Compte-rendu du débat public régional sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie
120 personnes étaient présentes pour assister au débat public portant sur l’entreprenariat et le financement de la transition énergétique co-organisé par la CNDP et Éric Alauzet, député du Doubs.
La courte vidéo Motion design du débat a été présentée en introduction. Jacques Archimbaud a introduit et proposé en fin de réunion une première synthèse des échanges.
Éric Alauzet a précisé l’objectif de la rencontre, centré sur la mise en valeur de la parole des entrepreneurs, l’explication de difficultés qu’ils ont pu rencontrer, comment ils les ont dépassées, et quelles sont leurs propositions pour l’avenir. Il a indiqué que la programmation pluriannuelle de l’énergie organisait des séquences pour préciser la maquette énergétique : comment avancer, concrétiser les ambitions de la transition énergétique à des échéances courtes ?
Onze projets de taille différentes ont été présentés. Ces porteurs de projets sur la région Bourgogne-Franche-Comté ont ensuite échangé avec des représentants de collectivités et des financeurs de projets privés et publics.
L’importance de projets ancrés localement
Les échanges ont porté sur la nécessité de développer la confiance à partir d’un projet local. La transition énergétique passe par une aspiration locale forte et des partenariats pour développer des projets adaptés au territoires (en termes de type d’énergie, de développement de réseaux).
Durant le débat, on pointe une inquiétude sur l’égalité des territoires sur le développement de projets ENR : est-ce qu’on sera en mesure de développer des projets sur la région Bourgogne-Franche-Comté(BFC) ? Lors du 1er appel d’offres sur l’éolien, un territoire a été désigné lauréat en Bourgogne. Mais, pour être rentables, les projets doivent trouver un équilibre : être décentralisés mais avec des tarifs maitrisés. Les territoires sont inégalement dotés en soleil et en vent. Mais les schémas de soutien (tarif d’achat comme marché + prime) sont les mêmes sur tout le territoire. Les tarifs doivent être utiles au lancement d’une filière. Il faut également que chaque territoire joue ses principaux atouts. Ici, c’est le bois, les déchets du bâtiment (pour la pyrogazification par exemple), le vent, la méthanisation agricole ou non, entre autres.
La transition énergétique s’incarne en effet dans un territoire, elle n’est pas éthérée. Par exemple, en Côte d’or, l’objectif d’autonomie est de 14% et repose à 82% sur le bois chaleur. Le Conseil départemental soutien les communes et les communautés de communes qui implantent des chaufferie bois. Le bilan est jugé intéressant : sur l’économie de CO², le développement de l’emploi local, la création de nouveaux métiers, le regroupement d’entreprises. Mais la plupart des chaudières de grande taille sont importées et on ne peut économiquement développer le bois que dans une aire limitée, sinon le coût de transport devient prohibitif. Il faut aussi définir un plafond de prélèvement pour ne pas épuiser la ressource (le département est couvert à 36% de forêt). Le Département est également très ouvert à la méthanisation. Avec les bailleurs sociaux, il mène une politique d’économie d’énergie sur les grands ensembles. Les aides apportées permettent d’aller voir les financeurs.
Il s’agit également de mieux faire accepter les projets localement. 75% des projets éoliens sont soumis à un recours, mais 75% de ceux-ci sont ensuite acceptés. Il s’agit de développer des projets impliquant les citoyens, répondant à l’aspiration d’une partie de la population à participer à la transition énergétique. La transition énergétique est une mutation culturelle qui doit être accompagnée : il y besoin d’investissements humains, c’est-à-dire d’accompagnements, de prestations intellectuelles (qui ne sont pas forcément aidées ni prises en compte).
Il faut 7 à 8 ans pour concrétiser un projet éolien : on est sur un temps qui n’est quasi pas entrepreneurial. Les projets sont longs à émerger et nécessitent de solides compétences techniques ainsi que des capacités financières importantes. Ces compétences sont à développer, notamment du côté des financeurs (mieux comprendre pour mieux choisir et mieux accompagner). Il est clair que ces compétences, par exemple sur la méthanisation, ne vont pas de soi pour les banques qui doivent mobiliser les compétences nécessaires. Les grandes institutions elles-mêmes ont dû changer fortement leurs logiciels. Mais on reconnait une capacité régionale à se mettre autour de la table pour étudier des projets, des montages financiers sur la base de projet techniquement validés.
