Les projets de loi relatifs à l’Etat d’Urgence et à la lutte contre le terrorisme

Le conseil des ministres a étudié plusieurs projets de loi relatifs à l’Etat d’Urgence et la lutte contre le terrorisme. Une communication a également été faite sur le projet de loi de révision constitutionnelle.

 

Retour sur les annonces et propositions du Conseil des ministres :

 

Dispositions législatives  consécutives à la révision constitutionnelle

 

Le garde des sceaux, ministre de la justice et le ministre de l’intérieur ont présenté une communication relative aux dispositions législatives qui seront consécutives à la révision constitutionnelle. Deux types de dispositions :

 

1- Un projet de loi ordinaire sera présenté pour compléter le régime juridique de l’état d’urgence, en application du nouvel article 36-1 de la Constitution. Ce projet de loi ajoutera à la législation actuelle de l’état d’urgence de nouvelles mesures qui sont apparues nécessaires au cours de la mise en œuvre récente de ce régime.
Certaines nécessitent au préalable la révision de la Constitution. Les nouvelles mesures proposées répondent à deux impératifs : créer des mesures individuelles de contrainte graduées et flexibles, d’une part, et améliorer le régime juridique des perquisitions administratives, d’autre part. Le texte comprendra plusieurs mesures destinées à renforcer l’efficacité des perquisitions administratives, dans le respect des droits des personnes concernées. Il sera proposé de créer un régime de saisie administrative des biens découverts à l’occasion d’une perquisition administrative, notamment lorsqu’il s’agit de supports numériques ou informatiques, ou de documents volumineux, le cas échéant rédigés en langue étrangère, dont l’exploitation ou la copie ne peut être achevée dans le temps de la perquisition. Il apparaît également nécessaire de donner aux forces de l’ordre la possibilité, sous le contrôle du procureur de la République, de retenir sur les lieux la personne au domicile de laquelle se déroule une perquisition administrative, pendant la durée nécessaire aux opérations.

Il donnera enfin à l’autorité administrative un « droit de suite » lorsqu’il apparaît, au cours d’une perquisition administrative, qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un second lieu (dépendance, box, appartement dont l’adresse ou les clés seraient découvertes, par exemple) est également fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public.

Le projet de loi proposera également de permettre à l’autorité administrative d’imposer une série d’obligations (signalement de ses déplacements, restitution de ses titres d’identité, interdiction de rentrer en relation avec certaines personnes, etc. ) à une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public, sans nécessairement l’assigner à résidence. Cette mesure permettra d’adapter de manière fine les contraintes administratives aux nécessités de la sécurité publique en réservant l’assignation à résidence aux cas les plus lourds. L’ensemble de ces mesures, qui complèteront celles déjà prévues par la loi du 20 novembre 2015 modifiant la loi du   3 avril 1955 sur l’état d’urgence, offriront à l’autorité administrative et aux forces de l’ordre un cadre efficace de mise en œuvre de l’état d’urgence, et aux individus un niveau élevé de garanties pour assurer la préservation des libertés fondamentales.

 

2- Le vote de l’article 2 de la loi constitutionnelle, nécessitera plusieurs changements dans le régime de la déchéance de nationalité, aujourd’hui régi par l’article 25 du code civil. Alors que la déchéance est aujourd’hui prononcée par décret de l’autorité administrative, après avis conforme du Conseil d’Etat, elle deviendra une peine complémentaire prononcée par un juge judiciaire.
La déchéance ne pourra être prononcée que pour des crimes d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ou des crimes constituant des actes de terrorisme, ainsi que pour les délits de terrorisme ou d’atteinte aux mêmes intérêts, mais seulement s’ils sont punis d’au moins 10 ans d’emprisonnement. De surcroît, le projet de loi unifie les régimes de déchéance applicables aux personnes condamnées quelle que soit l’origine de leur appartenance à la Nation.

