Ambitions 2020 pour le Très Haut Débit en région Centre
Intervention de Sandra Renda.
Monsieur le Président, Chers collègues,
Dans les années 90, on pensait que le débit sur le net serait le miracle que l’on attendait ? Souvenez-vous. En ce temps-là pour avoir une adresse internet il fallait payer chaque mois une dime à un opérateur. Le modem gazouillait et à 50 kilobits seconde le message partait…parfois. D’ailleurs souvent on téléphonait au destinataire afin de s’assurer que l’usine à gaz avait rempli son rôle.
Les années 2000 ont vu arriver le débit et le haut débit. L’ADSL qui utilisait ou utilise encore le réseau cuivre nous amenait ce confort et cette accélération tant attendue. Mais pourquoi tant attendue ? Et par qui ?
Entre temps les machines avaient intégré l’énorme potentiel que représentait cette organisation en réseau. Les machines allaient ainsi nous permettre d’utiliser des applications inimaginables auparavant. Marshall Mac-luhan qui a analysé les médias dans les années 1970, disait « les médias modifient l’homme qui modifie les médias ». Ainsi cette longue adaptation homme-machine a-t-elle généré et totalement intégré cette notion économique de la destruction créatrice chère à Schumpeter. Mais en intégrant cette notion, cette vision très capitaliste de l’économie nous sommes au cœur du problème du débit, du haut débit, du très haut débit voire de l’ultra haut débit.
Nous avons ainsi innové en fonction de l’outil dont nous disposions et imaginé les solutions les plus folles, les plus révolutionnaires afin que cet outil devienne son meilleur défenseur et son plus bel ennemi.
Les moqueurs de la destruction créatrice mettent en doute les bienfaits de cette analyse de création liée à une destruction en avançant cet argument.
« On nous avait promis des voitures volantes pour l’an 2000 et nous avons en fait une communication entre individus réduite à 140 caractères sur twitter. Où est la révolution ? Où est la création ? »
Des plans de connections ont donc été mis en œuvre. Il fallait que chacun devienne un acteur, un auteur, un décideur de ces nouveaux médias qui obéissaient au premier clic.
Dans les années 2000, les départements, les régions, la France, l’Europe, chacun y est allé de son couplet sur les déserts numériques, sur le problème de ces zones éloignées des centraux et qui étaient les premières victimes d’un non accès au débit. Ce mot devenait ainsi magique. Le débit ! Quel débit avez-vous là ou là. S’il n’y a pas de débit je n’irai jamais m’implanter dans cette zone, je n’irai jamais construire dans ce village.
L’envie, le besoin de se connecter était passés du projet au vital. Ne pas être en ligne était devenu mortel.
Comme d’habitude, chacun y est allé de sa solution miracle. On se voyait en ligne pour des visites médicales, on imaginait des guichets en vidéo point à point afin de maintenir ce lien indispensable entre assureur/assuré, citoyen/administration, salarié/employeur.
Les plans fibres, les lois imposant que chaque nouvel immeuble devait être connecté, les démonstrations de télémédecine, tout concourait ainsi a toujours plus déployer des réseaux sur le territoire. Un territoire connectable doit au plus vite se raccorder à cette toile réelle en termes d’équipement, virtuelle en termes d’utilisations.
Mais l’homme de Mac Luhan avait continué sa métamorphose technologique. Et là était le problème. S’il faut 5 à 10 ans voire 20 années pour raccorder des hommes pour que leur vitesse de communication suffise à leur évolution personnelle ou professionnelle, il y a un paramètre qui n’a jamais été intégré dans ces plans ambitieux.
L’homo erectus avait migré en homo connectus pour être aujourd’hui un homo mobilis !
Nous sommes mobiles et tels des électrons notre déplacement permanent est notre énergie. Notre énergie nous impose d’être mobiles, ultra mobiles, voire instables. Et alors ?
A l’instar du téléphone qui nous a vus petit à petit nous éloigner de la prise de raccordement physique, les mobiles auront très certainement tué le mythe de cet immobilisme de raccordement dans les prochaines années. En 1970 on attendait sa prise téléphonique près de 2 ans, en 2012, un téléphone mobile est activé en 2 minutes. Cette mobilité nous a donné des idées, des manies, de mauvaises habitudes. Nous exigeons aujourd’hui d’être ultra mobile dans notre vie quotidienne, dans notre vie professionnelle. Les ventes de tablettes ont explosé en 2011 au point de grignoter les ventes d’ordinateurs portables. Même si pour le moment ces tablettes ne sont pas toutes connectées au réseau 3G ou 4G, le nouvel opérateur mobile issu du net va, à l’évidence, faire baisser les couts de connexions, donc sur le million d’Ipad ou autres Galaxie attendus en 2011, un plus grand nombre quittera ces bornes wifi trop rares encore pour échanger en 3G ou par la suite en 4G
Mais alors, à quoi bon câbler en terrestre alors que c’est du ciel que vient la solution ? Ne faut-il pas revoir certains schémas trop lourds, trop lents à décider, pour coller à cette évolution permanente d’un besoin qui crée une satisfaction qui crée une envie qui satisfait une banalité qui recrée un besoin.
