Point de vigilance et controverse : La rétention des familles avec des mineurs
Adopté en séance publique le dimanche 22 avril dernier, le projet pour un droit d’asile effectif, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a donné lieu à des débats nourris autour de la question de la rétention des familles avec des mineurs. Si le présent texte ne légifère pas sur ladite question – pas plus que la précédente majorité pendant les cinq années du mandat de 2012 à 2017– la création d’un groupe de travail a d’ores et déjà été annoncé pour traiter cette problématique. Eric Alauzet souhaitait revenir sur ce point pour clarifier le contexte juridique et montrer que cette thématique n’est pas limitée au territoire métropolitain, au vu des enjeux à Mayotte notamment.
- Dans quel contexte s’inscrit la thématique ?
Il convient d’abord de rappeler que les mineurs isolés ne peuvent pas être sujets à un placement en rétention de par leur exclusion du champ de l’éloignement. Aucun mineur non accompagné ne peut être placé en rétention sur le territoire national. Néanmoins, dans le cas où un étranger majeur aurait à sa charge des mineurs, il serait placé en rétention avec eux en cas de procédure d’éloignement (pour cause de situation irrégulière et d’obligation de quitter le territoire français – OQTF). Dans tous les cas, il s’agit donc de mineurs accompagnés de leurs parents.
Ce dispositif trouve sa traduction juridique dans l’article 35 de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France qui vient encadrer la présence du mineur en zone de rétention, notamment afin de ne pas le séparer de sa famille. Si la loi permet un placement en Centre de Rétention Administrative (CRA) des mineurs accompagnés de leurs familles, elle encadre strictement cette possibilité de rétention administrative.
Ce sujet extrêmement délicat est indissociable de la situation très particulière du territoire ultramarin de Mayotte. En 2017, 275 mineurs ont fait l’objet d’un placement en rétention sur le territoire métropolitain tandis qu’à Mayotte, ce sont plus de 4200 mineurs accompagnés de leurs familles qui sont sujets à un tel dispositif privatif de liberté.
Il convient de rappeler que la durée moyenne du séjour en CRA n’excédait pas 12,7 jours en 2016. Les arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme indiquent clairement que la période de rétention doit tenir compte de l’âge de l’enfant jugeant ainsi qu’une rétention de 7 jours est excessive pour un enfant de deux ans et demi. La grande majorité des enfants et des familles quittent le CRA moins de 24h après y être arrivés.
- Quelles modifications la présente loi apporte-t-elle ? Pourquoi de telles modifications ?
En l’état, le texte n’apporte aucune modification à ce dispositif. Il ne l’a pas créé car il préexistait à cette loi récente. Cela ne traduit pas pour autant une quelconque indifférence de la majorité et du gouvernement sur l’inhumanité d’un tel dispositif. C’est la raison pour laquelle la discussion en commission a conduit à l’engagement du ministre de l’Intérieur en faveur de la création d’un groupe de travail avec la perspective d’une proposition de loi qui sera présentée dans les prochains mois au Parlement. Celles et ceux qui n’ont pas réglé le problème en cinq ans au cours du mandat précédent sont mal placés pour reprocher à leurs successeurs de ne pas le faire en neuf mois.
- Quelle est ma position sur ce sujet ?
S’il est essentiel de rappeler que les mineurs non accompagnés ne peuvent être retenus en centre de rétention, il est évident que la présence d’enfants mineurs en centre de rétention pose un problème éthique et psychologique. Ces situations ont conduit à des signalements voire des condamnations (et sont en contradiction avec les conventions internationales des droits de l’enfant, les avis de la Cour européenne des droits de l’homme ou encore les déclarations du défenseur des droits), même si ces cas sont exceptionnels.
Plus largement, la situation des mineurs dans la procédure d’accueil doit faire l’objet d’une attention spécifique afin que « l’intérêt supérieur de l’enfant » soit garanti. Cette nécessité générale m’a conduit à déposer en commission avec quelques collègues un amendement qui visait à mettre fin au placement des mineurs non accompagnés en zone d’attente. Dans ce cas précis, il était alors apparu que le délai, très court en zone d’attente, permettait de mettre en place les mesures de prise en charge du mineur non accompagné. Il contribuait donc bien, par son caractère proportionné et bref, à garantir l’intérêt supérieur de l’enfant. Concernant les Centre de Rétention, nous devons nous assurer qu’un but similaire soit poursuivi et atteint.
