[Tribune] Faut-il encore construire des aéroports ?
Par Eva Joly, Dany Cohn-Bendit et Yannick Jadot, Députés européens Europe Ecologie et
Matthieu Orphelin, Vice président de la Région Pays de la Loire, Europe Ecologie.
Les urgences sont connues : elles sont sociales, écologiques, démocratiques. Les contraintes également : elles sont notamment budgétaires, de gestion des espaces et d’aménagement des territoires. Dans ce contexte, les politiques et les investissements publics doivent être strictement évaluées au regard de leur utilité sociale, économique, environnementale. C’est la responsabilité principale des élus dans un monde fragilisé et aux ressources limitées.
Le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes en est une parfaite illustration. Alors qu’on ne construit plus de telles infrastructures ni ailleurs en France, ni en Europe, alors que l’aéroport actuel est loin d’être saturé, malgré la mobilisation des citoyens et de plus de 1000 élus locaux et malgré les contre-expertises, le gouvernement et les dirigeants des exécutifs locaux et régionaux, de droite comme de gauche, défendent un projet vieux de 40 ans, avec des arguments tout aussi obsolètes. Ils comptent y consacrer dès maintenant plus de 250 millions d’euros d’aides publiques alors que les budgets sont exsangues et que ce projet ne résiste pas à la réalité des connaissances apportées aujourd’hui par la communauté scientifique, dans au moins deux domaines.
Le premier domaine, c’est celui des sciences relatives au changement climatique. La plate-forme de Notre Dame des Landes est conçue pour accueillir 8 millions de passagers par an, soit un triplement du trafic actuel de l’aéroport de Nantes Atlantique. C’est cette base totalement irréaliste qui constitue le seuil de rentabilité. Le GIEC, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, nous apprend qu’il faut diviser nos émissions de gaz à effet de serre par 4 d’ici 2050. Quelles sont les informations dont disposent les porteurs du projet de nouvel aéroport pour leur permettre de contredire les deux mille scientifiques du GIEC ? Évidemment aucune !
Le second domaine, c’est celui des sciences économiques. La commission Stiglitz a posé l’an dernier les bases d’une nouvelle approche du développement et de la mesure des performances économiques et du progrès social. Elle a montré la nécessité de définir de nouveaux indicateurs pour élaborer et évaluer les politiques publiques. Appliquons cette approche au projet de nouvel aéroport qui, avec trois milliards d’euros (comprenant les infrastructures liées), constitue le plus gros investissement qui sera réalisé dans l’Ouest au cours des 20 prochaines années. Le rapport Stiglitz pointe les axes sur lesquels il faut évaluer le bien fondé des politiques publiques : éducation, logement, capital humain et santé, réduction des niveaux dangereux d’atteinte à l’environnement, réduction des inégalités. Sur lequel de ces axes l’aéroport de Notre Dame des Landes permet-il une avancée économique ou de progrès social ? Evidemment aucun !
Celles et ceux qui soutiennent le projet d’aéroport ne peuvent plus ignorer l’inutilité environnementale, sociale et économique du projet. S’ils s’entêtent, ce sera au mépris des alertes des climatologues et des économistes, en plus du mépris des citoyens. Si au contraire ils décident de l’abandonner, préférant investir dans la formation, les collèges et les lycées, ou encore les transports collectifs, alors nous soulignerons leur courage politique.
Comme ils l’ont fait pour le projet alternatif de loi de finances, les écologistes continueront quant à eux à porter une vision responsable des politiques publiques : justes, économes et stratégiques. Même si cela doit générer des tensions dans les majorités territoriales, nous ne reviendrons pas sur ce que nous considérons être notre contrat politique avec les citoyens et notre exigence pour l’avenir.
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