actionnaires, clients et employés les risques pesant sur ses activités dans le domaine des énergies fossiles.
Et l’OCDE va lancer en 2016 un groupe de travail sur le « devoir fiduciaire » de ceux qui gèrent l’épargne mondiale (fonds de pension, compagnies d’assurance…) pour savoir s’ils sont en rupture de leur devoir légal vis à vis des épargnants s’ils ne prennent pas en compte le risque climatique. J’en conclu donc que si l’accord ne comporte pas en lui-même de dispositifs de sanction, il vient consolider le risque judiciaire croissant de ceux qui « trichent » face aux enjeux climatiques.
- L’accord oblige-t-il les Etats à revoir à la hausse leurs engagements contre le réchauffement climatique ?
A partir de 2025 les contributions nationales devront systématiquement être plus ambitieuses que les précédentes. Même s’il n’est pas explicitement écrit qu’elles devront être en ligne avec l’objectif de long terme fixé par l’accord, le « zéro émissions nettes » dans la deuxième moitié du siècle, c’est bien cet objectif qui va servir de base pour évaluer le sérieux des contributions nationales successives. C’est en cela que l’accord pose les fondations de la lutte contre le dérèglement climatique pour tout le siècle. Mais il faudra bien sûr toute la pression de la société civile pour que les contributions successives soient à la hauteur de l’objectif de long terme.
- Les pays du Sud vont-ils recevoir davantage d’argent grâce à cet accord ?
Les pays du Nord se sont engagés à transférer au moins 100 milliards de dollars par an chaque année entre 2020 et 2025 et un nouvel objectif chiffré, obligatoirement plus ambitieux que les 100 milliards, sera fixé au plus tard en 2025. Les pays du Sud ont donc obtenu une garantie de flux financiers croissants. En revanche, trop peu est fait sur le financement de l’adaptation qui est le parent pauvre aujourd’hui de la finance climat. L’objectif d’un équilibre entre adaptation et atténuation est bien inscrit dans l’accord mais sans calendrier précis pour y parvenir. Ce sera sans doute l’un des prochains enjeux de la COP 22, qui sera la « COP africaine ».
- Que change l’accord pour la France ?
La France, avec la loi transition adoptée en août 2015, a un objectif de division par 4 de ses émissions entre 1990 et 2050. L’accord fixant l’objectif de « zéro émissions nettes » dans la seconde moitié du siècle prolonge cette courbe. Il vient donc consolider la loi française. En revanche, l’engagement pris par le président de la République de rehausser l’objectif de réduction des émissions de 2020 implique d’aller plus loin que le paquet européen adopté en 2014 pour la décennie 2020-2030. La France devrait donc, soit pousser à ré-ouvrir le paquet européen, soit décider d’aller plus loin avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, les pays scandinaves…
Enfin, l’accord renforce l’exigence de cohérence des politiques publiques. Comment, par exemple, signer un accord intégrant zéro émission nette de gaz à effet de serre et soutenir la construction d’un nouvel aéroport en France ! Utiliser l’accord comme une exigence de mise en cohérence sera l’un des leviers les plus puissants pour que cet accord ait le maximum d’impact possible.
- Quel rôle pour la société civile ?
Les ONG vont avoir plusieurs priorités dans les prochains mois. Tout d’abord, suivre la mise en œuvre des engagements des entreprises. Par exemple, 114 entreprises se sont engagées à travailler dans les deux ans qui viennent à définir une « feuille de route 2 degrés ». Il faut bien sûr veiller à ce qu’elles le fassent vraiment. Les ONG devront également faire pression pour que les Etats s’engagent à rehausser plus tôt que 2025 leurs contributions, et ensuite suivre les nouveaux engagements qui devront être pris. Enfin, les ONG devront continuer les actions qui ont permis de changer les mentalités dans le secteur financier, comme le désinvestissement ou les travaux techniques qui montrent la faisabilité d’un avenir 100 % renouvelables. Au-delà, l’accord universel, comme les engagements des entreprises, doivent accélérer les actes individuels. Car comme le dit Edgar Morin, il faut passer d’une philosophie du « ou » à une philosophie du « et ». Pour inventer la civilisation post-carbone il faut utiliser tous les leviers, de l’accord universel entre les Etats, aux engagements des entreprises, à la recherche, en passant par la sobriété individuelle.
Outre ces questionnements, vous retrouverez ici (lien vers article ) le décryptage de l’accord par Nicolas Hulot, dont l’analyse est partagé par Éric Alauzet.