Le juge prononcera la peine complémentaire de déchéance de la nationalité ou des droits attachés à la nationalité (droits civils ou civiques tels que le droit de vote, le droit d’éligibilité, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle, le droit d’exercer une fonction publique ou un emploi réservé aux nationaux). Outre ces modifications législatives, sera engagée la ratification de la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.

 

Projet de loi de prorogation de l’état d’urgence

Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont présenté un projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016.

A la suite des attentats qui ont frappé Paris et Saint- Denis le 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain à compter du 14 novembre, puis dans les départements d’outre-mer à compter du 18 novembre. La gravité des attentats, leur caractère simultané et la permanence de la menace à un niveau inédit sur le territoire national ont ensuite justifié la prorogation de l’état d’urgence pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

Les mesures mises en œuvre en application de cette loi ont permis d’accélérer la mise hors d’état de nuire de réseaux terroristes, mais aussi de désorganiser des réseaux criminels qui soutiennent, arment ou financent le terrorisme. Depuis le 14 novembre 2015, 3 289 perquisitions administratives ont été menées. Elles ont permis la saisie de 560 armes, dont 42 armes de guerre. Elles ont conduit au placement en garde-à-vue de 341 personnes et donné lieu à l’ouverture de 571 procédures judiciaires.

Par ailleurs, 407 assignations à résidence ont été prononcées, dont 303 sont toujours en vigueur, et plusieurs mosquées radicales et salles de prières ont été fermées.

Ce travail de ciblage et de déstabilisation n’est toutefois pas achevé, alors que la menace terroriste caractérisant le péril imminent, qui a justifié la déclaration initiale et une première prorogation de l’état d’urgence, demeure à un niveau très élevé ainsi que le rappelle l’actualité nationale et internationale.

De fait, plusieurs attentats ont été projetés ou perpétrés très récemment, sur le territoire national ou à l’étranger, au nom d’organisations terroristes telles que Daech ou Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Ainsi, en décembre 2015, postérieurement aux attentats du 13 novembre, plusieurs projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués, dont un à la suite d’une perquisition administrative menée dans le cadre de l’état d’urgence. En janvier dernier, l’action commise contre un commissariat de police à Paris et l’agression antisémite qui a eu lieu à Marseille au nom de Daëch ont confirmé la permanence de la menace qui vise la France et sa nature protéiforme. A l’étranger, plusieurs attentats ont été commis depuis le 13 novembre 2015 au nom de Daech ou d’Al Qaïda : à Bamako, à Istanbul, à Djakarta et à Ouagadougou. Trois ressortissants français ayant d’ailleurs trouvé la mort lors de cette dernière attaque. Dans sa propagande diffusée après le 13 novembre, Daech a glorifié et mis en scène plusieurs des terroristes impliqués dans les attentats de Paris et Saint-Denis.

L’organisation terroriste a par ailleurs réitéré ses appels à l’action terroriste contre la France, incitant ses partisans à l’action violente au moyen d’armes ou d’explosifs. A l’heure actuelle, la menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé, portée soit par des individus isolés et radicalisés, sensibles aux messages d’incitation au passage à l’acte qui leur sont adressés, soit par des organisations terroristes dont la force de frappe, en France ou à l’étranger contre les intérêts ou ressortissants français, est indiscutable.

Dans ce contexte et pour consolider le travail de ciblage et de déstabilisation conduit depuis le 14 novembre dernier sur la base des mesures autorisées par la loi du 3 avril 1955, il est apparu nécessaire de maintenir la possibilité de mettre en œuvre les mesures autorisées par le régime de l’état d’urgence.

Le Gouvernement entend néanmoins limiter la prolongation de l’état d’urgence au temps strictement nécessaire. C’est pourquoi le projet de loi qui sera soumis au Parlement prévoit que cette prorogation soit à nouveau d’une durée de 3 mois. En effet, l’efficacité de la protection des Français ne saurait reposer à moyen-terme sur le recours à ces mesures que seules des circonstances exceptionnelles justifient. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement entend, dans le même temps, renforcer les moyens dont disposent en tout temps les autorités judiciaires et administratives pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé.

