Les députés votent la prolongation de l’état d’urgence

L’Assemblée nationale a étudié ce jeudi matin l’examen du projet de loi relatif à la prorogation de l’état d’urgence de trois mois (après les 12 jours décrétés par le conseil des ministres). Eric Alauzet était présent.

Il s’agit d’un projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55 385 du 3 avril 1955 et renforçant l’efficacité de ses dispositions (texte ci-dessous).

Le texte a été adopté par 551 pour (6 contre). Il doit être maintenant étudié et voté dans les même terme par le Sénat.

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Eric Alauzet d’autres de ces collègues écologistes se sont exprimés sur leur vote favorable par voie de communiqué :

Prolongation et adaptation de l’état d’urgence : pourquoi nous avons voté pour.

L’Assemblée nationale était saisie ce jeudi d’un projet de loi visant à prolonger pour 3 mois l’état d’urgence, et pour modifier la loi de 1955 qui fonde ses principes, dont certains points tant techniques que juridiques sont aujourd’hui devenus obsolètes. Nous avons, en responsabilité, voté ces modifications nécessaires.

S’il a des ramifications internationales évidentes, notamment avec l’Etat Islamique en Irak et en Syrie, le terrorisme appelle d’abord des réponses en matière de sécurité intérieure.

Le rôle du gouvernement et du Parlement est de prendre les mesures pour assurer la sécurité des Français et pour adapter, en permanence, l’arsenal législatif à la réalité des périls. Après les terribles attentats de vendredi, le renforcement de notre dispositif de sécurité passe par une prolongation et une modernisation de l’Etat d’urgence.

Nous avons soutenu l’extension, au-delà du délai légal de 12 jours, de la possibilité de recourir à des dispositifs exceptionnels, au nom d’une menace exceptionnelle, car le terrorisme que nous subissons aujourd’hui en est une. Nous avons également soutenu l’adaptation du texte de 1955 à l’évolution des menaces et des technologies et le renforcement des garanties en matière de libertés publiques que garantit le projet du gouvernement.

Il était nécessaire de préciser les conditions des perquisitions administratives, en autorisant la saisie de matériel informatique et téléphonique, de renforcer le dispositif d’assignation à résidence, d’élargir les possibilités de dissolution d’associations ou de groupements susceptibles d’assurer un rôle de soutien ou de recrutement.

Et il était également indispensable de renforcer certaines  garanties en matière de protection des libertés : les personnes visées par des procédures administratives auront désormais accès aux recours prévus par le code de justice administrative. Les possibilités de censure de la presse et des publications ont été supprimées. À l’initiative des députés écologistes, un amendement sur le contrôle de l’état d’urgence par le Parlement a également été adopté.

Nous l’avons fait en responsabilité et c’est dans le même état d’esprit lucide et fort des valeurs qui fondent la République, que nous examinerons les prochains textes qui nous seront présentés, qu’il s’agisse de la prolongation de l’intervention militaire en Syrie, des mesures de lutte contre la radicalisation, ou de la modification constitutionnelle qu’a annoncée le Président de la République lundi.

François de Rugy – député de Loire-Atlantique, Barbara Pompili – coprésidente du groupe écologiste, Denis Baupin – vice-président de l’Assemblée nationale – député de Paris, Eric Alauzet – député du Doubs, Christophe Cavard – député du Gard, François-Michel Lambert – député des Bouches-du-Rhône, Paul Molac – député du Morbihan et Véronique Massonneau – députée de la Vienne.

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La loi du 3 avril 1955 prévoit que la prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Le projet de loi dispose que l’état d’urgence déclaré à compter du 14 novembre 2015 à zéro heure est prolongé pour trois mois, comme cela avait été le cas en 2005.

En outre, le projet de loi modifie plusieurs dispositions de la loi du 3 avril 1955 afin d’en renforcer l’efficacité.

