Enseignement Supérieur et Recherche : « les mesures annoncées relèvent plus de la cosmétique que d’une réelle réforme »

Le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche est arrivé ce mardi 9 juillet en fin de lecture à l’Assemblée nationale par le vote du texte final.

A la suite des débats en première lecture, les écologistes avaient voté contre le projet, jugeant globalement le texte mauvais et les rares avancées obtenues lors de ces débats trop insuffisants.

Article du 29 mai : http://ericalauzet.eelv.fr/enseignement-superieur-et-recherche-les-depute-e-s-ecologistes-votent-contre-le-projet-de-loi-fioraso/

Le texte a ensuite été examiné au Sénat les sénateurs écologistes ont obtenu des avancées plus significatives. Le texte a donc été jugé meilleur que celui de l’Assemblée et pour s’assurer que ces avancées ne seraient pas balayées par un rejet du projet de loi du Sénat (l’Assemblée faisant alors une deuxième lecture de son propre texte et non celui de la Chambre haute) les sénateurs écologistes ont alors décidé de voter en faveur du projet de loi.

Une Commission mixte paritaire (CMP) a ensuite été convoquée en vue de la dernière lecture du texte. Elle s’est réunie le 26 et est parvenue à un accord. La représentante écologiste, Marie BLANDIN, a voté pour ce nouveau texte.

Les deux chambres devaient maintenant adopter la version finale du texte. La position des deux groupes écologistes a été l’abstention.

Isabelle Attard, représentant le groupe écologiste, pour la déclaration des intentions de vote, s’est félicité de l’évolution de la loi : « Nous avons obtenu que l’université soit mise au cœur de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Une série d’amendements a aussi reconnu les nécessaires interactions entre science et société. Les idées de recherche participative et de concertation avec la société civile pour l’élaboration de la stratégie nationale ont pu être introduites dans le projet (…) », « une meilleure reconnaissance du doctorat », « la double inscription entre les classes préparatoires aux grandes écoles et les universités », « 50% de membres élus au scrutin direct dans les conseils d’administration »,  » la délivrance unique des universités des diplômes nationaux » (…) le texte final contient quelques améliorations, maigres mais néanmoins réelles : lutte contre la précarité, rapport sur l’évolution du statut d’ATER et rapport sur l’évolution du recrutement des enseignants-chercheurs.

Mais « Il n’en reste pas moins que le texte issu de la commission mixte paritaire passe à côté de la plupart des enjeux principaux. Les plans de titularisation annoncés ne sont pas à la hauteur de la précarité dramatique qui sévit dans nos établissements (…) », « la démocratisation des structures n’est pas allée au bout des ambitions affichées », « le statut confédéral n’a pas été réellement créé », « le mikado institutionnel tant décrié lors des Assises demeure », « L’AERS est supprimée par le projet de loi, mais l’évaluation telle qu’elle l’avait mise en place, elle, reste », « La réussite étudiante est censée être au cœur de la loi, mais les
mesures annoncées relèvent plus de la cosmétique que d’une réelle réforme. On attend toujours l’allocation d’étude pour réformer le système des aides ».

Les débats et le texte :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/enseignement_superieur_recherche.asp

 

Les améliorations dans le texte final

Depuis sa présentation au conseil des ministres, le projet de loi a beaucoup évolué et, dans la plupart des cas, dans le bon sens.

  • Avancées soutenues

Tout d’abord, par une série d’amendements, le ministère de l’enseignement supérieur a dorénavant la tutelle sur l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur (parfois conjointement avec d’autres ministères). Les écologistes avaient défendu un amendement allant dans le même sens et avons donc soutenu cette avancée. Les socialistes ont aussi obtenu avec le soutien des écologistes la mise en place d’une programmation pluriannuelle des moyens tous les cinq ans dans le cadre de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur et, plus globalement, des amendements instaurant une meilleure visibilité des besoins budgétaires.

Certains amendements renforcent le rôle des régions (association automatique dans la mise en place de la politique de site des territoires, attribution de crédits de la culture scientifique, technique et industrielle, etc.). Le gouvernement avait commencé à introduire la parité, les différents groupes ont passé une série d’amendements visant à l’instaurer dans la totalité des structures, y compris les comités de recrutement.

Des amendements améliorent l’encadrement des stages, d’autres l’accueil des étudiants et chercheurs étrangers, la reconnaissance du doctorat dans les concours de la fonction publique (mais le gouvernement a reculé sur l’avancée concernant l’ENA). Enfin, des amendements améliorent la prise en compte du handicap (dont certains portés par les écologistes).