Les mesures qui seront prises en application de cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence seront nécessairement moins nombreuses que celles prises durant la première période de l’état d’urgence, tout particulièrement dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’ensemble des mesures d’assignation à résidence feront l’objet d’un réexamen à l’occasion de cette prolongation. Enfin, les dispositions prévues par l’état d’urgence continueront bien évidemment à être mises en œuvre sous le contrôle de la justice administrative, et sous le contrôle du Parlement, comme c’est le cas depuis le 14 novembre dernier.

 

Projet de loi de lutte contre le crime organise, le terrorisme et leur financement

Le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre des finances et des comptes publics et le ministre de l’intérieur ont présenté un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Le projet participe au renforcement de la lutte antiterroriste, en donnant aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens. Les juges d’instruction et les procureurs pourront utiliser des dispositifs techniques nouveaux d’investigation, dont certains étaient jusque-là réservés aux services de renseignement. Les perquisitions de nuit seront possibles dans des domiciles, mais seulement en matière de terrorisme et en cas de risque d’atteinte à la vie. Ces mesures sont encadrées et placées sous le contrôle du juge. Des dispositions améliorent la protection des témoins menacés. Le trafic d’armes et la cybercriminalité seront plus sévèrement combattus et réprimés. L’efficacité des contrôles d’identité, décidés sur réquisition du procureur de la République et sous son contrôle, sera accrue en autorisant l’inspection visuelle et la fouille des bagages. Les personnes dont le comportement paraîtrait lié à des activités terroristes pourront être retenues, afin d’examiner leur situation, pendant une durée maximum de quatre heures, à laquelle le procureur de la République pourra mettre fin à tout moment. Les personnes qui se sont rendues ou ont manifesté l’intention de se rendre sur des théâtres d’opérations terroristes pourront faire l’objet d’un contrôle administratif à leur retour. Ce dispositif pourra s’appliquer sur une période maximale d’un mois pour ce qui concerne l’assignation à demeurer à domicile ou dans un périmètre déterminé, et de six mois pour ce qui concerne la déclaration de la domiciliation, des moyens de communication et des déplacements.

Le non-respect de ces contraintes constituera un délit pénal. Les contraintes pourront être suspendues ou allégées si la personne concernée accepte de participer à un programme de réinsertion citoyenne. Les mesures de simplification, qui seront complétées par ordonnance et par des textes réglementaires, allègent les procédures, pour une meilleure efficacité des juridictions et des services de police et de gendarmerie. Par ailleurs, les garanties de la procédure pénale sont accrues. Il convient aussi de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme. Afin de limiter la circulation d’importantes sommes d’argent en toute discrétion, le montant stocké sur les cartes prépayées sera limité et la traçabilité des opérations effectuées avec ces cartes sera renforcée : Tracfin sera habilité à désigner aux personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, notamment aux établissements financiers des personnes, physiques ou morales, ou des opérations qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Les établissements bancaires pourront ainsi mettre en œuvre des mesures de vigilance à l’égard des personnes ainsi désignées, appartenant à leur clientèle. Tracfin pourra obtenir les informations dont il a besoin directement auprès d’entités chargées de gérer les systèmes de paiement comme le Groupement d’Intérêts Economiques des cartes bancaires.

Pour faciliter la preuve du délit douanier de blanchiment, il est institué une, présomption d’origine illicite des fonds lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine. En outre, le projet de loi habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance le « paquet européen anti-blanchiment et financement du terrorisme » (directive (UE) 2015/849 et règlement (UE) 2015/847 du 20 mai 2015). La législation française sera adaptée pour renforcer la transparence en matière notamment d’accès à l’information sur les bénéficiaires effectifs et le contrôle des flux vers les juridictions non coopératives et des compétences des cellules de renseignement financier. Par ailleurs, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance des mesures connexes à ces mesures pour faire évoluer notre dispositif national de gel des avoirs, en particulier pour étendre le champ des avoirs susceptibles d’être gelés. La mise en œuvre de ces mesures permettra de placer la France en première ligne en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

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