  • Le régime des assignations à résidence est modernisé et élargi à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. Les conditions de l’assignation à résidence sont précisées s’agissant des escortes, des règles de pointage aux services de police ou de gendarmerie nationales. Il pourra être interdit à la personne assignée à résidence d’entrer directement ou indirectement en contact avec des personnes soupçonnées également de préparer des actes portant atteinte à l’ordre public. La commission administrative chargée de donner un avis sur la contestation de l’intéressé est supprimée et remplacée par le recours de droit commun devant la juridiction administrative.
  • Le régime des perquisitions fait également l’objet de précisions. Ainsi, aucune perquisition administrative ne pourra viser les locaux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, magistrats ou journalistes. Le procureur de la République sera informé de toute décision de perquisition, qui se déroulera en présence d’un officier de police judiciaire. Lors de ces perquisitions, il pourra être fait copie sur tout support des données stockées dans tout système informatique ou équipement.
  • Le projet de loi ouvre la possibilité de dissoudre les associations ou groupements de faits qui participent à, facilitent ou incitent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public, et qui comportent en leur sein des personnes assignées à résidence.
  • Le contrôle de la presse ou de la radio, prévu par la loi de 1955 mais jamais utilisé, est supprimé.
  • Enfin, les peines encourues pour les infractions aux dispositions sur les perquisitions ou les assignations à résidence sont substantiellement accrues.

D’autres dispositions ont été adoptées en commission et en séance : débats et amendements : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/prorogation_loi_55-385.asp

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La loi sur l’état d’urgence

Pour mieux comprendre l’Etat d’Urgence, décryptage avec un article de Pïerre Januel, collaborateur du groupe écologiste.

le 15 novembre 2015 20H23 | par Pierre Januel

Suite aux terribles attentats de vendredi soir, le Président de la République a décidé, par décret en Conseil des ministres de décréter l’état d’urgence. Cet « état d’urgence », qui se fonde sur une loi de 1955, peut être mis en place « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, ou en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Comme plusieurs médias l’ont signalé, l’état d’urgence a été appliqué, en Algérie, puis en métropole, de 1955 à 1962, en Nouvelle-Calédonie en 1985 et lors des émeutes de 2005. Il faut le distinguer de l’article 16 de la Constitution, qui permet de donner les pleins pouvoirs au Président et « l’état de siège », qui prévu par l’article 36 de la Constitution, transfert l’autorité civile aux militaires…

 

Qu’est-ce que permet d’urgence ?

Le fait de décréter l’état d’urgence donne des pouvoirs exceptionnels au ministre de l’Intérieur et aux préfets. Le préfet a alors le pouvoir d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans des lieux et heures fixés par arrêté, d’instituer des zones où le séjour des personnes est réglementé et d’interdire le séjour, dans tout ou partie du département, à toute personne. Le ministre de l’Intérieur peut aussi prononcer des assignations à résidence. Préfets et ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire soumis à l’état d’urgence, peuvent aussi ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et salles de réunion. Les autorités peuvent également ordonner la remise des armes légalement détenues.

Le décret qui déclare l’état d’urgence ou la loi qui le proroge, peuvent également prévoir des mesures complémentaires :

– permettre des perquisitions administratives à domicile de jour et de nuit, dans les zones de protection (1° de l’article 11). Ces perquisitions doivent être opérées en informant l’autorité judiciaire et en présence d’un OPJ mais elles dépassent le cadre légal : il n’est alors pas nécessaire qu’elles recherchent une infraction ;

– autoriser le contrôle de la presse et des émissions radios, projections cinématographiques et représentations théâtrales (2° l’article 11).

L’article 12 de loi permet également le transfert, par décret, de l’instruction et du jugement de certains crimes à la justice militaire (qui comme le disait Clémenceau « est à la justice ce que la musique militaire est à la musique »).

Il n’y a alors pas d’obligation à motiver les décisions. Les décisions d’assignation à résidence ou d’interdiction de séjour peuvent faire l’objet d’un recours, en vue de leur retrait, devant une commission consultative et devant le Conseil d’Etat.

 

Comment on décrète l’état d’urgence ?