  • Avancées obtenues, directement ou indirectement

Les écologistes ont porté des amendements sur la plupart des articles du texte, cherchant à en changer, autant que faire se peut, la philosophie du texte. Si à l’Assemblée, très peu d’amendements avaient été adoptés et, surtout, quasi aucun amendement réellement significatif, il n’en a pas été de même au Sénat. La pression mise par les députés a été maintenue au Sénat et a permis des avancées sur nombre d’éléments.

Tout d’abord, les écologistes ont obtenu que l’université soit mise au cœur de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Une série d’amendements a aussi reconnu les nécessaires interactions entre sciences et société. De même, les idées de « recherche participative » et de concertation de la société civile pour l’élaboration de la stratégie nationale de la recherche ont pu être introduites dans le projet de loi.

Si les écologistes n’ont pas obtenu l’inscription du statut du doctorant dans le code de l’éducation, ils ont tout de même obtenu une meilleure reconnaissance du doctorat comme une réelle formation professionnelle.

A l’Assemblée nationale, l’amendement des écologistes instaurant une double inscription entre les CPGE – Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles – et les universités avait été refusé. Les écologistes sont donc ravis qu’il ait été repris et adopté au Sénat.

Parmi les amendements jugés essentiels par les écologistes, un certain nombre ont été adoptés. Certains visent notamment à lutter contre les abus dans les établissements concernant le recours aux contrats précaires. D’autres ont contribué à améliorer démocratiquement les structures abordées par le projet de loi : les Conseils d’Administration des futures communautés d’universités et établissements auront, comme norme, 50 % de membres élus au scrutin direct (mais des dérogations restent malheureusement possible pour les communautés de plus de 10 membres qui risquent pourtant d’être très nombreuses), dans les universités, le droit de veto concernant le recrutement des enseignants-chercheurs est transféré du président au CA en formation restreinte (mais sans les doctorants comme cela avait été initialement prévu au Sénat). Les écologistes ont aussi obtenu directement ou indirectement une meilleure clarification concernant l’utilisation du titre d’université et de la délivrance de diplômes nationaux (dans le cadre des associations d’établissements ou par une clarification de l’article concernant les masters).

Enfin, les écologistes ont obtenu quelques améliorations, maigres mais néanmoins réelles, concernant les conditions d’accès dans le métier d’enseignant : reconnaissance des doctorants non enseignants sous le statut des chercheurs assimilés, lutte contre la précarité (bilan sociaux des établissements et lutte contre les abus sociaux), rapport sur l’évolution du statut d’ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) et, suite au fameux amendements sur la procédure de qualification, rapport sur l’évolution du recrutement des enseignants-chercheurs.

 

 

Un texte final qui reste globalement mauvais

Malgré les avancées obtenues directement ou indirectement par le travail des écologistes, le projet de loi tel qu’issu de la Commission Mixte Paritaire n’a pas changé fondamentalement de philosophie.

  • Les points de désaccords maintenus dans le projet de loi

Ainsi, la démocratisation des structures n’est pas allée au bout des ambitions souhaitées : la prime majoritaire reste en place dans les scrutins des CA et, concernant les communautés, non seulement le scrutin indirect reste une option mais en plus les communautés avec plus de dix membres pourront avoir 40 % de leur CA composé de représentants des membres de la communautés et non de membres élus directement à ce poste. La proposition du CNESER, portée par les écologistes, de revoir la composition des CA pour avoir 5 collèges représentant tous 20 % des membres n’a pas été entendue, de même que la proposition que le président soit élu par l’ensemble des membres du CA et du conseil académique.

Le transfert de la recherche vers le monde économique a été nuancé par une série d’amendements. Le projet parle ainsi du « transfert de technologie lorsque celui-ci est possible ». Cependant, cette notion, même nuancée, est maintenue, y compris dans les missions de l’enseignement supérieur. Les universités devront donc se préoccuper de transfert non seulement dans le cadre de leurs missions de recherche, mais aussi dans le cadre de leur mission d’enseignement !

Concernant les regroupements d’établissements, non seulement le scrutin indirect et la possibilité d’avoir moins de 50 % de membres élus spécifiquement sur ces postes sont maintenus pour les communautés de plus de dix membres (et on peut penser qu’elles seront nombreuses), mais le statut confédéral n’a pas été réellement créé. Il a bel et bien été mentionné au début de l’article 38 mais son absence de déclinaison concrète le rende de facto impossible à mettre en place. Enfin, les rapprochements restent obligatoires, l’Etat n’ayant plus, quoi qu’il arrive, qu’un seul interlocuteur par académie.

La création des communautés montre que le « mikado institutionnel » tant décrié lors des Assises est maintenu. Les fondations de coopération scientifique sont maintenues, de même que les grands établissements à statut dérogatoires. Le système reste donc tout aussi illisible.

