Eric Alauzet : Discussion générale du Projet de loi relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre

Ce mercredi, l’Assemblée Nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loi relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre.

Ce projet de loi, initialement proposé par le groupe écologiste le 29 janvier 2015 avec le soutien de plus de 250 organisations non gouvernementales (ONG), a été renvoyé en commission par le groupe socialiste. Cela a conduit à au dépôt d’un nouveau projet de loi, édulcoré, par le groupe socialiste le 11 février 2015. Amendé et adopté le 30 mars de la même année en première lecture, ce texte a ensuite été rejeté par le Sénat le 18 novembre.

A nouveau examiné par les députés, le projet, a été, une fois encore, amendé et voté. Le député Éric Alauzet, très impliqué sur ce sujet, a, pendant le débat parlementaire, en discussion générale, déclaré que « nous attendons des entreprises, nous exigeons de leur part, qu’elles se conduisent de manière responsable. Le dispositif que nous défendons réclame d’elles de mettre en œuvre un plan de vigilance pour l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, incluant leurs filiales et sous-traitants en France et dans le monde. Le groupe écologiste ne souhaite pas que cette loi, et surtout le décret qui suivra, de même que le plan de vigilance, se résument à une simple ribambelle de bonnes résolutions et de bonnes pratiques ou encore à un outil marketing qui ne seraient pas suivis d’effets. »

 

Mais alors, le devoir de vigilance des sociétés donneuses d’ordre, c’est quoi ?

Suite au drame du Rana Plaza qui a tué plus d’un millier de personnes au Bangladesh le 24 avril 2013, des groupes français, qui avaient cette usine comme sous-traitant, n’ont pas été inquiétés. Instaurer un devoir de vigilance des sociétés donneuses d’ordre, c’est obliger les grandes maisons mères à instaurer des bonnes pratiques, à établir un plan de vigilance auquel elles et leurs sous-traitants se soumettraient.

Plan qui devrait comporter des mesures de vigilance dites raisonnables, permettant d’identifier et de prévenir un certain nombre de risques : les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires ou encore la corruption.

 

Le projet de loi.

Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a adopté, en 2011, des principes directeurs obligeant les États à protéger les citoyens contre les impacts négatifs des entreprises transnationales. Quant à la Commission Européenne, elle invite les États membre de l’Union à transposer lesdits principes.

Le projet de loi relatif à ce devoir de vigilance possède plusieurs objectifs. Tout d’abord, il vise à responsabiliser les sociétés transnationales pour éviter les drames et obtenir réparation contre les violations des droits humains. Ensuite, à valoriser les bonnes pratiques. Enfin, à améliorer l’identification et la prise en compte des risques par les groupes transnationaux.

L’ article 1er du projet crée une obligation pour les grandes sociétés anonymes, celles dont les effectifs sont supérieurs à 5 000 salariés en France ou à 10 000 au niveau mondial, d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance comportant les mesures propres à identifier et prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant de leurs activités et de celles des sociétés qu’elles contrôlent, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs sur lesquels elles exercent une influence déterminante.

Le deuxième article, quant à lui, instaure la possibilité d’engagement de la responsabilité des sociétés en cas de manquement à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Ainsi, toute personne qui justifiera d’un intérêt à agir peut demander au juge de prononcer une amende civile dont le montant est plafonné à 10 millions d’euros. Le dernier article étend les dispositions précédentes à Wallis et Futuna.

 

Les critiques.

Dans un premier temps, ce projet de loi s’est attiré les critiques de certains acteurs du commerce international. Ils dénoncent une potentielle perte de compétitivité des entreprises transnationales ainsi que le flou concernant le cadre réel, c’est-à-dire qui sera vraiment concerné. Enfin, ils s’inquiètent sur l’effectivité de l’engagement de la responsabilité des sociétés mères en cas de non-respect du plan de vigilance par les sous-traitants. Cependant, tous les acteurs du commerce international ne partagent pas cet avis, notamment ceux déjà engagés dans de « bonnes pratiques ».

Dans un second temps, le projet, bien que représentant une avancée majeure, est, sur certains points, critiqués par le groupe écologiste et des ONG telles que le CCFD[1] (organisation très mobilisée par ce sujet) qui eux dénoncent un second projet moins ambitieux que le projet initial. Le point le plus important est celui de la charge de la preuve quant à l’action en responsabilité. Celle-ci incombe au demandeur, ce qui présente une difficulté pour les victimes. Le premier projet proposait un inversement de la charge de la preuve au profit des entreprises afin que l’individu n’ait pas à démontrer qu’il y a eu faute, non-respect de la réglementation ou du plan de vigilance[2]. Lors du débat, Éric Alauzet est intervenu sur ce point est conclu que « Ce rapport du faible au fort peut faire douter de l’efficacité du dispositif. »

 

Quel bilan ?

Bien que le texte adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale soit moins percutant que le premier texte déposé, ce projet de loi représente une avancée majeure pour la protection des personnes, des travailleurs et la mise en œuvre de meilleures pratiques, plus respectueuses des droits de l’Homme. Il constitue « un premier pas très important pour protéger les victimes contre les violations des droits humains et des dégâts environnementaux dus aux activités transnationales »[3]. Cependant, le contenu du plan de vigilance n’y est pas défini. Il le sera ultérieurement dans le décret d’application de la loi. A la fin de son intervention, Éric Alauzet a souligné au sujet du décret d’application qu’ « actuellement, nous n’avons pas plus de précision, ce qui ne nous permet pas de savoir clairement à ce stade si ce dispositif sera pertinent, tant pour protéger les salariés que pour apporter un message clair aux entreprises ».

 

[1]Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire est la première ONG de développement en France. Reconnue d’utilité publique en 1984, l’association a reçu en 1993 le label Grande Cause Nationale et a le statut de consultant auprès du Conseil économique et social des Nations unies.

[2]Ainsi, il reviendra aux victimes de prouver que le plan de vigilance n’a pas été élaboré, qu’il n’a pas été mis en œuvre ainsi que l’existence d’un lien de causalité avec le dommage survenu.

[3]D’après le CCFD dans une correspondance avec le député Eric Alauzet.

http://ccfd-terresolidaire.org/infos/rse/devoir-de-vigilance-des-5414

http://www.novethic.fr/isr-et-rse/actualite-de-la-rse/isr-rse/devoir-de-vigilance-le-mouvement-est-enclenche-il-n-y-pas-de-recul-possible-143867.html

 

DG Sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre – Deuxième lecture.pdf by hegroult

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