Réseau de l’économie créative
Intervention de Karim Laanaya
Monsieur le président, quelques mots sur cette communication pour dire que ce document est très intéressant, et c’est d’ailleurs un document assez complexe. Complexe parce que c’est difficile de trouver une définition précise de l’économie créative.
En réalité, nous sommes au carrefour de plusieurs choses. Au carrefour de l’économie culturelle, qui recouvre une partie de l’économie créative mais pas totalement ; au carrefour de l’innovation et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les fameuses NTIC, et des industries plus traditionnelles, regroupées en cluster ou pôles.
Si l’économie a longtemps ignoré la culture, la culture a longtemps été critique vis-à-vis de l’économie. Et pour cause : la culture et les arts ont toujours considéré que la créativité n’est pas une marchandise comme les autres.
Et c’est bien sur ce point que nous sommes un peu réservés.
Réservés précisément parce que nous pensons que la culture, y compris dans ses formes nouvelles ou dans ses formes technologiques modernes, doit conserver une certaine distance avec l’économie marchande, et même préserver une certaine indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs, pas seulement le pouvoir économique.
Nous sommes attachés à la spécificité de la culture, créatrice de lien social, facteur de bien-être humain et d’épanouissement personnel. Pour les écologistes, l’économie doit être au service de la présence artistique et de l’emploi culturel, et non pas l’inverse.
L’enjeu du développement de l’économie créative nous semble primordial pour l’avenir de la région Centre. Comment construire cette nouvelle économie de la culture dans le respect des valeurs, de la diversité culturelle, mais aussi dans la diversité de nos territoires ?
L’économie de la culture doit être plurielle, avec le maintien d’une véritable offre publique. Mais nous pensons que le développement de la culture doit s’appuyer sur la démocratie, sur l’éducation populaire et sur l’économie solidaire.
J’insiste sur l’économie solidaire. Car on ne doit pas choisir entre « économie créative » et « économie solidaire ». On peut très bien avoir une « économie créative solidaire » !
Et c’est d’ailleurs une réelle préoccupation que notre groupe souhaite exprimer aujourd’hui. Si la Région Centre s’engage sur l’économie créative, alors qu’elle n’envisage pas simplement la solution du cluster, qui part d’en haut, qui repose sur une notion « d’excellence »… Mais que la Région favorise le développement d’un tiers secteur culturel composé d’acteurs locaux, où les aspects marchands et monétaires sont relativisés au profit d’une gestion désintéressée et d’un travail de création artisanal et collectif.
Autre préoccupation pour les écologistes : le fait que la publicité soit citée, dans cette communication, au milieu d’autres activités relevant de l’économie créative. Sans nier la réelle créativité qui existe dans la publicité, nous tenons à rappeler que la publicité est le symbole même de la surconsommation, de l’individualisme, de l’apparence et du gaspillage. Au-delà d’enjeux environnementaux, la publicité a façonné des pans entiers de notre société, depuis la « femme objet » jusqu’au culte de la vitesse.
Le potentiel de création d’emplois est réel dans tout ce qui s’apparente à cette économie dite « créative » ou ses activités connexes. On pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec l’industrie écologique et innovante, en particulier en ce qui concerne les énergies renouvelables.
C’est la raison pour laquelle cette communication, a priori, va dans le bon sens.
Si j’élargis un peu le débat, nous voyons bien, au travers de ce cette communication, que nous sommes dans une société en pleine mutation où les nouvelles technologies, Internet, etc. prennent une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne.
Mais le téléchargement de livres ou de films ou de chansons sur Internet peut aussi avoir des conséquences fâcheuses pour l’emploi et pour l’animation de nos territoires : la fermeture de petites librairies par exemple. Il faut avoir aussi cette donnée en tête au moment d’écrire la politique régionale en la matière.
Il est aussi important de placer cette communication dans une perspective européenne.
En mars 2000, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, réunis à Lisbonne, ont formulé un objectif très ambitieux : faire de l’Europe la « société de connaissance » la plus dynamique au monde.
Sur ces questions il convient d’observer la plus grande vigilance : le libéralisme cherche à contrôler toujours plus étroitement la production et la circulation des savoirs et à raccourcir au maximum le temps entre la découverte et la mise de produits sur le marché.
Et les politiques menées ces dernières années par Nicolas SARKOZY et ses collaborateurs ont facilité cette prédation :
- je pense à la déstructuration, lentement mais sûrement, de la recherche publique sous le couvert fallacieux de « l’excellence » !
- je pense à l’argent public destiné à l’innovation privée investi sans contrôle !
- je pense au renforcement des droits de propriété intellectuelle hors de tout débat public !
- je pense à la progression de la surveillance et à la répression des individus !
Nous comptons bien sur le fait que la nouvelle majorité présidentielle et parlementaire va au contraire promouvoir le partage des biens communs et la protection du droit des internautes :
- en abandonnant les politiques répressives et sécuritaires de type HADOPI et ACTA ;
- en encourageant l’utilisation des logiciels libres et l’emploi des formats ouverts ;
- en inscrivant dans la loi la neutralité du Net ;
- en développant l’accès libre aux biens publics par la numérisation du patrimoine ;
- en mettant en place des exceptions aux droits de propriété intellectuelle tenant compte de l’intérêt général.
Pour conclure, l’économie créative, on le voit, aborde des champs et des domaines assez différents, mais qui cherchent à s’associer et à structurer des enjeux communs, notamment par le biais des nouvelles technologies.
Si nous avons émis quelques réserves et fait part de quelques préoccupations, il est évident que cette communication est une piste intéressante, une première étape vers le développement d’une économie contemporaine et pouvant créer des emplois nouveaux.