L’AERES – Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur – est supprimée par le projet de loi mais l’évaluation telle qu’elle l’avait mise en place, elle, reste. Malgré un dur combat, les écologistes n’ont pas réussi à inversé la tendance pour transformer le futur HCERES – Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur – en instance, démocratique, de méta-évaluation. Ses membres sont exclusivement nommés (mais le conseil scientifique a été supprimé) et, dans la rédaction du texte, on voit que sa mission principale reste bel et bien l’évaluation directe des établissements, des unités de recherche et des équipes. Concernant les unités de recherche, il faudra avoir un accord unanime pour avoir une évaluation par un comité qui ne soit pas le HCERES, sans cet accord c’est le Haut Conseil qui fait l’évaluation. Les écologistes avaient pourtant demandé le contraire : que l’évaluation par des comités soit la norme, l’évaluation par le Haut conseil l’exception. Ils n’ont pas été entendus.

Enfin, deux amendements ont aggravé le texte. Le premier concerne la mobilité entre les différents statuts des personnels de l’enseignement supérieur et ceux de la recherche, y compris privée qui risque d’affaiblir le statut des enseignants-chercheurs et des chercheurs des organismes publics. Le second concerne le « droit d’accès » des meilleurs bacheliers des zones sensibles aux filières sélectives qui va contribuer, encore un peu plus, à aggraver la fracture entre classes préparatoires et grandes écoles d’un côté et université de l’autre. Le message est clair : « Si tu es bon élève, ne va pas perdre ton temps à l’université ! »

  • Les points oubliés non réintroduits par voie d’amendements

Enfin, malgré nos tentatives de rééquilibrage, les grands oublis du projet de loi de Geneviève FIORASO n’ont pas pu être inscrits dans la loi à leur juste valeur par le débat parlementaire. Le monde académique attendait une loi de programmation et n’a pas compris le choix du gouvernement de se borner à une simple loi d’orientation. Les premières indications budgétaires données ces dernières jours expliquent en partie ce choix : alors que la ministre a affirmé haut et fort son engagement au rééquilibrage de la recherche vers les fonds pérennes, les fonds alloués au CNRS sont prévus à la baisse ! Les actes ne sont donc pas à la hauteur des engagements, c’est le moins qu’on puisse dire…

Si les Assises avaient permis la mise en place d’un vrai débat sur la précarité, les écologistes n’ont pu attaquer ce problème que de manière détournée, notamment à cause de l’article 40. Ils ont donc réussi à inscrire des mesures de lutte contre les abus de recours aux contrats précaires mais cela ne peut remplacer un plan massif de titularisation qui va bien au-delà des 5 000 postes de titularisation et des 2 100 recrutements par an pendant 4 ans annoncés (pour 50 000 précaires, la marge est encore large !). De même, il est impératif de sortir de la logique de la recherche par le tout projet mais l’amendement écologique visant à limiter le recours aux contrats précaires dans les projets de l’ANR a été refusé… Et si des amendements visant à renforcer les bilans sociaux et la programmation pluriannuelle de moyens ont été adoptés, ils ne contrebalancent pas l’étranglement financier des établissements dû notamment au transfert des RCE (Responsabilités et compétences élargies). Il faut donc revoir en profondeur la manière dont l’autonomie des universités a été mise en place ainsi que le financement de la recherche. Ces deux aspects ne sont pas traités dans la loi et rien n’annonce des avancées en la matière dans les mois à venir, ni dans le budget ni par une loi ultérieure.

Enfin, la réussite étudiante est sensée être au cœur de la loi mais les mesures annoncées ressemblent plus à de « la cosmétique » qu’à une réelle réforme. Si les Assises avaient longuement abordé la question de la pédagogique, notamment en lien avec le numérique mais aussi au-delà, les réformes proposées ont été soient oubliées soit considérablement amoindries : plus de dispositions visant à renforcer les liens entre le lycées et le supérieur, une spécialisation progressive de la licence sans aucun moyen ni aucune vision de cette réforme, rien pour améliorer l’encadrement pédagogique des étudiants, une simple mention, par voie d’amendement, des expérimentations pédagogiques… De plus, aucun lien n’est fait avec les ESPE – Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education – et donc rien ne garantit que les futurs enseignants-chercheurs pourront bénéficier de formations pédagogiques de qualité.

Enfin, l’allocation d’études est toujours attendue pour réformer le système des aides. Et si des avancées ont été réalisées pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers, il reste encore beaucoup à faire, notamment pour réformer Campus France. Au niveau des moyens, il est indispensable de rééquilibrer les moyens pour enfin lutter contre le statut quo qui fait qu’aujourd’hui les meilleurs élèves (le plus souvent issus des milieux les plus aisés), en classes préparatoires ou en grandes écoles, ont de meilleures conditions d’étude que les étudiants qui s’entassent en licence.

Photo : site du groupe écologiste

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