Partager le risque
Il a été question du partage du risque dans le développement des projets d’énergie renouvelable. Ils nécessitent de l’innovation en recherche et développement, mais également du foncier, dimension qui n’est pas forcément toujours prise en compte. Des outils d’aides ont été évoqués : un club des financeurs des énergies renouvelables, des fonds de garantie, la régionalisation des aides, l’adaptation et la sollicitation des produits d’épargne. L’épargne longue est la mieux adaptée pour venir à la rencontre des projets d’investissement, les prêts pesant fortement sur l’exploitation dans la phase de montée en puissance des projets. Les participants indiquent que le secteur est en croissance soutenu. Le soutien bancaire se renforce : par exemple, la banque populaire aide pour 1,6 milliard le développement des ENR dans l’éolien et le solaire et, d’ici à 2020, elle a la volonté d’atteindre 10 milliards.
Pour aider ce développement local, il manque encore un parcours. Il s’agit d’optimiser le risque pour mieux financer. On a besoin de diviser le risque sur les gros projets pour aider aussi ensuite les petits projets. Dans le cadre de gros investissements, il faut également faire attention à ne pas mettre en difficulté le porteur de projet. Il est nécessaire d’avoir à ses côtés une expertise forte en ne fragilisant pas le premier métier de l’entreprise. Puis, pour la stabilisation du projet, le volet technique est important.
Des structures sont à développer, notamment les SEM ou les SCIC pour développer une gouvernance de l’énergie sur le territoire pour ne pas se disperser et être plus efficace. On a besoin de passer d’une économie industrielle à une économie sociétale. Pour cela, il semble qu’il manque un animateur permanent.
La donne est en train de changer. On passe d’un modèle très centralisé à un modèle déconcentré. L’élargissement du partenariat local est une clé pour limiter et partager les risques : institutions, banques, fonds spécialisés, entreprises, citoyens impliqués.
Les institutions s’adaptent : la Caisse des Dépôt envisage d’être plus présente dans les SEM départementales.
Le financement citoyen se développe mais cet investissement citoyen n’est pas si simple. Sur la levée de fonds, le bonus-malus prévu dans l’AO est rigide et les seuils trop élevés. Le crowdfunding montre actuellement ses limites. Il faut également s’interroger sur le périmètre géographique des citoyens intéressés, peut-être l’élargir.
Le soutien sous forme de coup de pouce des collectivités publiques existe, malgré la baisse de leur capacité à intervenir financièrement. Les collectivités indiquent qu’elles manquent d’une reconnaissance financière sur l’appui au développement des ENR. La taxe IFER est répartie entre les EPCI et le département, elle pourrait être redistribuée un peu aux communes. En outre, la nouvelle règle de fonctionnement qui consiste à ne pas dépasser 1,1% d’augmentation de charges empêche tout recrutement sur le volet ENR. Si une part des 5% de la taxe carbone revenait aux collectivités territoriales, cela aiderait les collectivités. Éric Alauzet souligne que les collectivités doivent arbitrer différemment pour permettre le soutien aux ENR dans le périmètre de leur budget.
Des arbitrages sont de toute façon nécessaires en termes d’énergie, de priorité de réseaux et de mobilisation de fonds. A titre d’exemple, la méthanisation a été régulièrement évoquée. Elle sera agricole à 90%. C’est un enjeu de territoire : réussir à rejoindre les intérêts urbains et ruraux. Il faut que le réseau soit fait pour collecter les productions de méthane. Un droit à l’injection est donc à construire. Cette réflexion est en cours dans le cadre d’un groupe de travail piloté par le secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu. Si on doit construire un réseau, on l’estime à 2 milliard d’euros.
Des freins repérés
Les participants notent des limites dans l’ingénierie financière et les montages financiers : les capacités des fonds de garantie sont insuffisantes et certaines limites imposées par la régulation européenne (règle des minimis) contraignent le développement des plus gros projets. La question de la baisse des tarifs liés aux appels d’offres limite le développement des énergies renouvelables.
On a des tarifs très bas, mais les porteurs qui répondent avec un prix très bas ne font jamais leurs projets. Sur les appels d’offres CRE1 à CRE4, on a désigné 80 projets, mais 10 seulement ont vu le jour. Il faudrait mettre plus de mégawatt : sur CRE5, les projets sont de 10 mégawat, c’est trop petit, il faut augmenter la capacité.
Un facteur clé de succès de la PPE, c’est le cout final des ENR. Celui-ci est extrêmement lié à l’évolution des taux à long terme puisque les ENR sont financées à 85% des investissements par la dette bancaire. Le succès repose donc sur des taux très bas, mais il est probable que les taux long termes remontent, ce qui constituerait un frein majeur au développement des objectifs de la PPE. Il manque donc un acteur qui va refinancer, c’est le modèle en Allemagne.