L’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Dans les faits, le gouvernement prend alors deux décrets :

– un premier décret pris en conseil des ministres met en application la loi du 3 avril 1955 sur le territoire métropolitain

– un second décret simple en limite l’application pour certaines de ses dispositions à certaines zones précises de notre territoire (qui a ensuite été modifié).

 

Comment la loi peut le prolonger ?

La prorogation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours ne peut être autorisée que par la loi. Cette loi fixe la durée définitive (mais elle peut prévoir qu’un décret peut interrompre l’état d’urgence à tout moment) qui peut être très longue. Elle indique également les mesures complémentaires qui sont ou non prolongées.

Cette loi de prolongation se présente comme toutes les autres lois (par exemple, celle de 2005). Elle doit être votée à l’identique à l’Assemblée et au Sénat et peut être amendée.

Les prolongations se sont toujours faites dans un contexte houleux. La dernière fois, en 2005, la gauche s’était opposée à la prolongation de cette mesure d’exception, qu’elle jugeait disproportionnée et inadaptée au contexte (d’autant que les émeutes se finissaient). La gauche avait voté contre en bloc, avec une seule abstention et l’état d’urgence avait surtout servi a décréter des couvre-feux (pouvoir que possèdent déjà les maires).

En 1985, l’UDF et le RPR avaient monté une véritable guérilla et voté contre la loi de prolongation, dans une séance très houleuse, où s’exprimaient en fond l’opposition sur la façon de régler le conflit en Nouvelle-Calédonie. Le Sénat avait rejeté le texte, obligeant l’Assemblée à une lecture définitive. Le Conseil constitutionnel, saisi par les parlementaires de droite (et en premier lieu, Jacques Chirac), avait alors validé cette loi de prolongation.

 

Un régime d’exception né de la guerre d’Algérie

Comme on l’a dit, ce régime d’exception a été créé pour remédier à l’état de crise résultant de la guerre d’Algérie, sans avoir à recourir à « l’état de siège » (et ainsi reconnaître qu’il s’agissait d’une guerre). Il est donc proche de ce régime adapté aux crises militaires et reste marqué par le contexte algérien (à une époque où l’on se méfiait aussi de l’armée, il n’était pas question de lui transférer des pouvoirs civils).

De nombreuses dispositions de la loi de 1955 mériteraient ainsi d’être revues, actualisées ou abrogées. Ainsi pas sûr que la loi permettrait aujourd’hui de telles possibilités de censure (surtout qu’elle ne peut concerner que la radio, la presse, le cinéma et le théâtre, le texte ne parle ni de la télé, ni d’Internet). De même la loi sur le contrôle des armes de mars 2012 a rendu impraticable la disposition sur la remise des armes (le décret évoqué par la loi a été abrogé). De plus, les perquisitions administratives doivent être contrôlées maintenant par l’autorité judiciaire (cela avait déjà été souligné lors des débats de 2005). Aujourd’hui ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour européenne des Droits de l’Homme ne valideraient une perquisition strictement administrative.

Au-delà, on peut s’interroger sur l’utilité réelle d’un tel régime. Contre le terrorisme, notre code de procédure pénale prévoit déjà des incriminations et des pouvoirs très étendus : garde à vue allongée, perquisitions de nuit, techniques spéciales d’enquête… Tout cela va déjà bien plus loin que la loi de 1955. La grande majorité des perquisitions administratives auraient été autorisées par la justice. L’état d’urgence permet surtout d’éviter les troubles et les agitations dans un contexte où une part importante de la population en veut à l’ordre établi. On en est loin. C’est une mesure pour assurer l’ordre plus que pour lutter contre le terrorisme.

François Hollande a annoncé ce dimanche que la loi de 1955 serait revue. Les deux commissions des Lois de l’Assemblée et du Sénat travailleront ensemble pour proposer rapidement des adaptations. Le Président de la République a également indiqué que la demande de prolongation serait faite pour trois mois. Nul doute que le Parlement la votera.

Edit 16/11 : des précisions ont été apportées sur les perquisitions.

Le projet de loi

pl3225 pl etat urgence.pdf

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