La crise de l’agriculture est structurelle
Intervention de Charles Fournier
Monsieur le président, chers collègues, il est temps que l’on cesse de se raconter des histoires ! Le monde agricole est en situation de profond malaise… Les crises se succèdent les unes aux autres. Ce n’est pas un simple passage à vide ou une crise conjoncturelle : c’est une véritable crise de système, la faillite d’un modèle, le modèle productiviste qui après un demi-siècle de fuite en avant a dépassé ses limites !
La détresse morale dans nos campagnes est profonde : le taux de suicide dans le monde agricole est aujourd’hui 20% plus élevé que dans le reste de la population… La disparition des fermes se poursuit à un rythme accéléré : le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en 40 ans et la part des actifs agricoles n’a cessé de se réduire au point de ne peser plus que 3 % de la population active. Dans un contexte de chômage de masse, l’équivalent de 20 000 emplois disparaît chaque année dans les fermes de France. Ces emplois ne sont aujourd’hui plus compensés par la création d’emplois nouveaux.
Les réponses d’urgence qui sont apportées sont nécessaires et nous les soutiendrons. Mais il faut d’abord envisager un avenir stable à notre agriculture et donner des perspectives à celles et ceux qui ont depuis toujours la noble fonction de nous nourrir. Il s’agit maintenant de construire avec eux cet avenir en reliant nécessairement l’agriculture, l’alimentation, les territoires… en renouant des liens étroits entre les agriculteurs et les populations qu’ils nourrissent, en réconciliant aussi l’agriculture avec le sol, un sol fertile, riche en matière organique, un sol ménagé et respecté, un sol bien vivant qui en plus de nourrir apporte une réponse essentielle à la régulation climatique.
J’insisterai encore pour dénoncer ce modèle productiviste qui présente un bilan vraiment accablant : un grand nombre d’agriculteurs sont les premières victimes de ce système, enfermés dans des trajectoires dont il est, pour eux, difficile, sinon impossible de sortir.
Pourtant, certains leaders, particulièrement influents, voudraient encore étendre notre modèle à la planète entière, osant affirmer que c’est dans le but de lutter contre la faim et d’assurer l’alimentation de la population mondiale. C’est sans scrupule qu’ils voient des bouches à nourrir comme autant de nouvelles parts de marché.
N’oublions pas qu’aujourd’hui encore, les paysans représentent près de la moitié des travailleurs dans le monde et que l’agriculture familiale et paysanne fournit encore, selon la FAO, plus de 80 % en valeur des productions alimentaires mondiales. Cette agriculture résiliente doit être préservée et renforcée. Elle est l’une des solutions majeures d’adaptation au changement climatique.
Mais les forces contraires sont très puissantes : dans l’immense marché planétaire qui met en concurrence les économies du monde entier, cette agriculture familiale et paysanne est touchée de plein fouet, partout dans le monde, au nord comme au sud. Alors, si on laisse cette logique infernale se poursuivre, beaucoup de nos fermes sont condamnées, soit à disparaître, soit à se concentrer, à s’agrandir toujours plus, se mécaniser d’avantage, se robotiser et, s’endetter plus encore… parce que la compétitivité l’exige !
Dans ce contexte, nous ne pouvons qu’approuver l’initiative de la Région de soutenir les éleveurs touchés par cette crise structurelle en leur octroyant à chacun une aide équivalente. Mais nous émettons des réserves sur la modification du plafond pour les projets d’investissement des éleveurs. Dans un contexte de raréfaction de l’argent public, nous considérons qu’il est plus judicieux de donner à plus d’agriculteurs que de cibler sur ceux qui sont désignés comme les plus performants au risque de consommer trop rapidement les enveloppes allouées en augmentant les plafonds.
Car produire toujours plus par vache, toujours plus par hectare avec toujours moins d’agriculteurs : telle est la logique ! Est-ce cela que l’on appelle maintenant l’agriculture intelligente ? On entend même parler d’une agriculture "climato-intelligente" ! Mais de qui se moque-t-on ? La situation serait risible si elle n’était dramatique...
Nous, écologistes, affirmons que les productions alimentaires ne doivent pas être considérées comme les autres marchandises. A présent, nous devons transformer à grande échelle, en profondeur et progressivement nos façons de produire et de consommer et soutenir l’agriculture qui permettra d’assurer une réelle sécurité alimentaire pour les populations et permettra une nécessaire et salutaire reterritorialisation de l’alimentation.
Nos soutiens doivent aller vers des productions de qualité pour plus de valeur ajoutée celles qui permettront un développement local à même de revivifier les territoires ruraux… Nous sommes certains des bénéfices de cette agriculture et à l’inverse des dégâts de l’agriculture productiviste.
Monsieur le Président, nous voterons ce rapport mais avec une réserve sur la partie qui porte momentanément le plafond pris en compte pour les investissements : nous comprenons qu’il s’agit de répondre à une injustice faite à quelques dossiers. Cependant nous ne suivrons pas le CESER qui propose que la Région s’aligne sur l’Etat pour plafonner plus haut les investissements. Bien au contraire, face à des enveloppes insuffisantes, il vaut mieux plafonner les aides plutôt que les distribuer à un nombre limité d’agriculteurs. C’est donc à l’Etat de baisser ses plafonds ou d’abonder les enveloppes à hauteur des nécessités.
Comme sur d’autres sujets, vous voyez notre préoccupation est autant de faire face aux difficultés immédiates et de savoir agir comme le proposez face à l’urgence, mais elle est tout autant d’éviter que ces crises se reproduisent en agissant tout aussi urgemment pour un changement de modèle.