Ne sommes-nous pas en cale sèche à creuser le long des routes pour insérer des fourreaux alors que la réalité de l’utilisation de la demande dément déjà aujourd’hui ce qui ne sera effectif que dans 10 ans. Je m’interroge.
Il y a plus de dix ans, dans un livre intitulé « la génération des astucieux » l’auteur, François Zimmermann décrit ces rendez-vous manqués technologiques et cet usage qui se modifie au fil des jours. Nos habitudes remettent l’outil en question tous les six mois, car c’est l’astuce et l’impossible qui nous attire. Ceux qui font des plans sur le long terme se trompent s’ils projettent que dans 10 ans, les utilisations d’aujourd’hui n’auront pas évolué. Sur 10 ans nos utilisations du net seront mortes 20 fois et se seront recrées 20 fois en se contredisant. Nous agissons aujourd’hui dans notre vie de connectés à la vitesse de multiplication des cellules vivantes alors que les grands plans voudraient que le temps, l’attente, le rapport, la commission rendent leur verdict. Un astucieux ne sait pas attendre, il veut, il utilise, il abandonne, il détourne, il vise un objectif, il l’abandonne et se satisfait d’un autre. Un astucieux est imprévisible dans un contexte que nous voudrions planifiable ! Fatale opposition, fatale erreur !
Notre responsabilité de politiques, c’est justement d’anticiper ces tendances afin que ce qui n’appartient aujourd’hui qu’au futur, soit un présent satisfaisant demain.
Nous avons tous misé sur de nouveaux modes de travail. Les habitants de la région étant connectés qu’allaient-ils en faire au quotidien ?
Le télétravail. Voilà un des mirages des années 2000. Les salariés resteraient chez eux pour travailler. Zéro pollution de co2, moins de voitures sur les routes, moins d’accidents, moins de temps perdu dans les transports. La mariée était belle ! Mais qu’est-ce que le télétravail ?
Quand une entreprise propose à ses salariés de travailler depuis chez eux, il faut se poser alors une question ? Dans quel but ? Pourquoi cette proposition ?
Pour le récompenser ? Pour améliorer la qualité de vie ? Par altruisme ? Quel intérêt pour l’entreprise ? Quand on sait qu’aujourd’hui 70% des appels passés depuis les voitures sont des appels professionnels, on se dit que la notion d’entreprise en tant que bâtiment ou surface au sol est à revoir. Le télétravail commence donc dès que l’on sort de son entreprise.
Le salarié, ou beaucoup de salariés sont déjà entrés dans l’ère de l’homo connectus, depuis leur voiture, depuis leur chambre d’hôtel le soir, depuis la maison le matin avant de partir. Cette immixtion du professionnel dans la sphère personnelle commence à poser des problèmes. Depuis janvier 2012, le groupe Volkswagen a bloqué l’accès des mails professionnels à ses salariés en dehors des heures de travail, pour mettre un frein aux dérives.
Mais alors qu’est-ce que le télétravail ?
Travailler depuis chez soi en liaison avec son entreprise. Soit ! Donc le salarié œuvre depuis son domicile, ou en totale nomadisme. Comme généralement les secrets doivent être bien gardés, cette connexion se fait via un réseau virtuel privé. Que le poste connecté soit dans l’entreprise ou n’importe où dans le monde, peu importe, c’est un poste identifiable. L’utilisateur peut ainsi disposer de toutes les ressources nécessaires. Quand il est connecté sur les logiciels de l’entreprise ou sur ses bases de données, une connexion ADSL ou 3G suffit, s’il veut simuler une image en trois dimensions alors il lui faudra du débit, voire pas mal de débit. Saurons-nous lui fournir ce débit ?
Un salarié distant est un salarié coupé de l’entreprise dans sa dimension relationnelle. Peut-on être un salarié efficace exilé chez soi ? Ceux qui répondent oui sont soit des asociaux soit des pervers. Bien sûr que non !
Alors on a imaginé de la webconférence via le net. Si les connectés veulent se voir, s’entendre dans de bonnes conditions, partager des documents, voire faire de la prise à distance de documents comme s’ils échangeaient dans une vraie salle de réunion, alors oui il faudra du débit et pas qu’un peu.
