Point de vigilance et controverse : La réduction du délai de recours

Adopté en séance publique le dimanche 22 avril dernier, le projet pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie modifie le délai de recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). En clair, en cas de réponse négative de l’OFPRA à une demande d’asile, le demandeur disposera de 15 jours, et non plus de 30, pour effectuer un recours vis-à-vis de cette décision devant la CNDA. Eric Alauzet souhaitait revenir sur cette modification de l’article L.731-2 du CESEDA (article 6 de la loi) et expliciter sa position.

  • Dans quel contexte s’inscrit la thématique 

Le délai de recours constitue un principe fondamental dans la procédure d’asile auquel je suis profondément attaché. Il assure un respect du contradictoire et donc une garantie des droits pour tout individu en matière de jugement. Un demandeur d’asile doit pouvoir bénéficier de ce principe fondamental.

Dans le même temps, une exigence d’efficacité intervient également. Au-delà de la procédure d’asile, c’est dans l’ensemble de notre système juridique qu’il a été décidé d’adopter un délai de quinze jours en matière de référé judiciaire ou administratif. Cette réduction du délai de recours intervient donc dans un contexte plus général d’alliance de justice et d’efficacité ; elle n’est en rien un moyen d’éviction des personnes les plus vulnérables dans leurs démarches documentaires et explicatives en matière de recours.

Par ailleurs, l’équation du délai de recours est incomplète si l’on ne considère pas la variable de la demande d’aide juridictionnelle. En effet, la demande d’aide juridictionnelle qui intervient sous 15 jours et est utilisée par 80% des demandeurs d’asile, qui l’obtiennent dans 96% des cas suspend automatiquement le délai de recours devant la CNDA. En somme, le délai s’allonge alors de 3 à 4 semaines, le temps que la réponse du bureau d’aide juridictionnelle arrive. Le délai de recours est donc dans les faits de l’ordre de deux mois plutôt que de 15 jours. La présente réforme réduira donc le délai effectif de 2 mois à 1 mois et demi. Il ne faut pas prendre le délai de 15 jours pour « solde de tout compte ».

  • Quelles modifications la présente loi apporte-t-elle ?

L’alinéa 4 de l’article 6 du projet de loi modifie l’article L. 731-2 du CESEDA en réduisant le délai de recours devant la CNDA contre les décisions prises par l’OFRPA de 30 à 15 jours.

  • Pourquoi de telles modifications ?

La réduction du délai de recours d’un mois à quinze jours s’inscrit dans l’objectif général de réduction de la procédure d’asile à six mois comme énoncé par le Président de la République durant sa campagne électorale. Et ce afin de permettre aux demandeurs d’asile d’être fixés sur leur sort au plus tôt et d’éviter des conditions de vie précaires et des perspectives incertaines entre un parcours d’intégration ou un retour dans leur pays d’origine. Comme l’a indiqué le Ministre de l’intérieur en séance, « toute la chaîne des procédures » est d’ailleurs mise à contribution (réduction des délais du premier accueil et de l’enregistrement de la demande ainsi que réduction du délai de traitement des demandes par l’OFPRA à 2 mois). Ce qui est inhumain c’est la situation actuelle qui installe les demandeurs d’asile dans une longue incertitude, ce qui aboutit ensuite à une situation de « ni-ni » : ni régularisables car déboutés du droit d’asile, ni expulsables car installés et en voie d’intégration, d’autant plus s’il y a des enfants. Celles et ceux qui critiquent le raccourcissement des procédures doivent choisir entre afficher leur faveur pour des régularisations massive, sans que nous n’ayons pour autant les moyens de garantir aux nombreux arrivants une vie décente, soit ils cautionnent l’inhumain « ni-ni ». Il n’y rien d’humain ou d’humaniste dans l’une ou l’autre de ces deux options.

Si l’on se prête à la comparaison avec nos voisins européens, on remarque par ailleurs que la France n’a pas à rougir : l’Allemagne et l’Italie accordent un délai de deux semaines, tandis que les Pays-Bas ont fixé ce délai à une semaine. En cela, il s’agit donc d’un alignement procédural vis-à-vis des autres pays européens. Sachant que le traitement de l’asile et de l’immigration à l’échelle européenne requiert la convergence des dispositifs nationaux.

  • Quelle est ma position sur ce sujet ?

Si je suis favorable à cette réduction qui s’inscrit dans un objectif général de diminution des délais d’instruction pour pouvoir sécuriser les parcours migratoires des demandeurs d’asile, les inquiétudes concernant les possibles effets d’éviction du recours de personnes fortement vulnérables me paraissent toutefois légitimes.

C’est à l’aune de cet effet pervers potentiel que de mesures de protections nouvelles ont pu être adoptées par la majorité et le gouvernement. Elles renforcent les droits des requérants dans leur recours.

  • C’est ainsi le sens d’un amendement portant extension des missions des plateformes d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA) à l’assistance juridique pour mieux accompagner les personnes déposant un dossier devant l’OFPRA.
  • Par ailleurs, la simplicité des conditions de dépôt du recours a été sécurisée juridiquement. En effet, il est possible de déposer un dossier sommaire et même incomplet et de continuer à l’alimenter par des éléments nouveaux tout au long de la procédure. Des moyens ou mémoires complémentaires peuvent venir compléter le dossier après l’expiration du délai de recours.
  • Il faut aussi considérer que les demandeurs d’asile sont particulièrement bien informés du risque de rejet de leur dossier par l’OFPRA en première instance et des délais de recours à la CNDA.

Je tiens en conclusion à rappeler l’avis du Conseil d’Etat qui estimait que ce nouveau délai de recours était « raisonnable » à l’aune « de l’objectif général que constitue le traitement rapide » de ce contentieux et en prenant en considération le fait que ce délai « n’interdit pas de compléter la motivation en fait et en droit de recours, comme de produire des pièces nouvelles, après son expiration et jusqu’à la clôture de l’instruction ».

 

Laissez un commentaire

Remonter