D’une manière plus générale la stabilité réglementaire apparaît comme essentielle pour la réussite des projets. De nombreuses interventions ont souligné l’importance de la mobilisation civique, de l’économie sociale et solidaire, et des TPE d’ancrage local. Mais les « nouveaux entrants » dans le système doivent être soutenus et encouragés, faute de quoi le financement des citoyens et des collectivités locales restera marginal.
Conclusion
En conclusion le Vice-Président de la CNDP a rappelé que les besoins de financement seraient tels pour la prochaine PPE (doublement nécessaire) qu’on ne pourrait se passer d’aucune initiative. Il a rappelé également que certes la question des relations entre porteurs de projets et financeurs était importante mais que la question essentielle restait celle des changements de comportement de consommation de nos concitoyens. À partir de là, c’est toute une batterie de politiques publiques et d’initiatives privées qui devront être mobilisée pour une fiscalité adaptée, une politique des prix pertinente, une tarification acceptable.
Éric Alauzet a souligné que la nécessaire massification des ENR ne peut passer par le même niveau d’effort public. L’argent public se fait rare, il faut développer de nouvelles solutions, une culture collective. Il a entendu lors de cette rencontre une ode aux territoires, une prise de pouvoir par les territoires sur la question des ENR qui ont la capacité et aspirent à une mobilisation globale pour faire exister les projets localement.
Les projets présentés
- L’entreprise Bonnefoy a présenté son projet SINNOV portant sur le traitement thermique des déchets par gazéification (production d’énergie électrique et de chaleur à partir des déchets du bâtiments le plus souvent orientés vers l’enfouissement). La rentabilité de ce type de projet est problématique. Les tarifs de rachat ont permis de sécuriser le business plan, mais ceux-ci ont été supprimés. L’entreprise souhaite donc soit un retour des tarifs de rachat ou bien la création d’appels d’offres spécifiques sur des projets innovants pour sécuriser le financement à l’amorce du projet. Le tarif appliqué à l’enfouissement de ces déchets pose la question de la trajectoire de la TGAP.
- Papeteries – Laurent Grenier. Pour la papeterie Gemdoubs, l’énergie est le 2e poste de coût dans l’entreprise. Pour le réduire et le verdir, l’entreprise a créé une centrale de 20 mégawatt qui produit de l’électricité et de la vapeur (utilisée pour sécher le papier) à partir de la biomasse. Il s’agit d’un chantier de 87 millions d’euros. Le projet a connu des soubresauts : initié en 2006-2007 puis arrêté à deux reprises, il est en cours depuis 2 ans. Il faut une volonté forte, un partenaire compétent, un soutien moral des collectivités et le bras financier de l’Etat.
- Méthanisation – Desessard / Cugnot. Les projets de biométhane sont onéreux et se mettent en place dans un secteur agricole en crise. Ils concernent des acteurs privés qui gèrent par ailleurs une autre activité agricole, qui est leur activité principale. On dénombre 44 projets qui fonctionnent en France dont 3 en BFC : il en faudrait 5000. L’une des difficultés, c’est donc le financement : les aides à la transition énergétiques sont insuffisamment ciblées sur le biométhane (100 millions d’euros sur 8 milliards d’aide). Pourtant, le gaz peut répondre à la moitié de la demande hivernale : il est donc important qu’il se décarbone et devienne renouvelable. Il faut que l’ensemble des acteurs se structurent pour traiter les dossiers clés : gouvernance, étude des dossiers, sécurisation des entrants… il faut aussi des fonds de garantie (BPI, CDC).
- Grand Besançon – Céline Boucheron. Les élus ont voté un plan climat en 2015, pour aller vers un territoire à énergie positive en 2050 par le développement des énergies renouvelables. La région a été lauréate de 2 appels à initiatives. Elle a pu orienter 2 millions d’euros sur le développement des modes doux. Elle aide à l’investissement. Elle expérimente des groupements d’entreprises pour massifier la rénovation thermique. : proposer des travaux cohérents, orienter les particuliers vers une rénovation basse consommation, convaincre, accompagner le changement, et mettre en relation l’offre et la demande.
- L’entreprise Bourgeois est positionnée sur l’outillage de découpage pour transformer l’acier magnétique. En tant que fournisseur des constructeurs automobiles, l’entreprise « subit un véritable tsunami» : la production doit être revue, les rotor-stators deviennent plus précis pour accompagner la mutation vers l’electro-mobilité. Cela implique :
- Le renouvellement complet du parc de machines de la société pour aller vers des chaines de côte et une tolérance sur l’efficience jamais atteinte. Le niveau d’investissement qui était d’environ 4% du chiffre d’affaires sur 5 ans, va grimper à 15%. La BPI accorde un prêt vert avec un taux bonifié sur 50% de la valeur d’investissement de ces équipements.
