Audition de RFF : « Où en serait le réseau ferroviaire s’il n’y avait pas eu de scission avec la SNCF ? »

La Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire a entendu, conjointement avec la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, M. Jacques Rapoport, président de RFF – Réseau Ferré de France.

Eric Alauzet, Eva Sas et Laurence Abeille y assistaient pour le groupe écologiste.

Le député du Doubs a posé quatre questions sur le déficit de RFF, l’évaluation de la séparation avec la SNCF, le dialogue social et le développement du FRET :

M. Eric Alauzet

« Le déficit annuel de RFF s’élève-t-il à 1,5 milliard ou à 3 milliards d’euros ? Les deux chiffres circulent.

S’agissant du 1,5 milliard d’économies attendu de la réforme, seulement la moitié sera liée à la nouvelle organisation puisque 500 millions proviendront de l’abandon par l’État de ses dividendes. Quant à l’augmentation de la productivité, puisque vous avez souligné que toute entreprise était susceptible de réaliser des gains de 2 %, RFF serait capable d’atteindre cet objectif indépendamment de la réforme.

Où en seraient, d’après vous, le réseau ferroviaire et la dette s’il n’y avait pas eu de scission de la société historique ? Aborderait-on différemment aujourd’hui l’avenir du système ferroviaire français, au regard notamment du droit européen ?

Vous avez rappelé les contraintes en termes de concurrence imposées par l’Europe : comment les acteurs sociaux réagissent-ils à vos arguments en la matière ? Quelle est la nature du dialogue au sein de l’entreprise ?

Enfin, la nouvelle organisation changera-t-elle quoi que ce soit à l’actuelle logique de développement du fret ? »

(…)

rff

M. Jacques Rapoport.

« Le système ferroviaire ne pourra sortir que par le haut de la situation de déséquilibre dans laquelle il se trouve actuellement. On ne l’en sortira pas en réduisant les projets, l’entretien, la rénovation ou la modernisation. Le système ne recouvrera son équilibre qu’en se modernisant.

Je prendrai un exemple : tous les gouvernements souhaitent relancer le fret en y injectant régulièrement de l’argent public. Or les plans fret demeurent sans effet sur le transfert modal : le ferroviaire ne prend pas de parts de marchés au transport routier. Alors qu’un train de fret coûte 15 euros du kilomètre, l’entreprise ferroviaire ne paie que 1,70 euro. L’usage du réseau est donc financé à hauteur de 85 % soit par des subventions, soit par la dette de RFF qui, de toute façon, retombera un jour ou l’autre dans l’escarcelle de l’État. Ce n’est donc pas en augmentant encore les subventions publiques qu’on résoudra cet incontestable problème d’intérêt général. Il faut garantir aux entreprises un service de qualité, notamment en termes de ponctualité, sur un catalogue de sillons sur mesure ou en prêt-à-porter. Le fret ne sera compétitif par rapport au transport routier, qui a l’avantage de faire du porte à porte, que si le réseau est modernisé.

Il faut distinguer la productivité de l’organisation de celle des conditions de travail. Le système RFF-SNCF – gestionnaire d’infrastructure-gestionnaire d’infrastructure délégué –, qui a beaucoup apporté au système ferroviaire français au cours des dix-sept années écoulées, a épuisé tous ses effets. C’est pourquoi une organisation plus intégrée engendrera 10 % de gain de productivité dans l’infrastructure.

Quant au débat sur les conditions de travail et le coût salarial, dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, il est d’une tout autre nature. Le Gouvernement a ouvert le chantier du cadre social harmonisé : les négociations débutent à peine. Elles demanderont du temps, l’objectif étant d’assurer non pas une uniformisation, mais une harmonisation sociale compatible avec la concurrence.

Il existe aujourd’hui deux documents différents, mais parfaitement cohérents : d’une part, le rapport de la commission Mobilité 21 et, d’autre part, le grand plan de modernisation du réseau, que M. Philippe Duron a évoqué mais qui n’a pas encore été publié – il a été commandé par le ministre chargé des transports au mois d’octobre 2011 et nous le lui avons remis il y a quelques jours à peine. Les équipes de RFF ont apporté leur expertise à la réalisation de ces deux documents, qui mettent en avant la nécessité d’un État stratège : on peut même ajouter, sans craindre de se tromper, que ces deux documents constituent la part ferroviaire de l’État stratège.

Guillaume Pepy et moi-même ne venons pas « tendre la sébile » : étant raisonnables, nous nous situons largement dans le cadre des enveloppes existantes – nous ne souhaitons évidemment pas leur réduction. Et si nous proposons que les dividendes et l’impôt sur les sociétés payés par la SNCF restent dans le système ferroviaire, ce qui générerait 500 millions d’économies, c’est parce qu’en cas d’intégration complète entre RFF et la SNCF, il y aurait encore au départ 1 milliard d’euros de déficit annuel.

Le système actuel des péages ne permet de financer ni le fret ni la rénovation des lignes à faible trafic. Les circulations fret ne rapportent que 4 euros sur un coût de 15 euros du kilomètre : comme je l’ai dit, les entreprises ferroviaires paient 1,70 euro et l’État un péage de 2,40 euros. Le déficit s’élève donc à 11 euros.

Quant à la rénovation des lignes à faible trafic, si les péages couvrent la maintenance courante et l’exploitation, ils ne peuvent pas financer les travaux importants de rénovation. RFF n’a donc pas les moyens d’assurer le financement de la rénovation des lignes à faible trafic ni, généralement, celui de la réouverture éventuelle des lignes qui ont été fermées : ces financements entrent donc dans le cadre des CPER. Nous avons toutefois rouvert une ligne dans la région Centre, nous rouvrirons bientôt la ligne Avignon-Carpentras, et travaillons à la réouverture de la ligne Pau-Canfranc.

Je rappellerai enfin que les salariés de RFF sont 1 500, à mettre en regard des 150 000 salariés de la SNCF. La maîtrise d’ouvrage, c’est normal, ne pèse que 1 % : ces 1 500 salariés ont un statut classique de droit commun assorti d’accords d’entreprises, qui est moins favorable que le statut de cheminot, auquel on ne peut plus accéder si on est âgé de plus de trente ans, mais plus favorable que celui des contractuels de la SNCF. Or il y a plusieurs milliers de contractuels à la SNCF. L’enjeu économique du statut des 1 500 salariés de RFF est donc inexistant. Quant à l’enjeu social, il porte sur les 150 000 salariés de la SNCF. »

L’ensemble des débats de l’audition : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/12-13/c1213082.asp#P2_84

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