TUNISIE, DE LA REVOLUTION AUX ELECTIONS : L’AMPLEUR DE LA DEMARCHE CITOYENNE

Hédia MANAÏ-BAUCHET, conseillère régionale. Membre de la Commission Europe, Internationale, Interrégionale

 Alors que le printemps arabe se poursuit en Égypte, la Tunisie a connu quant à elle une nouvelle étape sur le chemin de la démocratie, le 23 octobre dernier, avec les premières élections libres de l’assemblée constituante. Hédia Manaï-Bauchet, conseillère régionale Europe Écologie Les Verts au Conseil Régional des Pays de la Loire, s’est rendue en Tunisie pour participer au vote. Un moment historique qui laisse place à une situation politique transitoire pour un an avant l’organisation de nouvelles élections. Elle livre ici ses impressions sur des résultats peu rassurants et exprime sa confiance dans le peuple tunisien, qui fort de ce qu’il a accompli, trouvera la force de s’indigner et de se mobiliser tant que ses libertés seront menacées.

 

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A nouveau, je veux vous faire partager quelques impressions à mon retour de Tunisie. J’ai fait le choix d’aller voter en Tunisie pour les premières élections libres de l’assemblée constituante. Pour moi qui découvre depuis peu l’engagement politique et qui ai l’ambition de rendre le débat politique accessible à tous et notamment à ceux qui n’ont pas la parole, il n’était pas imaginable de ne pas participer à cet événement historique.

 

Je suis passionnée, vous l’aurez compris, par l’esprit qui guide la révolution tunisienne et cette volonté affirmée de construire une véritable démocratie. Je me retrouve bien dans les aspirations de ce peuple, notamment des « petits » qui ne comptent pour personne, pour le droit à la dignité. Le lien fort avec mon pays d’origine est ainsi « ravivé ». Le jour des élections, je suis donc allée voter, avec une certaine émotion dans l’école de mon enfance. J’ai vu la fierté de ceux qui venaient aux urnes. La mobilisation populaire a finalement été forte et c’est probablement l’ampleur de cette démarche citoyenne qu’il faudra avant tout retenir.

 

Bien sûr, comme beaucoup d’autres, les résultats m’ont abasourdi. Même si l’arrivée en tête du parti islamiste (Ennahda) était prévisible. C’est le jeu démocratique, le parti islamiste a gagné. Pourquoi? Tout d’abord il était le seul bien identifié face à une multitude de listes (77 à Kairouan). Il a enfin payé le prix fort de la répression sous Ben Ali et il a su capter le mal être du peuple alors qu’il ne s’est pas impliqué dans la Révolution. Il récolte aussi une présence réelle dans les quartiers populaires avec des militants actifs dans un contexte de forte pratique religieuse. Enfin pour comprendre ce succès vous pouvez ajouter : un discours populiste, des idées simples et courtes qui ne sont pas sans rappeler certains arguments du front national chez nous !

Une nouvelle situation politique transitoire s’ouvre donc pour un an avant de nouvelles élections. Beaucoup de personnes rencontrées m’ont dit leur souci de vigilance par rapport à l’action du nouveau gouvernement, Comme beaucoup de tunisiens avertis, je reste extrêmement méfiante, avec le sentiment que les islamistes ont « raflé » la mise d’une révolution qui n’est pas vraiment la leur.

La presse occidentale n’a pas manqué de souligner cette victoire des islamistes. Gardons-nous d’imaginer le pire. Ce n’est qu’une étape. Déjà de nombreux tunisiens sont descendus dans la rue pour exprimer leur crainte que les idéaux de la Révolution soient confisqués. Ce qui est positif c’est d’observer comment certains osent affirmer leurs convictions pour séparer le religieux du politique et refuser tout repli. N’oublions pas que la Tunisie de novembre 2011 n’est plus la Tunisie de novembre 2010. Maintenant les tunisiens ont acquis la certitude qu’ils ont la capacité de peser sur leur destin fort d’avoir chassé leur dictateur, et de manifester si leurs libertés sont menacées.

Ce mouvement social doit encore se renforcer, se fédérer, se consolider. J’ai la conviction que notre solidarité doit en premier lieu faciliter l’émergence de nouveaux acteurs, notamment ceux qui ont fait la révolution, afin que cette nouvelle société civile soit en capacité de constituer un contre-pouvoir. Les associations et les syndicats peuvent être garants des aspirations du peuple s’ils s’inscrivent dans une démarche d’éducation populaire.

L’association de femmes de Kasserine que j’ai rencontrée témoigne de cette volonté de prendre des initiatives et de ne pas céder au fatalisme. L’échange qui se prépare pour l’été prochain entre des jeunes de Kairouan et du quartier Nord de Nantes autour des pratiques musicales contribue à créer de nouvelles passerelles entre nos pays. Les tunisiens sont en attente d’ouverture. Ils sont sensibles à nos signes de confiance pour la nouvelle page de leur histoire qui s’ouvre.

 

J’ai été marquée dans mes rencontres en famille ou ailleurs par le foisonnement des problèmes soulevés mais surtout par le refus de céder à la résignation. Les changements doivent se confirmer mais c’est un long processus qui s’engage. Attention à la désespérance du peuple. Je pense à ces centaines de jeunes tunisiens morts en Méditerranée en voulant fuir la Tunisie pour rejoindre notre « Eldorado ». Quel avenir demain la Tunisie sera capable d’offrir à sa jeunesse? Comme beaucoup de tunisiens, la situation politique m’inquiète. La société ultra libérale est toujours en place. Pourtant la question d’un autre mode de développement s’impose. Les acteurs du régime Ben Ali occupent toujours les lieux de pouvoir. Les tentatives pour discréditer la jeunesse et déstabiliser le pays comme à Sidi Bouzid leurs sont souvent attribuées. Plus inquiétant, des rapprochements entre des RCDistes « propres » et des islamistes « modérés seraient à l’œuvre » comme le remarque un observateur politique.

 

Je reviens donc à la fois confiante dans la volonté des tunisiens rencontrés pour défendre les objectifs de la révolution mais pas rassurée par les alliances politiques qui vont se nouer et le flou du projet politique des vainqueurs. Alors la démocratie c’est déjà penser à l’alternance…

Le renforcement des liens et des initiatives solidaires et de coopération entre nos pays ne peut que contribuer à soutenir l’effort de redressement de la Tunisie. Il y a urgence à agir pour la dignité .Nous n’avons pas de leçons de démocratie à donner, mais des expériences à partager. Ces projets communs doivent augurer de nouveaux rapports Nord-Sud. En attendant je souhaite aux tunisiens de continuer à s’indigner.

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Hédia MANAÏ-BAUCHET

 

 

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