- Le développement de la recherche et du développement pour répondre aux nouvelles exigences des clients. La R&D est soutenue par BPI (subvention et avance remboursable)
- Les besoins en expansion foncière (réhabilitation de bâtiments pour accueillir les nouvelles machines, construction) ne sont pas aidés financièrement pour Les ETI (plus de 250 salariés). En outre, la règle européenne des minimis (pas plus de 200k€ d’aides publiques sur 3 ans) est une contrainte lourde.
- MW Energie : Thibault Maniglier. Megawatt Energie, c’est 3 centrales hydroélectriques et un parc éolien. Les risques sont très élevés sur la phase de développement dans l’éolien. Pour ce projet, l’entreprise a déjà dépensé 400k€ sur le développement sans être sûre d’aller au bout. Il faut passer les autorisations administratives, et se faire accepter localement, donc adapter le projet au niveau local. L’entreprise souhaite partager les richesses, en faisant le pari que l’acceptation sera meilleure et mise sur un relais de partenariat local : les élus, les bureaux d’études locaux. L’entreprise a la volonté d’ouvrir la gouvernance des projets aux citoyens et aux élus locaux, mais le calendrier d’ouverture du capital pose problème puisqu’il pourrait faire peser le risque sur -parfois- 40 administrés, ce qui n’est pas possible. Il faut donc trouver des voies pour faciliter cette ouverture du capital.
- Jurascic est une coopérative sur financement participatif. Sur la commune de Chamole, Jurascic achète – avec une SEM – une éolienne dans un parc de 6. L’entreprise cherche à acquérir dans l’existant, mais également à s’impliquer dans des projets à développement proche. Elle souhaite que le financement citoyen devienne un réflexe, et que soit mieux travaillée la question de la garantie financière et de la couverture de coûts à engager sans assurance de succès, dans un domaine très capitalistique.
- 35 associés au départ, plus de 170 aujourd’hui. L’entreprise exploite 4 petites centrales hydroélectriques et une solaire. L’électricité produite devrait couvrir la consommation de 1300 ménages (hors chauffage électrique). L’intuition de départ – le projet a 8 ans – c’est de développer en France ce qui se fait régulièrement en Allemagne. Les atouts repérés par l’entreprise sont la confiance des banques et celle des sociétaires : un ancrage local qui permet d’optimiser les coûts, de faire travailler local, de faire mûrir des projets moins chers. Une structure qui a réussi une mode de fonctionnement réactif, ce qui est important dans ce domaine.
- La fruitière à énergie. Une société qui mobilise la société humaine locale : faire participer ensemble les acteurs. L’entreprise a fait le choix d’être en SAS, avec statut ESUS (Entreprise Solidaire d’utilité sociale). 7 communes et un syndicat ; 51% actions impartageables. Elle bénéficie du soutien d’un fonds de confiance. La problématique que soulève l’entreprise est celle d’un manque de soutien dans la phase d’animation.
- Anne Vignot, adjointe au Maire de Besançon. Monter des supports juridiques pour développer des politiques avec un partenariat public, privé mais incluant aussi avec des citoyens. La Ville de Besançon est historiquement sur le bois Energie, s’intéresse depuis plus récemment à l’autoconsommation. Chaque fois qu’on lance une politique, elle est débordée et on en trouve les limites. Les collectivités sont de « faux entrepreneurs ». Elles sont obligées de constituer d’autres structures comme des SEM. La collectivité doit entrer dans une nouvelle culture… c’est toujours long de changer de culture.
- Benoit Bourgeois. La complexité administrative freine le déploiement des projets. Les dossiers de subvention pour les particuliers, sont vraiment compliqués. Malgré un accompagnement, une grande majorité ne vont pas au bout de leur démarche par découragement. Du côté des entreprises, c’est l’obtention du label RGE qui s’avère compliqué et cher (temps passé) pour les petites entreprises. Les petites entreprises connaissent également des problèmes de trésorerie puisqu’ils sont payés à la toute fin des travaux. Il faudrait que l’ingénierie financière soit mieux accompagnée. Un packaging complet serait intéressant, permettrait d’aller au terme du dossier.
- Pole Energie de Franche-Comté. On finance des travaux mais sans penser à la production intellectuelle. Une réflexion sur les usages et la sobriété énergétique. Il faudrait un guichet unique indépendant pour subventionner les prestations intellectuelles pour des travaux de meilleure qualité.
Un débat intéressant.
Une remarque concernant le compte rendu : dommage que l’entreprise coopérative ERCISOL ne soit pas mentionnée explicitement, surtout quand les autres structures le sont !
Bonjour Bernard,
L’entreprise Ercisol est mentionnée comme les autres dans les « projets présentés » page 5.
Bien à toi,
Eric