Ma position est claire : nous devrions avoir l’assurance que le placement en rétention n’intervient que dans les quelques heures qui précèdent l’expulsion. En cela, je resterai vigilant quant au strict respect des dispositions encadrant la rétention en CRA et en zone d’attente. Celles-ci sont en effet soumises à un régime strict que je tenais à rappeler.
- Un placement en CRA encadré par la loi du 7 mars 2016
- La loi du 7 mars 2016 privilégie l’assignation à résidence à la rétention administrative pour les familles avec enfants et la réduction au strict minimum de la rétention avant expulsion. La rétention est réservée aux familles qui ne respecteraient pas une assignation à résidence, tenteraient de fuir ou refuseraient la procédure d’éloignement.
- D’autre part, l’intérêt supérieur de l’enfant est jugé « primordial » dans le cadre d’un tel placement en rétention. La durée doit être « la plus brève possible » et le lieu de rétention doit « bénéficier de chambres isolées et adaptées ». D’ailleurs les familles sont dirigées vers un des deux centres qui leurs sont destinés à Metz ou à Mesnil-Amelot.
- Concernant le placement en CRA, il convient également de rappeler que les familles ont la possibilité de demander à ce que leurs enfants bénéficient de l’aide sociale à l’enfance.
Quand on sait que l’allongement de la durée de rétention de 45 à 90 jours est destiné aux quelques cas les plus difficiles et ne concerne pas les mineurs accompagnés et leurs familles, on mesure combien l’affirmation que la loi « (double) la durée de (la) présence (des enfants dans les centres de rétention administrative (CRA) dont ils devraient être épargnés » traduit à minima une profonde méconnaissance du sujet.
- Une rétention en zone d’attente également strictement encadrée
- D’une part, un jour franc est obligatoire pour permettre l’examen de la situation du mineur par un administrateur judiciaire ainsi qu’une prise de contact avec les autorités du pays d’origine.
- D’autre part, les droits des mineurs sont préservés. Ils bénéficient d’un accès à un interprète et à un médecin ainsi qu’à un conseil juridique ou associatif et cela dans une logique de prise en compte optimale de leur vulnérabilité.
- La situation à Mayotte rend périlleuse la suppressions pure et simple du dispositif au vu des potentielles conséquences et de l’incapacité prévisibles des autorités mahoraise à prendre en charge plus de 4200 mineurs avec leurs familles, pour la plupart d’entre eux et d’entre elles issus des Comores et déboutés du droit d’asile à Mayotte. Le Ministre de l’Intérieur s’est engagé à ce que, d’ici l’application de la loi, les centres de rétention accueillant des mineurs présentent des conditions dignes. Une augmentation du budget pour l’aménagement des CRA a été annoncée. Rappelons que 8 millions d’euros sont déjà mobilisés, somme à laquelle il faut ajouter les 7,2 millions d’euros au titre des dépenses d’assistance juridique et de rémunérations des interprètes en CRA.
En conclusion, nous devrons impérativement revenir sur ce sujet qui a fait l’objet de discussions non abouties avec le ministre, même si des engagements ont été pris quant à la réduction maximum de la durée de rétention des mineurs et l’amélioration de l’accueil des mineurs. On peut aussi considérer que personnes ne souhaitent maintenir des familles avec enfants en rétention. Un groupe de travail sera prochainement formé par le groupe LREM et en coordination avec le ministre de l’Intérieur pour faire émerger une proposition de loi sur cette thématique. A moyen terme, l’assignation à résidence doit être privilégiée pour assurer la reconduite. Néanmoins, la situation à Mayotte et l’impossibilité d’opérer un traitement différencié entre la métropole et l’outre-mer nous incite à la prudence à court terme. Cette prudence n’empêche pas l’attitude déterminée que nous devons avoir vis-à-vis des conditions de rétention pour protéger les mineurs de tout abus – au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant – lorsqu’ils sont soumis à une mesure privative de liberté.