Lettre ouverte de Dominique Voynet, ancienne ministre de l’environnement à Jacques Auxiette, président de la Région des Pays de la Loire
Cher Jacques Auxiette,
Nous nous connaissons bien, et depuis longtemps.
Nous avons eu à travailler ensemble sur bien des sujets qui relevaient de nos compétences respectives. Tu étais considéré, parmi les présidents de région, comme l’un des plus attentifs aux questions soulevées par les écologistes ; et moi, parmi les écologistes, comme l’une des plus capables – sans doute faut-il y voir la raison pour laquelle Lionel Jospin m’a proposé de rejoindre son gouvernement – de concilier des exigences jusque là considérées comme incompatibles : l’égalité des territoires, la qualité des emplois, la qualité de la vie, la responsabilité écologique.
Nous avons affronté des coups durs ensemble, nous avons conduit des campagnes électorales ensemble, et convaincu les militants de nos partis de poursuivre côte à côte, pendant un mandat de plus, le travail engagé dans la Région… ce qui supposait que soit mise de côté la loi du plus fort, au profit d’échanges intellectuels nourris, entre pairs respectueux les uns des autres.
Quelle mouche t’a donc piqué ? Pourquoi a-t-il fallu que tu exhumes, sorties du contexte, des phrases du siècle dernier pour (tenter de) disqualifier ceux qui, aujourd’hui et dans un contexte économique, social et énergétique radicalement différent, tentent d’alerter sur l’inutilité de ce projet conçu à une époque où ni toi, ni moi n’avions l’âge de voter ?
En vérité, cher Jacques, seule ministre écologiste dans un gouvernement qui ne l’était pas, je me suis battue pour faire changer des lois qui prévoyaient, par exemple, qu’aucune partie du territoire métropolitain ne devrait être située à plus de 50 km d’une autoroute en 2015 ! J’ai mobilisé toute mon énergie pour convaincre ministres et grands élus de transformer radicalement leur approche en matière de politique des transports, pour éviter les concurrences coûteuses et dévastatrices entre « grands projets », alors que montaient en puissance la préoccupation civique sur deux sujets longtemps négligés : la raréfaction des ressources en gaz et en pétrole, et la menace du changement climatique.
A l’époque, nous nous battions, déjà, contre un aéroport, celui que certains auraient voulu bâtir – c’eût été le troisième ! – dans le grand bassin parisien, à Beauvilliers, à Chaulnes ou à Vatry. Nous trouvions cela idiot. Nous aurions préféré une offre mieux répartie, sur quelques aéroports de dimension interrégionale. On parlait de Toulouse (pour admettre que l’aéroport construit en zone dense ne pouvait s’étendre sans nuisances terribles pour les riverains), de Lyon (pour constater que l’aéroport de Satolas était… loin de tout) ou… de Nantes. Nantes, pourquoi pas ? Nantes, faut voir… La discussion fut vive entre les ministères… comme en témoigne le texte que tu me mets en bouche, écrit à la 3ème personne, sans que jamais le Je ne soit utilisé… Qu’en déduire ? Que j’étais respectueuse du travail interministériel ? Oui, sans doute, c’était la règle du jeu. Que j’étais convaincue ? Tu sais bien que non. Et je me réjouis qu’aucune décision concrète ne fût prise alors…
Depuis, le monde a bien changé. Les mesures de régulation du trafic aérien ont été radicalement améliorées, au point qu’un trafic bien supérieur à celui de Nantes peut être traité en toute sécurité, sur une seule piste, à Genève ou à Glasgow. L’emport moyen des avions a augmenté, leurs moteurs sont moins bruyants. Et surtout, nous avons désormais compris que le vieux monde, gaspilleur et vorace, sera bientôt derrière nous et qu’il devient urgent de gérer de façon plus économe et plus sobre, et notre argent et nos ressources énergétiques et nos terres cultivables.
Tu l’auras compris, mon cher Jacques, je n’ai pas l’intention de me fâcher avec toi, même si tu me prends pour cible aujourd’hui. Et je reste à ta disposition pour poursuivre sur ce sujet et sur d’autres un débat qui n’aurait jamais du être interrompu. Avec l’espoir, évidemment, de te convaincre, et la certitude que cette sottise ne se fera pas.
Dominique VOYNET