L’entreprise aura intérêt à disposer de ressources ainsi que le connecté distant. Problème ! Qui paie pour le salarié hors entreprise ? Qui paie les couts de connexion ? Pour l’entreprise les économies sont évidentes, en ayant des ressources distantes, elle a ainsi besoin de moins de surface, donc peut développer des bureaux partagés, moins de place de parking. Avantage non négligeable, en isolant un salarié chez lui, on sait qu’il sera plus productif, car toutes les études démontrent qu’en ne faisant plus partie de l’entreprise physiquement on travaille plus pour prouver qu’on existe. L’esprit d’équipe en prend un sérieux coup. Dernier avantage, un salarié distant qui n’est pas d’accord avec ses conditions de travail, peut toujours se mettre en grève chez lui. A part son chat ou son chien, personne ne s’en rendra compte. Il exaucera ainsi le rêve du président sortant.
Il a également été constaté qu’un travailleur distant a des plages horaires beaucoup plus importantes quand il travaille de chez lui. Dans son esprit il faut qu’il soit là pour répondre à la moindre sollicitation sous peine d’avoir l’impression d’être effacé des effectifs de l’entreprise. Le contrat de travail s’en trouve donc modifié. Il suffit d’aller dans des points de restauration rapide à l’heure du déjeuner et vous verrez des homo mobilis grignoter des acides gras en lisant des tableaux et en alimentant des colonnes de chiffres.
Plus de pause déjeuner mais une prise direct sur l’énergie disponible du salarié.
Quand certains veulent revenir sur la durée légale du travail en prétextant que les français travailleraient moins que les allemands ce qui est faux d’ailleurs, voilà déjà quelques brèches ouvertes car bien sûr, ce plus de travail est rémunéré au même prix que celui fourni sur le site de l’entreprise.
Donc le coût du travail baisse et la productivité augmente! Curieux paradoxe que celui qui démontre que pour augmenter la compétitivité des salariés il suffit de les faire travailler en dehors de l’entreprise !
Il y a aujourd’hui une activité en plein développement en télétravail qu’il conviendrait de contrôler.
Des sociétés proposent des services de hotline en télétravail. Vous êtes chez vous, vous pouvez ainsi vous organiser avec vos enfants tout en travaillant.
Belle proposition. Le donneur d’ordre n’a donc pas besoin de locaux, ni de matériel pour équiper des postes, économise l’énergie, les couts de fonctionnement et les transferts chez vous.
On vous propose ainsi d’appeler ou de répondre à des appels, 24h/24 7j/7 selon vos choix. Le tout pour une rémunération de 28 centimes par appel et en vous obligeant à prendre un statut d’auto-entrepreneur ! Donc, vous payez les frais d’équipements, d’amortissement de votre ordinateur, vous n’avez pas de contrat de salarié de l’entreprise, donc très peu de recours. Un simple calcul. 28 centimes de l’appel, 1 appel toutes les 2 minutes essayez donc pour voir c’est intenable. Une période de 7 heures de travail par jour, ou de nuit, cela vous rapportera donc pour un mois le SMIC hors cotisations, hors amortissement de votre équipement.
Bénéfice pour l’entreprise, elle fonctionne sans salariés ! Le vieux rêve de serge Tchuruk qui dirigeait Alcatel est ainsi réalisé « une entreprise sans fabrication »
Est-ce ce télétravail que nous imaginons ? Non !
Voilà l’effet de cette destruction créatrice. On le sait car nous en sommes tous les acteurs, les agences de voyages ne pourront plus lutter bien longtemps face au business effectué sur le net pour acheter des billets, acheter des voyages voire les organiser. Les librairies ne pourront plus lutter bien longtemps face aux achats de livres sur la toile, livres qui seront dans votre boite à lettre en 48 heures chrono livraison offerte. Les drives des grands distributeurs font un carton en supprimant ainsi des surfaces au sol, des gondoles, des parkings, des emplois. La télémédecine nous permet aujourd’hui des télés examens, voire des télé-opérations, ce qui est techniquement un exploit. A un moment ou les médecins se font rares, où les hôpitaux sont rassemblés pour faire des économies dictées par les visions libérales des gouvernants en place, que vont devenir ces télé-diagnostiqués ? Ils mourront pendant le transport vers des centres de soins de plus en plus loin. On nous impressionne avec ces effets d’innovations technologiques grosses consommatrice de très haut débit et en même temps l’AP-HP avoue que les restrictions des budgets dues aux lois Bachelot pour l’hôpital ne permettent pas tout le temps d’avoir une paire de draps pour chaque patient, voir dans certains cas conseille d’en amener de chez soi ! Voilà cette vision de destruction créatrice qu’il faut inverser. Notre mission de politique n’est pas de faire du merchandising et de vendre des vitrines de possible mais de gérer le quotidien et d’anticiper un futur très proche, fusse-t-il numérique !